Pr. Khalifa Chater

 

Sommes-nous en train de vivre un retour de la guerre froide, avec ses protagonistes les USA, et la Russie et leurs alliés ? Il s’agissait de l’état de tension qui opposa, de 1945 à 1990, les États-Unis, l'URSS et leurs alliés respectifs qui formaient deux blocs dotés de moyens militaires considérables et défendant des systèmes idéologiques et économiques antinomiques. La fracture entre les Etats-Unis (ainsi que les démocraties européennes) et l'URSS ne surgit pas inopinément en 1946. Les racines de la guerre froide remontent à la révolution d'Octobre 1917 d'où naît en 1922 l'Union soviétique. Les relations difficiles entre les États-Unis et l'Union soviétique tiennent à la nature même de leurs régimes politiques et des idéologies qui les sous-tendent. Les deux pays souffrent, en effet, d'une véritable "incompatibilité idéologique". D'un côté, les États-Unis s'affichent comme les représentants du libéralisme, tant politique qu'économique, tandis que de l'autre, l'URSS fustige le capitalisme et prône une société sans classe, où les initiatives de l'individu s'effacent devant les intérêts du peuple. Or, la guerre froide  actuelle que l’invasion de l’Ukraine a mise à l’ordre du jour;  a profondément bouleversé l'ordre du monde et relancé une logique de blocs. Notons, cependant que dans la situation actuelle, il n’y as d’incompatibilité idéologique. Les temps ont changé et le système communiste a été abandonné par la Russie, après la désintégration de l’URSS. L’abandon du communisme est confirmée par le président Poutine qui affirma, dans une interview  à NBC, le  1er juin 2000 : ‘‘ j’ai étais convaincu que l’idée communiste  n’était rien de plus  qu’une belle histoire, mais une belle histoire dangereuse, menant à une impasse non seulement idéologigue, mais aussi économique’’.

La doctrine du président Poutine : Elle est résumée par le professeur Michel Eltchaninoff, spécialiste de la pensée russe et grand connaisseur de Vladimir Poutine. Dans son ouvrage Dans la tête de Vladimir Poutine (Actes Sud, 2022), il explore les sources intellectuelles de l’idéologie du Kremlin :

‘‘Cette doctrine s’étage à partir  d’un héritage sur plusieurs plans : à partir d’un héritage soviétique assumé et d’un libéralisme feint, le premier plan est une vision conservatrice. Le deuxième , une théorie de la voie russe. Le troisième, un rêve impérial  inspiré des penseurs eurasistes’’ (ibid, pp. 13-14). Peut-on parler d’une ‘‘défense du traditionalisme russe face au modernisme de l’occident’’ ? Cette opinion de  Michel Eltchaninoff nous parait plutôt arbitraire.

D’autre part, Michel Eltchaninoff fait valoir l’opposition de Poutine  à l’idéologie marxiste, doubléé d’une fidélité sans faille à l’Union soviétique. Quinze ans après son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine  affirme en le regrettant ‘‘Ce qui semblait incroyable, malheureusement est devenu une réalité :l’URSS s’est intégrée’’.  Il effectue une revanche sur l’histoire et attaque l’Ukraine. Il affirma le 21 février 2022 : ‘‘l’Ukraine n’est pas juste un pays voisin, mais une partie inaliénable  de notre propre histoire, de notre culture, de notre espace spirituel. Ce sont nos camarades, nos proches, parmi lesquels ne se trouvent pas seulement des collégues, des amis mais des parents, des gens liés à  nous par des liens de sang’’. Poutine insiste  sur l’unité inaliénable et historiquement fondée des deux peuples. En conclusion, il affirme : ’’Il n’ y a pas de place pour l’Ukraine souveraine’’.

La bipolarisation :  Affirmant l’unité spirituelle entre la Russie et l’Ukraine, Poutine estime que le départ de l’Ukraine vers l’Europe couperait la Russie d’une parie d’elle-même. D’ailleurs Poutine veut mettre à l’ordre du jour  une union économique avec le Kazakhtan, la Biélorussie, l’Arménie et le Kirghistan. Cette Union eurasiatique serait le pendant de l’Union Européenne, d’après son programme. Ces alliés de la Russie la rejoignent dans cette bipolarité.

De l’autre coté, l’Union européenne s’engage dans cette guerre froide. Elle s’érige en acteur principal, se considérant comme une victime de la guerre de l’Ukraine, qui bloquerait son extension, dans les anciens pays de l’Est. Par contre, cette guerre est révélatrice du fossé entre Washington et le camp saoudien. Les Émirats et l’Arabie Saoudite ne font pas partie du front formé par les USA contre la Russie.  Est-ce à dire qu’ils s’insèrent de plus en plus dans le réseau international autoritaire  que la Russie et la Chine développent ? Par contre, Qatar reste l’allié des USA, défendant ses causes.

Conclusion : La bipolarisation fait valoir le discours sur la réalité. Dans les deux cas, on développe des visions partisanes. Le président Poutine critique ‘‘la nazification et la militarisation’’ de l’Ukraine. Le clan occidental occulte les revendications d la Russie et dénonce ses velléités de bloquer l’Union Européenne.  Il s’agirait plutôt d’une tempête dans un verre d’eau.