Tunisie, la quête d’un traitement consensuel … !

Pr. Khalifa Chater

l'Economiste maghrébin, du 25 janvier au 8 février 2019

 

Nous partageons le diagnostic d’un observateur étranger : “ Nahdha er l’UGTT constituent les deux forces politiques du pays’’. La grève des fonctionnaires et du secteur  publique du 17 janvier et  les sit in et les manifestations, en sa faveur,  furent une véritable démonstration de forces, confirmant la position considérable de l’UGTT, dans l’échiquier tunisien.   Le jeu politique des acteurs secondaires (coalition nationale, Nida Tounes et les partis-groupuscules, nés des scissions successives au sein de leur parti fondateur) fomentent les aléas du régime, mais ne peuvent transgresser les rapports de forces effectifs. Le Front National, quant à lui, présente un diagnostic pertinent. Mais ses surenchères et ses utopies affectent l’accueil de son discours. Expression d’un consensus, les critiques évoquent volontiers l’échec de la politique sociale du gouvernement. D’autres plus pessimistes se demandent si la crise économico-sociale tunisienne n’est pas “une fatalité’.

Le derby du Sahel : Le Derby du Sahel suscite-t-il  des attentes ? Je ne parle pas du Derby sportif, ayant opposé, dans le terrain de Monastir,  l’Espérance et le Club Africain, mais du derby politique, en gestation, entre Nida et la Coalition. Nida compte tenir son congrès à Ksar Helal, rappelant  la réunion  du Néo-Destour, en 1934.  La Coalition parlementaire compte annoncer la création de son parti à Monasir.  

Fait évidents, les opérations engagées par Carthage et la Casbah et leurs relais respectifs (la coalition parlementaire et la direction autoproclamée de Nida) occultent, de fait, les attentes de “la révolution’’ tunisienne et tentent de compenser l’absence de programmes socio-économiques des différents protagonistes. Or, le mouvement protestataire et les sit-in  qu’il met en œuvre, rappellent la crise sociale, les exigences du panier de la ménagère, la précarité et le chômage. Ce mouvement a été pris en compte et conforté par les revendications de l’UGTT, relatives à la compensation de la baisse du pouvoir d’achat.

La grève de la fonction publique fragilise le gouvernement : Grande épreuve nationale et  défi décisif, la grève du 17 janvier rejoint le mouvement protestataire. Les négociations marathon entre le gouvernement et l’UGTT n’ont pas abouti. La centrale syndicale estime que le pouvoir était appelé à  répondre à ses  revendications légitimes. “Il ne s’agirait pas, a affirmé le secrétaire général de l’UGTT, d’une augmentation des salaires mais d’une compensation de l’affaiblissement du pouvoir d’achat’’ (discours place Mhamed Ali, 17 janvier). La délégation gouvernementale présenta un projet d’augmentation de salaires, conditionné par des versements différés. D’autre part, la deuxième tranché serait définie, comme une réduction fiscale. Ce qui exclut les retraités de l’amélioration des salaires, lors de cette tranche et dessert l’ensemble des fonctionnaires, dans le calcul de toutes les retraites. L’UGTT refusa cette aliénation des retraités. Fait significatif, aucune formation de l’alliance de fait du chef du gouvernement, ne s’opposa aux revendications syndicales.

La réussite de la grève fut incontestable. On s’accorda à parler d’une grève  “light et sans dérive’’. Mais faut-il occulter qu’elle constitua un affrontement avec le gouvernement. Le discours sans équivoque du Secrétaire général du syndicat et les slogans des participants, qui ont suivi les réunions,  place Mhamed Ali et devant les sièges régionaux de la centrale reflètent, la colère des grévistes et l’annonce d’une prise de position politique. Se référant au dictat du FMI, l’UGTT définit sa grève comme “une bataille pour défendre la souveraineté et non l’augmentation de salaires’’ (résumé significatif de la revue Chaab, l’organe syndical, 17 janvier).  Certains slogans réclamaient la chute du gouvernement. Les velléités du pouvoir d’exclure les retraités, - même partiellement selon la version du gouvernement ! -  s’opposent à la loi. Elles annihilent la quête de l’élargissement de l’électorat  de tous les protagonistes, obligés de se démarquer de sa vaine tentative. Faudrait-il ne pas identifier ses effets dans le moyen terme, lors des élections 2019 ? La reprise des négociations et la satisfaction des dirigeants de l’UGTT pourraient-elles éviter l’escalade et limiter la portée politique d’un processus de  revendications syndicalistes ?

 Mettre le débat à l’ordre du jour : L’actualité politique révèle une prise en compte de la gravité de la situation socio-économique. Les diagnostics au sujet de la faiblesse du pouvoir d’achat et la nécessité d’assurer un redressement économique sont désormais partagés par l’ensemble de la classe politique, du pouvoir et de l’opposition. Médias,  et experts les rejoignent.

La donne socio-économique devrait susciter le débat entre les différents acteurs. Comment sortir de la crise économique ? Comment réviser “l’ouverture’’ de nos marchés et mettre fin à nos relations asymétriques ?  Comment traiter la question de la chute du dinar et corriger la politique engagée par la banque Centrale, de concert avec le gouvernement ?  N’est-il pas nécessaire d’engager les réformes qui fâchent, en les faisant partager par les différentes composantes de la société ? Comment élargir le jeu politique aux experts de la nation ? N’est-il pas temps de revenir à la grille des valeurs de “la révolution’’ et de faire valoir ses enjeux ?

Comment transgresser cette situation, pour identifier un traitement consensuel de la situation ? L’instauration du débat serait en mesure d’assurer la recréation des partis, par la redéfinition de leurs programmes et leur engagement au service des citoyens.


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