Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 1 au 14 avril 2020

 

Après le coronavirus, il y aura des changements profonds, c'est la règleQuand l'épidémie sera terminée, on constatera que l'on aura dépoussiéré d'anciennes valeurs qui nous serviront à mettre au point une nouvelle manière de vivre ensemble” (Boris Cyrulnik,  France Inter, 16 mars 2020).  La mondialisation semblait être un processus irréversible. Le village monde  devenait une réalité.  Or, la pandémie actuelle  mt à l’ordre du jour une fermeture de frontières  une politique de repli. Ne risquerait-elle pas d’instituer la démondialisation ? Quels seraient les effets de cette pandémie ?

Les différents aspects de la mondialisation : la mondialisation, c’est l'échange généralisé entre les différentes parties de la planète, l'espace mondial étant alors l'espace de transaction de l'humanité” (Olivier Dollfus, La Mondialisation, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1997, 167 p.). Phénomène historique, puisque le développement des relations entre les peuples est fort ancien. Pendant le Siècle des Lumières, la diffusion de la presse, l'industrialisation et la colonisation ont entraîné des bouleversements, que Montesquieu analyse en ces termes : “Aujourd'hui nous recevons trois éducations différentes ou contraires : celle de nos pères, celle de nos maîtres et celle du Monde”. 

La grande nouveauté de la mondialisationn, fin XXe siècle, est la mise en place de technologies de l'information (TIC), en sources ouvertes ou fermées, à l'échelle mondiale, centralisées, via l'avènement de l'internet,  les réseaux sociaux et le mobile. Conséquences de cette mutation technologique, une plus grande internationalisation des marchés de capitaux. Ce mouvement qui s'était déjà accéléré dans les années 1960 et 1970, s’est traduit par la circulation des capitaux circulant sans l'intermédiation des banques, l'établissement de marchés financiers intégrés au niveau international, la financiarisation et le développement des entreprises multinationales et transnationales.  La diffusion de l'informatique grand public, le phénomène Internet  et les réseaux sociaux ont permis un accès pratiquement instantané à l'information.

Citons, d’autre part, le phénomène migratoire. En 2002, les États-Unis accueillaient le nombre d'immigrants le plus important de son histoire. En 2020 environ 3,5 % de la population mondiale vivent en dehors de leur pays d'origine. C'est environ 250 millions de migrants qui ont quitté leur pays d'origine, sur 7,7 milliards d'habitants dans le monde. La plupart des migrants vont dans des pays proches. Le tourisme participe également à ce phénomène de la mondialisation.

Mais la mondialisation suscite de plus en plus des critiques : En 1992, dans La fin de l’histoire et le dernier des hommes, Francis Fukuyama affirme que “ la nation va disparaître et que la technocratie et le marché vont gouverner seuls un monde pacifié dans le vivre-ensemble planétaire” (The End of History and the Last Man, Francis Fukuyama 1992. Nouvelle édition précédée d’un entretien avec Hubert Védrine, éd. Flammarion, Champs essais-Philosophie, mars 2018). Or, on se rend compte  que “ la « mondialisation heureuse», régie par la technocratie et le marché, est désormais une idée du passé” (Intervention d'Alexandre Devecchio, journaliste au Figaro, 3 décembre 2019cité  par Res publica, 3 décembre 2019). On constate, en effet, que  la mondialisation suscite des inquiétudes, vu l’hégémonie qu’elle permet aux puissances et aux sociétés multinationales : “La mondialisation prétendument heureuse mène à tout le contraire d'une société mondiale ; elle transforme le monde en une arène où des sociétés atomisées s'affronteront dans une guerre qui ne restera sans doute pas simplement commerciale” (Dominique Méda - Qu'est-ce que la richesse ? 1999 in http://www.toupie.org).  Autre analyse critique : “La mondialisation est une interférence, sans solidarité” (Edgar Morin, L’Obs, 18 mars 2020).

La mondialisation et le choc épidémique : Nous serions dans l’ère post-coranavirus. Le COVID-19  a été identifié pour la première fois le 31 décembre en Chine. Deux mois et 13 jours plus tard, le virus s’est propagé, à travers le monde,  conséquences de la mondialisation. Les principaux pays affectés sont la Chine, la Corée du Sud, l’Iran, l’Italie, l’Espagne et la France. L'Europe est devenue "l'épicentre de la pandémie, selon l'OMS. Des cas sont signalés partout ailleurs. La plupart des pays touchés par le virus sont confinés et vivent leurs quarantaines. “Pour s’en sortir, il faut s’enfermer” affirment un jour le journal humoristique français (Le Canard enchainé, 18 mars 2020). Outre le repli nationaliste, les pays coupent la chaine de transmission et ferment leurs frontières. Donald Trump, qui avait déjà décidé d'interdire les vols depuis la Chine,  a annoncé, dés 11 mars,  la fermeture des frontières aux Européens. Il a trouvé un parfait bouc émissaire à la crise aux États-Unis" (analyse de la journaliste Agnès Vahramian). Dans la foulée, l’Amérique Latine s’isole,  pour endiguer le coronavirus. En Europe, la Pologne, le Danemark et la Tchécoslovaquie, ont fermé leurs frontières aux étrangers. L'Autriche a mis en œuvre la quasi-fermeture de sa frontière avec l'Italie en instaurant des contrôles rigoureux, dans le sud du pays, aux points de passage. Fermeture des frontières de l’Egypte, imposition, en Tunisie de la mise en quarantaine de 14 jours à toute personne arrivant de l’étranger sans exception, En Cisjordanie, les séjours touristiques sont interdits. Les  visas sont annulés et les bateaux sont interdits en Inde. Partout les gouvernements imposent la quarantaine partielle ou complète. La géopolitique de la peur semblerait mettre à l’ordre du jour la démondialisation.

Avis opposé et voix isolé, mais d’avant-garde ; Jacques Attali, ce prêtre du mondialisme, voyait dans une « pandémie » le moyen d’instaurer un gouvernement mondial, une police mondiale et une fiscalité mondiale. Faisant valoir ses vues exprimées dés 2019, il les conforte par l’évocation de la pandémie actuelle, comme le facteur de cette donne : “ La pandémie qui commence pourrait déclencher une de ces peurs structurantes ”, car elle fera surgir “ mieux qu’aucun discours humanitaire ou écologique, la prise de conscience de la nécessité d’un altruisme, au moins intéressé”. En conclusion, il rappelle que “c’est d’ailleurs par l’hôpital qu’a commencé en France, au XVIIe siècle, la mise en place d’un véritable Etat”.

Conclusion : La fermeture des frontières mettrait ainsi en cause la mondialisation. Mais ses fonctions essentielles : financement, échanges, libre circulation des circulations se poursuiveraient. Elles seraient vraisemblablement ralenties par la vie chez soi, l’auto-isolement des sociétés et des pays. Mais les effets de la révolution de l’information : services internet, réseaux sociaux et mobiles ne peuvent être affectés. Ils continueront à permettre la proximité des régions distantes. De ce fait la démondialisation, dans ses aspects concernant la fermeture des frontières ne peut qu’être passagère, conjoncturelle, répondant à une obligation temporaire. Trop d’intérêts sont en jeux. Ils assureraient plutôt le développement de la mondialisation.