Ukraine, la guerre d'usure

Pr. Khalifa Chater

 

Les stratégistes étudient la guerre de l’Ukraine sous ses multiples angles : le déroulé des opérations sur le terrain, les aspects de guerre informationnelle, le sort des populations ou des infrastructures vitales. Ils élargissent également leurs regards à d’autres aspects, diplomatiques ou géopolitiques, qu’ils touchent la Russie, l’Europe, l’Amérique ou le reste du monde.

Un pays sous les bombes : Les forces russes marquent le pas en Ukraine. Alors qu'il était prédit une avancée rapide et forte de l'armée, les gains territoriaux en Ukraine se ralentissent. Vladimir Poutine n’a pas eu sa guerre-éclair, pour s’assurer l'invasion et la domination du pays. Le scénario le plus probable dans les semaines à venir est un contournement des grandes villes. Les analystes s’attendent à des offensives sur les flancs sud et est de l’Ukraine, pour faire une jonction. Les villes ukrainiennes se barricadent pour résister à l’assaut des envahisseurs. Dix millions d’ukrainiens ont quitté leurs foyers.   

Jusqu’ou ira Vladimir Poutine ? L'ancien ministre des Affaires étrangères et européenne Bernard Kouchner affirme que le président russe a besoin de montrer à son peuple une victoire.   Est-ce à dire que cette guerre repose sur des passions et non des intérêts ? Pour les Ukrainiens, pas de compromis en vue : Leur président affirme ; "Comme n'importe quel citoyen, je souhaite la paix. Je garde l'espoir qu'à l'avenir, on pourra retrouver la paix"...Mon pays et ses citoyens n'accepteront l'ultimatum russe que lorsqu'ils n'existeront plus" (interview diffusée sur franceinfo, 21 mars 2022)

Vladimir Helenski demande un soutien militaire à l’Europe, aux USA, à l’Otan et même à Israël, adhérant à sa position contre les Palestiniens. Mais leur soutien se limite parfois à l’envoi d’armement. N’occultons pas cependant la fermeté de l’Europe dans ses réponses économiques et financières à l’action du Kremlin

La guerre de communications :  Le vainqueur n’arrive pas toujours à imposer son récit. La Russie a ses puissants moyens de communication. Elle use des fakes news et organise des campagnes de désinformation. Pour elle, il ne s’agit pas d’une guerre mais d’opérations spéciales. Le réseau satellitaire Viasat est victime d’une cyberattaque. Depuis son orbite, à plus de 36 000 kilomètres au-dessus de l’équateur, le satellite KA-SAT permet de relier à Internet des dizaines de milliers de particuliers, d’entreprises et d’objets connectés divers à travers l’Europe. Mais le 24 février, au petit matin, des milliers de modems, ces appareils recevant le signal pour chacun des utilisateurs de ce satellite, ont subitement cessé de fonctionner, rendant impossible toute connexion à Internet. De plus en plus d’éléments pointent vers le sabotage d’un satellite, en lien avec le conflit ukrainien. Il serait le fait des Russes.

D’autre part, le gouvernement russe opéré des mises en scène, pour brouiller les pistes. Ses fake news propagent des rumeurs essayant de tromper son propre opinion et l’opinion internationale.

Malgré tout, l’Ukraine a réussi la bataille de la communication. Ses vidéos démentent le discours du président russe. Face à un ennemi supérieur militairement, l’Ukraine aura au moins réussi à gagner une première bataille : celle du récit. Depuis les premiers jours de l’invasion russe, et en partie grâce au silence de Moscou, Kiev est parvenu à susciter dans le monde entier un élan de sympathie massif pour la résistance ukrainienne à l’agression de son grand voisin. Kiev montre que la guerre est le résultat de la volonté de puissance destructrice de Vladimir Poutine. Ce qui suscita un élan de sympathie dans le monde. Le statut d’agressé est plus convaincant que le discours de l’agresseur. Les témoignages des victimes, ceux des réfugiés, des déplacés de leurs foyers et ceux qui continuent à vivre, sous les bombes et dont le quotidien est devenu un enfer.  Mais est-ce que les opinions publiques acquises à la cause ukrainienne pourraient entrainer un élan des gouvernements, en faveur de l’intervention, en faveur de l’Ukraine ?

Conclusion : Cette guerre de l’Ukraine érige-t-elle un nouvel ordre mondial ? Le président ukrainien tente de le confirmer. "Je pense qu'à l'avenir le monde va changer, il a déjà changé", a-t-il estimé. "Les hommes politiques ont déjà peur de leur propre peuple. Nous voyons que les citoyens peuvent agir, influencer sur ceux qui prennent des décisions." Selon lui, "à l'avenir, l'opinion publique sera plus forte que n'importe quel leader. Aujourd'hui, nous observons ce changement de paradigme vers une véritable démocratie, là où le peuple a le pouvoir" (interview diffusée sur franceinfo, 21 mars 2022).

Suite à la guerre de l’Ukraine, la guerre froide risque de se matérialiser. Elle peut dynamiser l’Otan. Les relations russo-américaines sont au bord de la rupture. L’Union Européenne adopte fait cause la tragédie ukrainienne et remet à l’ordre du jour le projet de sa militarisation, transgressant ses objectifs originaux.


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