Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 13 au 27 mai 2020

 

La pseudo révolution libyenne, soutenue  militairement par l’Otan, exprimant  le jeu politique franco-britannique  a mis fin au régime de Kadhafi. Elle  annihila le pouvoir central et ses différents instruments, mettant à l’ordre du jour une guerre civile, confortant le retour au tribalisme. Deux pouvoirs se disputent désormais : le gouvernement du maréchal Haftar, à l’Est et le gouvernement Serraj, en Tripolitaine, otage de fait des milices armées, appuis de la mouvance islam politique. La  guerre civile se poursuit et annonce le démembrement du pays. La Lybie vit un statu quo tragique.

La Lybie victime du jeu régional : Les acteurs lybiens sont l’enjeu des puissances régionales et internationales. Le maréchal Hafter, soucieux de créer un Etat moderniste, optant pour une idéologie de progrès et d’ouverture est soutenue par l’Egypte et les Emirats. Il bénéficie de la compréhension de la Russie, de la France, de l’Italie et des Etats-Unis. Par contre,  le gouvernement Serraj, fait valoir sa vision islamique nostalgique. Il est de fait soutenu par Qatar, la Turquie et la mouvance islamique. La signature, le 27 novembre 2019, d’un  protocole "de coopération militaire et sécuritaire" entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et le chef du Gouvernement libyen d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj, lors d’une rencontre à Istanbul, affecte l’ordre libyen et maghrébin. Certes, les clauses n’ont pas été révélées. Mais il assure le soutien politique et militaire turc, aux autorités de Tripoli. Le président Erdogan reconnait, d’ailleurs,  l’aide turque apportée à Fayez al-Sarraj et sa volonté de  rééquilibrer la situation face aux forces de Khalifa Haftar, établis à l’est. Cette accord affecte la guerre civile libyenne et entrave la quête d’un accord.  D’autre part, Il confirme et développe la réactivation de la politique ottomane, au Maghreb et au Moyen-Orient. La Turquie confirme ses velléités d’envoyer des troupes de secours, pour soutenir le pouvoir de Serrage. Dans le cadre de cette stratégie, on évoque le transfert de terroristes daéchiens de Syrie en Lybie, avec leur possible introduction en Tunisie, en Algérie et bien au-delà. D’ailleurs, des observateurs affirment que la Turquie commença à ravitailler en armes et en munitions, le gouvernement Sarraj.

La guerre civile se perpétue. Tous les projets d’accord entre les belligérants ont échoué. Comment sortir de l’impasse  alors qu’ils veulent faire valoir militairement leurs positions ? Le maréchal Haftar et son rival Fayez al-Sarraj, chef du Gouvernement d’union nationale (GNA) se sont rencontrés en mai 2017 à Abu Dhabi. Tous deux avaient alors convenu d’organiser des élections avant fin 2019 et de la formation d’un nouveau gouvernement dans lequel le maréchal sera représenté. Cette rencontre est la deuxième entre les deux hommes depuis janvier 2016 et la désignation de Sarraj à la tête du GNA, installé à Tripoli (ouest) mais dont l'autorité n'est pas reconnue par l'homme fort de l'est du pays. Simultanément, la Libye se préparait à la tenue dans quelques jours d’une conférence nationale sous l’égide de l’ONU à Ghadamès (sud-ouest) censée établir une nouvelle feuille de route pour sortir le pays du chaos. L’initiative de l’émissaire de l’ONU pour la Libye, Ghassan Salamé, échoua. Ce qui suscita sa démission.

Le maréchal Haftar, se lança dans la dans la conquête de la tripolitaine. Ses partisans  pariaient sur une guerre éclair pour la conquête de Tripoli. Après dix jours de combats aux portes de la capitale, on se dirigea pourtant vers une longue guerre d’usure, comme en témoignent la prise puis la perte et la reprise de l’aéroport international par ses hommes. L’offensive d’Haftar a entraîné une réunification des forces islamistes et des milices qui soutiennent le gouvernement d’union nationale du Premier ministre Sarraj. Bien que fragmentées, ces différentes forces ont trouvé un consensus conjoncturel dans l’opposition au maréchal. L’intervention massive des forces dépêchées par la Turquie a assuré un rééquilibrage des rapports de forces. On est dans une phase d’enlisement.

Fait nouveau, lors d’une allocution télévisée, le 27 avril 2020, Khalifa Haftar s’est autoproclamé seul dirigeant de la Libye. Actant la mort de l’accord de Skhirat du 17 décembre 2015, le maréchal a décrété caducs les organes politiques associés : le gouvernement d’union nationale (GUN) de son ennemi Fayez al-Sarraj et le Haut Conseil suprême (l’équivalent d’une chambre haute législative) installés à Tripoli, ainsi que l’Assemblée du peuple (chambre basse), basée à Tobrouk, à qui il doit pourtant son grade militaire.  Aussitôt, il proposa une trêve dans la bataille de Tripoli, qu’il avait lui-même lancée le 4 avril 2019. Que faut-il en penser ? Points de négociations en vue. Dépendant du pouvoir ottoman, le gouvernement Serraj se plie à ses volontés. Le traitement politique de la question libyenne pourrait remettre en cause, ses velléités d’expansion.

La perception du conflit libyen par le voisinage : L’Egypte, l’Algérie et la Tunisie sont  directement concernés par la situation en Libye. Vu l’hostilité d’Erdogan, au président Sissi, l’Egypte craint le développement de cette alliance  turque avec un pays riverain. D’autre part, ses analystes estiment que l’accord permettrait d’établir des bases turques et confirmerait le stratégie de chantage d’Ankara qui  affecte  l’enjeu panarabe, que défend l’Egypte. L’Algérie et la Tunisie estiment que ce conflit est une menace directe sur leurs  frontières « L’attaque du site gazier d’In Amenas en janvier 2013 a été ainsi conduite par des djihadistes en provenance du territoire libyen…Par ailleurs, l’Algérie privilégie toujours la solution politique aux conflits, en s’appuyant sur les institutions comme les Nations unies ou l’Union africaine. » (Jean-François Daguzan , Chaos en Libye : mais que fait (et que veut) l'Algérie ? in Atlantico 3 avril 2020)D’autre part, Sabri Boukadoum, son ministre des affaires  étrangères, déclara, lorsque le parlement turc a approuvé le 2 janvier 2020, une motion permettant au président Recep Tayyip Erdogan d'envoyer des militaires en Libye pour soutenir le gouvernement de Tripoli. :  "L'Algérie n’accepte aucune présence étrangère sur le sol du pays voisin et cela quel que soit le pays qui veut intervenir… la langue de l’artillerie ne peut être la solution. Cette dernière réside dans un dialogue sérieux entre les belligérants avec l’aide des pays voisins, notamment l’Algérie", L'Algérie et la Libye ont une frontière commune longue de près de 1000 km…. La démarche turque qui vise à déployer des troupes sur le sol libyen internationalise la crise de fait et met l’Algérie devant le fait accompli".

En Tunisie, la crise lybienne suscite de vives inquiétudes. Il y a une alerte maximale à sa frontière avec la Libye. L’opinion publique semble partagée : Les modernistes estiment volontiers que Haftar peut constituer une frontière contre l’islamisme. Mais d’autres souhaitent vivement la victoire du gouvernement Sarraj. Cette situation explique la confusion du pouvoir politique : Allié d’Erdogan et par conséquent du gouvernement Serraj, Nahdha ne comprend pas les réserves du gouvernement et de la présidence de la république. De ce point de vue, la neutralité tunisienne relève plutôt du discours officiel. Cette situation  divergente explique les difficultés de l’intervention des pays du voisinage, en faveur d’une recherche de solution politique à ce statu quo tragique. Elle ne dépassa pas ses effets d’annonce.