Pr. Khalifa Chater

 

Notions préliminaires : La puissance est une notion centrale et structurante des relations internationales. Elle est définie comme une interaction. On retrouve cette idée chez Kenneth Waltz, pour qui « un agent est d’autant plus puissant qu’il affecte les autres plus que ceux-ci ne l’affectent ». Elle a désormais, dans une large mesure, perdu sa connotation militaire.  A l’heure de la mondialisation, elle constituerait plutôt un softpower. Ce qui n’exclut pas les relations asymétriques qu’elle détermine, avec ses partenaires.

Au Moyen-Orient, les positions des USA sont déterminantes. La Russie et la Chine exercent un jeu concurrent. L’Union Européenne joue davantage sa carte économique, tout en imposant à ses partenaires des relations asymétriques.  Avec l’arrivée de Joe Bilden, une nouvelle politique américaine s’esquisse au Moyen-Orient.

L’occultation de la stratégie du grand Moyen-Orient : « L’anarchie créatrice » devait construire le grand Moyen-Orient. La destruction du régime irakien s’inscrivait dans cette politique. Redimensionnant une puissance régionale, hors de l’alliance américaine. Le « printemps arabe » devait parachever cette politique. L’alibi de la démocratisation avait le même enjeu. Il était servi par la puissance américaine, son relai qatari et exploité par la Turquie qui voulait réactualiser l’ottomanisation. Le départ de Hosni Moubarek, l’éclatement de la Syrie et la remise en cause du président Assad et la chute du régime libyen devaient servir le même enjeu. Nouvelle politique américaine, Joe Biden a remis en cause les options de la présidente Clinton et du président Trump.  L’abandon de l’alliance avec l’Islam politique et la dénonciation des dérives terroristes établissent une prise de distance. Désormais les USA ont de bons rapports avec le président Sissi, qui a mis fin au gouvernement islamiste et confirment leurs prédispositions en faveur de l’Arabie Saoudite et des Emirats.

Vers une révision de la politique américaine avec l’Iran ? C’est le dossier nucléaire iranien qui concentre aujourd’hui l’attention internationale. Un accord global, dit JCPOA, fut signé le 14 juillet 2015 après de longues négociations par la France, le Royaume Uni, l’Allemagne qui permirent de réintégrer l’Iran dans le jeu régional et international. Arrivé au pouvoir, Donald Trump annonça, le 8 mai 2018, le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord.   Les États-Unis accrurent alors leur pression sur le pays en accentuant les sanctions à son encontre. Les discours de la campagne du président Biden laissaient entrevoir une volonté de relancer le dialogue avec Téhéran, tout en ne laissant pas le champ tout à fait libre à Riyad et Tel-Aviv, hostiles à l’Iran. Elu, Joe Biden annonça sa volonté de reprendre des négociations avec l’Iran. Ils sont actuellement en cours, entre les signataires du premier accord. Les dirigeants iraniens exigent l’arrêt préalable de toutes les sanctions, les États-Unis posent la condition que Téhéran en revienne immédiatement au respect des engagements contenus dans l’accord de 2015. Mais les observateurs sont optimistes.

Autre acte significatif, Joe Biden a mis fin, jeudi 4 février 2021, au soutien américain à la coalition saoudienne au Yémen « Nous renforçons nos efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre au Yémen », «  qui a créé une catastrophe humanitaire et stratégique », a déclaré le président des États-Unis dans son premier discours de politique étrangère, au département d'État. « Cette guerre doit cesser », a-t-il martelé, confirmant la nomination d'un diplomate, comme émissaire pour le Yémen. Riyad soutient militairement le gouvernement yéménite contre les rebelles houthis, appuyés par l'Iran. Washington va donc annuler la vente controversée à Riyad de « munitions de précisions », décidée à la fin du mandat de l'ex-président républicain, qui a toujours soutenu, le royaume saoudien. Joe Biden, qui remet en cause ce soutien à l'Arabie saoudite, redessine la stratégie des États-Unis au Moyen-Orient.

Le jeu des acteurs régionaux : Esquisse d’un changement de la nature des relations entre L’Arabie Saoudite et l’Iran. L’Arabie Saoudite considérait l’Iran comme une menace pour le royaume et l’accuse d’alimenter l’insécurité régionale par son développement d’un «arc chiite » (Iran - Irak - Syrie - Liban), pour son soutien aux Houthis au Yémen et son aide confidentielle à l’insurrection au Bahreïn. Les relations entre les deux pays étaient rompues depuis 2016.  Position nouvelle du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane « L’Iran est un pays voisin et tout ce que nous souhaitons c'est (d'avoir) des relations bonnes et spéciales avec l’Iran », a-t-il déclaré, le 29 avril 2021. Réponse de l’Iran : Elle s’est félicitée du « changement de ton » saoudien. L’Iran et l'Arabie saoudite acceptent enfin de se parler Des négociations entre les deux puissances régionales rivales sont d’ailleurs à l’ordre du jour.

D’autre part, le Moyen-Orient a été marqué par le jeu concurrentiel entre Qatar et la Turquie d’un côté, l’Arabie Saoudite et Les Emirats de l’autre, alimentant la bipolarité idéologique. Qatar a surdimensionné son rôle, s’investissant dans la réalisation du « printemps arabe ». Ses richesses pétrolières et sa chaine Algésira lui permirent de livrer un combat continu contre les régimes établis, en Tunisie, en Egypte, en Syrie, en Libye et au Yémen. Mais son statut de simple relai de puissance ne pouvait inscrire sa politique dans le long terme. Sa réconciliation avec ses partenaires-protagonistes pétroliers du Golfe et l’opposition désormais évidente des USA à l’islam politique devaient mettre fin à sa surenchère, qui ne pouvait être que conjoncturelle.

En ce qui concerne la Turquie, elle dut réviser sa politique d’expansion, prenant acte du changement des positions des puissances, illustré par la demande de l’évacuation de ses troupes de Libye, de l’affirmation du pouvoir égyptien et de la fermeté de ses alliances. Elle dut se réconcilier avec le Président Sissi, opposé à sa mouvance idéologique. D’autre part, l’ampleur de la critique interne du président Erdogan change la donne.  La Turquie se rapproche désormais de l’Ukraine et du Royaume-Uni.   « Il est probable, affirme un grand analyste, que la Turquie cherchera dans les prochains mois à temporiser en Méditerranée et à s’afficher comme un allié « modèle » de l’OTAN, quitte à rebasculer ses efforts vers la Syrie, l’Irak ou le Caucase qui sont revendiqués comme faisant partie de la « Grande Turquie » par des proches du président (Arnaud Peyronnet, La Turquie en recherche de partenariats : nouveaux axes stratégiques en Méditerranée orientale, l'institut FMES., avril 2021)