Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, n° 767, du 29 mai 2019

 

La fin du “printemps arabe’’ ? La décision des USA  de retirer leurs militaires de Syrie, où ils étaient déployés pour combattre le groupe Etat islamique (EI) aux côtés des Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition arabo-kurde, annonce-t-elle la fin du printemps arabe ?  Le président américain Trump a estimé sur Twitter avoir atteint son objectif en Syrie qui était de "vaincre le groupe Etat islamique". "Nous avons vaincu le groupe Etat islamique en Syrie, la seule raison pour moi pour laquelle nous étions présents pendant la présidence Trump". Des observateurs américains ont salué la volonté du président de ne pas intervenir au Moyen-Orient pour « reconstruire des Etats » après les combats. « Nous ne sommes pas là pour recréer une nation » au-delà de la lutte contre l’Etat islamique, revendique aussi l’éditorialiste conservateur Eric Bolling sur The Blaze, en lançant un « Bravo ! » à Donald Trump.

Ce retrait signifie-t-il l’affirmation de la dynamique interne ? Al-Assad sort certes victorieux de cette guerre de salut public, qu’il a dû engager contre des acteurs régionaux et internationaux. Les pays du Golfe, à l’exception de Qatar, ouvrent leurs ambassades à Damas et seraient favorable à la fin de la suspension de la Syrie de la ligue des Etats arabes. Mais Ankara a menacé de mener une offensive avec ses alliés rebelles syriens contre les forces kurdes dans cette région, à Minbej. Face à ce péril, les forces kurdes ont fait appel à Damas.  Dés le vendredi 28 décembre, l’armée syrienne, répondit à leur appel,  consolidant ainsi son pouvoir. Pourrait-elle mettre en échec  les velléités  d’Ankara, qui tente de faire valoir sa stratégie d’intervention, auprès de Washington et de Moscou ?

Tunisie, transgresser le statut quo … ! Le peuple est conduit par la misère aux révolutions et ramené par les révolutions à la misère’’.  Cette citation de Victor Hugo, dans les réseaux sociaux  traduit l’inquiétude des Tunisiens et leurs désillusions post-révolution. Mais ramenons la situation à ses justes proportions : C’est le despotisme et non la misère qui ont provoqué le soulèvement tunisien. D’autre part, il serait exagéré d’évoquer une misère actuelle du pays. Nous pouvons certes parler de précarité, de baisse du pouvoir d’achat, de dépréciation du dinar. Mais la colère tunisienne s’expliquerait essentiellement par la non-satisfaction des attentes et l’absence d’une politique de sauvegarde des conditions de vie et de promotion globale.

Les acteurs de “la révolution’’ tunisienne croyait que le pouvoir était dans la rue. Ils ont manifesté, s’étaient exprimé, ont affirmé leurs revendications et formulé leurs rêves. L’illusion d’un Etat nouveau s’est brisée avec le régime de la troïka. “Comment penser librement à l’ombre d’une chapelle’’, disait un progressiste. Les élections de 2014, marquèrent une inversion de tendances. Mais la concorde entre les ennemis d’hier restaura les équilibres fondateurs des deux grands partis au pouvoir. “Dérive du régime’’, affirma un critique, on laissa les programmes sociaux aux vestiaires et on accorda la priorité  à la participation au gouvernement  et à la répartition des ministères. Vivant un présent déroutant, indéfinissable, la société  exprima sa résignation et ses inquiétudes.

Dans son entretien télévisé accordé à Attessia TV,  vendredi 21 décembre 2018, le Chef du gouvernement Youssef Chahed a évoqué la conjoncture économique difficile. “Nous avons réduit le déficit budgétaire à 4,7% en 2018 alors qu’il était de 7% en 2016. C’est notre priorité. Concernant le prêt du Fonds Monétaire International (FMI), il sera remboursé en 2020. Il faut savoir que si le FMI entre dans un pays, c’est que ça va mal. Nous devons commencer par stopper l’hémorragie des finances publiques et nous y arriverons. Sans les efforts que nous avons fait au niveau du déficit budgétaire, nous aurions pu enregistrer une inflation à 10%’’.  Les programmes annoncées occultent la question du pouvoir d’achat et la crise sociale, éléments essentiels de l’argumentaire des protestataires.

Réaction du président de la république à l’annonce d’un mouvement de protestation de certaines régions, il a réuni  vendredi 28  décembre matin, le président de l’ARP et le chef du gouvernement, les premiers dirigeants de l’UTICA et de l’UGTT ainsi que des partis formant la coalition gouvernementale. Au cours de conseil de la république informel, la situation sécuritaire et économique du pays a été évoquée. “Les blocs parlementaires, dit-il,  qui ont soutenu le remaniement ministériel sont autant responsables que le gouvernement dans la détérioration de la situation économique et sociale’’.

On releva que chef de l’Etat opta pour “le parler vrai’’.  Il tira la sonnette d’alarme, et évoqua les attentes prioritaires. A l’écoute des tensions sociales, il demanda au gouvernement et aux partis qui le soutiennent d’y faire face. “ Vous êtes aussi responsables pour trouver des solutions. Dans la politique, c’est le résultat qui compte. Et, désormais, les résultats sont mauvais ’’. Au-delà de la lutte entre Carthage et la Casbah er leurs relais (Nida, la coalition nationale), le parti Nahdha et des organisations nationales (UGTT et UTICA), pourrait-il ainsi réconcilier la classe politique avec  la population, par cet appel à la redéfinition des programmes gouvernementaux ?   

Comment transgresser cette attitude d’attente, d’un pouvoir qui diffère la prise des décisions, le traitement des questions qui dérangent, qui s’accommode d’un statut quo qui remet en cause les espérances du soulèvement de 2009-2011 ? “La vie, ce n’est pas d’attendre que les orages passent’’, disait Senéque. Dans le cas de l’actualité tunisienne, de nouveaux orages sociaux s’annoncent. Le gouvernement pourrait-il faire face aux défis de l’année 2019, qui s’annonce difficile ?