Retour à la guerre froide ?

Pr. Khalifa Chater

 

Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale et jusqu'au début des années 1970, la guerre froide a marqué les relations internationales. Pendant cette période un affrontement total, politique, idéologique, militaire, économique oppose en Europe et dans le monde, 2 blocs : un bloc occidental qui adopte les valeurs et le leadership des USA et un bloc socialiste sous influence de l'URSS. Il s’agit d’un ‘‘conflit non-armé mais à couteaux tirés’’. Dans ce contexte, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a été créé, le 4 Avril 1949, avec un volet politique et un volet militaire, pour contrer la menace soviétique. Répliquant à cette initiative, l’URSS a créé le Pacte de Varsovie le 14 Mai 1955. Ce Pacte comprenait l’URSS et ses satellites : Albanie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie et Allemagne de l’Est, avec aussi la Chine en tant qu’Observateur. Aussi bien l’OTAN que le Pacte de Varsovie comportent une clause de secours mutuel en cas d’agression d’un pays membre.

La dislocation de l’URSS, la chute du mur de Berlin et le triomphe du libéralisme mettaient fin à la guerre froide. Les anciens satellites de la Russie prenaient leur indépendance et définissaient, dans une certaine mesure, librement leurs régimes. Après la chute de l’URSS, le Pacte de Varsovie a été dissous le 1er Juillet 1991, alors que l’OTAN a été maintenu. Il s’est même développé. Alors qu’il ne comptait à l’origine que les 12 membres fondateurs, elle compte actuellement 30 membres : 28 pays européens et deux pays nord-américains : les Etats-Unis et le Canada. Après la chute de l’URSS le 26 Décembre 1991, 12 pays de l’Europe de l’Est ont rejoint l’OTAN entre 1999 et 2009. Ce qui suscita le mécontentement du Président, Vladimir Poutine, ancien officier du KGB, qui succéda à Boris Eltsine en1999. Considérant la ‘‘chute de l’URSS comme la plus grande catastrophe géopolitique du 20ème siècle’’, il veut redonner à son pays l’influence qu’il avait du temps de l’URSS.

 L’actuel crise ukrainienne semblait annoncer un retour à la guerre froide. En 2012, l’Union européenne a signé des accords de libre-échange et d’association avec l’Ukraine. L’évolution du régime ukrainien suscita une guerre civile, dans le Donbass à l’est de l’Ukraine, qui oppose le gouvernement central aux opposants russophones soutenus par la Russie. Pour faire pression sur l’Ukraine, la Russie a procédé à partir du 1er Décembre 2021 à un déploiement massif estimé à 100.000 soldats à la frontière Est de l’Ukraine. Les Occidentaux accusent la Russie de vouloir envahir l’Ukraine. Moscou réclame la non adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, et la fin de son renforcement militaire aux frontières de la Russie. Réaction du président américain Joe Biden ; il  a décidé d’envoyer des renforts pour défendre les pays de l’Otan ‘‘contre toute agression’’. Il envoie, à cet effet, un premier contingent de soldats américains, en Pologne. Les Russes rappellent que lors du traité de Berlin de 1990 la non extension à l’Est de l’Otan a gagé la réunification allemande, que les révolutions orange furent des actes hostiles, que l’Ukraine n’a pas honoré ses engagements de l’accord de Minsk en 2015. Washington réplique, contestant la position russe. D’autre part, Moscou craint un encerclement de la Russie par les forces de l’Otan (voir Jawad Kerdoudi, chronique de l’IMRI « La crise Ukrainienne : Quelles pistes de sortie ? Ne risque-t-on pas l’ouverture d’un front militaire avec le grand chambardement qui suivra ?

La visite du Président français Emmanuel Macron à Kiev et à Moscou, le 7 février n’a pas annoncé un véritable accord de désescalade sur la crise ukrainienne. Le président français a proposé, à Vladimir Poutine de ‘‘bâtir des garanties concrètes de sécurité’’ pour tous les Etats impliqués dans la crise ukrainienne à l’issue d’un tête-à-tête de cinq heures à Moscou avec le président de la Fédération de Russie. ‘‘Le président Poutine, dit-il, m’a assuré de sa disponibilité à s’engager dans cette logique et de sa volonté de maintenir la stabilité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine’’. En réalité, ce langage diplomatique occulte l’échec de cette intervention.

Aggravation de la situation, le président américain, Joe Biden, a appelé jeudi 10 février,  les citoyens américains à quitter l’Ukraine ‘‘maintenant’’ en raison du risque accru d’une invasion russe. ‘‘Les choses pourraient vite s’emballer’’, a-t-il expliqué dans une interview à la chaîne NBC, répétant qu’il n’enverrait pas de soldats sur le terrain en Ukraine, même pour évacuer des Américains dans l’hypothèse d’une invasion russe, car cela pourrait déclencher ‘‘une guerre mondiale’’. ‘‘Quand les Américains et les Russes commencent à se tirer dessus, nous sommes dans un monde très différent’’, a-t-il affirmé. ‘‘Nous avons affaire à l’une des plus grandes armées du monde’’, a plaidé le président en référence à l’armée russe (Le Parisien, 11 février 2022).

Définition de cette donne stratégique par Jean Dufourcq :  ‘‘Ce spectacle anxiogène du théâtre stratégique des grands d’hier et d’aujourd’hui ouvre une année rendue confuse par un rebond pandémique mal venu. Il révèle un vrai déficit de sang-froid et de culture diplomatique’’, aggravé par ‘‘le ping-pong sino-américain sur le devenir de Taïwan’’ (voir l’intelligence du monde de demain).

P,S, La déclaration du président Biden, le 13 février,  montre qu’une riposte américaine sera à l’ordre du jour. Pouvait-on en douter ?