Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 27 mai au 10 juin 2020

 

La crise des Etats rentiers : Les pays arabes du Golfe étaient  devenus des acteurs majeurs de l'économie mondiale, grâce à la manne pétrolière. Les six membres du Conseil de coopération du Golfe (Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie saoudite, Émirats arabes unis), fournissaient le quart de la demande mondiale. Or, l’effondrement du prix du pétrole, précipité par la pandémie,  a provoqué la crise des Etats rentiers du Golfe, conséquence de l’effondrement de leurs économies. Ce qui affecta la structure de ses Etats, qui faisaient valoir une élite de techniciens, sans vision politico-culturelle. Cette crise remet à l’ordre du jour les intellectuels, appelés dans ces circonstances, à analyser la situation de leurs pays, à leur identifier un nouvel avenir. Désormais redimensionnés, les Etats du Golfe limitent leurs ambitions, leurs stratégies d’expansion et d’interventions à l’extérieur, tous azimuts. Ils  sont désormais plutôt confinés, plus préoccupés de s’occuper de leurs affaires internes. Est-ce à dire que la Syrie, le Yémen et Qatar vont bénéficier d’un certain répit ?

Ces pays, qui sont regroupés dans le Conseil de coopération du Golfe (CCG), devraient enregistrer cette année leur plus faible croissance du PIB depuis 2009, a +0,5 %, a prédit le FMI, le 31 octobre 2017. « C'est aujourd'hui le moment opportun pour eux d'accélérer la diversification de l'économie hors du secteur pétrolier. Il faut promouvoir un rôle accru du secteur privé pour soutenir la croissance et créer davantage d'emplois", a déclaré à l'AFP le directeur pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord au FMI, Jihad Azour. "Préparer les économies à l'ère post-pétrole devient une priorité pour toute la zone du Golfe", a-t-il insisté.

Comme le souligne le Fonds monétaire international (FMI) dans un rapport publié en octobre 2014, faute de revenus pétroliers suffisants pour employer une population en pleine croissance, "le chômage pourrait augmenter dans les prochaines années". Près de 30% des jeunes vivant en Arabie Saoudite étaient déjà au chômage en 2012. Les revenus tirés de la vente du pétrole leur ont permis de construire des villes ultramodernes au milieu du désert, en employant, leur main d’œuvre et  en faisant appel au savoir-faire d'entreprises étrangères et d'expatriés, qui composent plus de 75% de la force de travail des sociétés privées dans la région, souligne l'agence Bloomberg sur son site web dans un article daté du 8 mars. Les pays du Golfe font doivent, d’autre part,  stimuler l'entrepreneuriat local car ils ne peuvent plus employer dans le secteur public suite à la baisse des cours du baril de Bren.  « La chute des cours du pétrole pousse les pays du Golfe à booster l'entrepreneuriat », affirme Lélia de Matharel (mars 2015, in l’usine digitale.fr).

Conclusion évidente, Les pays du Golfe doivent s’habituer à un pétrole à bas prix affirment les experts.  « Ils vont devoir se réinventer rapidement s'ils ne veulent pas voir disparaître leur patrimoine financier » affirme BFM Businesse, 8 février 2020.

Les enjeux libyens : La Lybie, à l’instar de la Syrie et du Yémen, est devenue un champ de bataille entre les grands acteurs régionaux. Alors que Qatar et la Turquie, défendent le gouvernement Serraje, vu leur approche idéologique, en faveur de l’Islam politique, les Emirats et l’Egypte soutiennent le maréchal Haftar. Les richesses pétrolières lyciennes expliquaient les positionnements des acteurs internationaux. L’analyste doit prendre en compte, les positions opportunistes et les alliances en conséquence.  La Russie  et la France soutiennent Haftar. Par contre le Royaume Uni serait plutôt favorable au gouvernement Serraje. Les USA, inquiets de l’entrée en scène de la Russie, ont des positions mitigées, entre Haftar, le choix du cœur, qu’ils ont accueilli, pendant son exil et le gouvernement Serraje. La déclaration de l’ambassadeur américain confirme une certaine prise de distance. Tout en critiquant la participation de 2000 mercenaires russes, au combat avec Haftar et en demandant l’arrêt de son attaque de Tripoli,  il rappelle que le président Trump, a pris contact avec le maréchal Haftar et reconnu son rôle dans la lutte contre le terrorisme et sa sauvegarde des richesses pétrolières de Lybie. L’ambassadeur fait valoir une solution politique de la guerre civile (AL-Quds al-Arabi, 17 mai 2020). D’autre part, l’Italie cherche à garder ses avantages traditionnels. Bien entendu, ces positions sont rarement avouées. Il y a les discours et les faits, les relations underground et les déclarations publiques.

Que faut-il penser de la déclaration du Secrétaire général de l'Alliance Atlantique, qui a affirmé, le 14 mai 2020, dans une interview au quotidien italien La Repubblica.que l'OTAN est disposée à venir en aide au « gouvernement légitime » en Libye, estimant « qu'il n'est pas possible de mettre dans le même sac le gouvernement al-Sarraj, reconnu par l'ONU, et Haftar ». Il explique sa position, par l’appartenance de la Turquie à l’Otan.  Cette position serait plutôt diplomatique, non partagée par les principaux membres de l’Otan, qui ont, à maintes reprises, formulé des réserves sur la politique turque d’expansion. 

La réalité est d’ailleurs bien plus complexe, l’effondrement du pétrole est appelé à freiner l’intervention du Qatar et à redimensionner les intérêts de la Lybie. Par contre, l’alliance du gouvernement Serraje avec les milices terroristes, la mouvance islamique et son appui des mercenaires daéchiens, envoyés par la Turquie inquiètent le voisinage et les pays nord-méditerranéens. Une alternative politique serait-elle envisageable ?