Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 13 au 27 novembre 2019

 

“Etre libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres“. (Nelson Mandela, aout, 2000).


La réactivation de la révolution tunisienne et les contestations en Algérie, au Soudan, en Irak et au Liban ouvrent une nouvelle page, dans l’aire arabe. Par contre, conséquence de la dérive du “printemps arabe”, la Lybie, la Syrie et le Yémen vivent des guerres internes, alimentées par les acteurs de la géopolitique internationale et leurs relais de la géopolitique régionale.

Une nouvelle conjoncture tunisienne ? Les élections présidentielles et parlementaires ont été marquées par la défaite des grands acteurs au pouvoir et dans l’opposition : La Tunisie a désormais un président indépendant, dont le slogan est : “Le peuple veut” : Les attentes nationales sont désormais à l’ordre du jour. D’autre part, la jeunesse monte sur le piédestal de l’action politique. La défaite du parti du gouvernement Yahya Tounes est confirmée par la montée du parti de Kalb Tounes, du Tayar et du chaab. Nahdha se ressaisit et occupe le plus grand nombre de sièges de députés (52 sur 209). Elle a besoin d’élargir ses alliances avec les acteurs qui ont émergé. Tous les partis doivent s’accommoder d’un programme qui accorde la priorité au traitement du développement économique et de la crise sociale. Leurs slogans de campagne font valoir cet impératif. Mais n’occultons pas le risque de leurs transgressions.

Algérie, une réactivation du harak : La sortie des Algériens dans la rue, le 22 février et le développement des marches de protestations, depuis lors, tous les vendredi, ont remis en cause la légitimité du président Abdelaziz Bouteflika. Il fut contraint à présenter sa démission. Désormais le pouvoir ; représenté par le chef d’état-major Caïd Salah fait face à la contestation qui perdure, revendiquant le départ de tous les symboles du pouvoir d’antan. Nouveau slogan de la contestation, vendredi 1er novembre : “ indépendance ! Indépendance ! ”. Ce jour férié, fête nationale, anniversaire du début de la guerre d’indépendance – le 1er novembre 1954 –, a donné une tonalité particulière à ce 37e vendredi de protestation, nouvelle illustration de la profondeur du Hirak, le mouvement populaire contestant le régime en place. Outre la capitale, des foules massives se sont rassemblées à Oran, Constantine, Annaba, Mostaganem, Blida, Tipaza, Dellys, Bejaïa, Tizi-Ouzou, Sidi Bel Abbès…“On a eu une indépendance confisquée, explique l’un des manifestants. C’est toujours l’armée qui dirige. L’administration civile n’est qu’une façade. Le peuple veut un Etat civil, pas militaire”. Autre revendication opératoire, le peuple veut la chute du chef d’état-major Gaïd Salah. Les élections annoncées semblent boycottées par les contestataires. Comment sortir de l’impasse ?

Liban, vers un nouveau régime : Depuis le 17 octobre, le Liban connait des contestations sans précédent contre la classe dirigeante, jugée “corrompue, incompétente et sectaire”. Brandissant des drapeaux libanais, allumant des fumigènes, les manifestants rassemblés place des Martyrs au cœur de la capitale reprenaient les slogans phares de la contestation: “Révolution ! ” et “Le peuple veut la chute du régime”.

Le mouvement, qui a mobilisé des centaines de milliers de Libanais, toutes communautés confondues, a déjà entrainé la démission, le 29 octobre, du Premier ministre Saad Hariri mais la formation d'un nouveau gouvernement se fait toujours attendre. Les contestataires rejettent toute demi-mesure, réclament un changement de fond en comble du régime politique en place, dominé depuis des décennies par les mêmes partis ou familles qui revendiquent la représentation des différentes communautés religieuses du pays.

Le système, qui a été redéfini à la fin de la guerre civile (1975-90), repose sur un fragile équilibre de partage communautaire du pouvoir. Ce système confessionnel est accusé d'être à “l'origine d'une corruption et d'un clientélisme rampants”. Ces derniers jours, les contestataires ont installé des barricades sur de nombreuses routes à travers le pays, “ se livrant au jeu du chat et de la souris avec la police antiémeute”.

Irak, l’affrontement entre le pouvoir et les manifestants : La contestation du pouvoir, engagée depuis le 1er octobre, se poursuit. Alors qu’elle critiquait la situation sociale et dénonçait la pression fiscale, lors de son déclanchement, elle se mutait en opposition au pouvoir. Elle demande désormais la démission du gouvernement, la dissolution du parlement et l’organisation de nouvelles élections. Les militants multiplient, d’ailleurs, les appels à un mouvement de désobéissance civile. D’autre part, la déclaration de grève générale du syndicat des enseignants paralyse le pays. Le président Barham Saleh a proposé, jeudi 31 octobre, des élections anticipées, loin des espérances du mouvement de contestation qui réclame la “chute du régime” tout entier. La contestation a été marquée par des violences meurtrières (plus de 250 morts). Rencontrant les chefs des partis, depuis quelques jours, le Président a affirmé que le Premier ministre “Adel Abdel Mahdi, sur la sellette, était d'accord pour démissionner” à condition que les blocs au Parlement s'entendent sur un remplaçant, ce que ces derniers ne parviennent pas à faire”. Les principaux blocs au Parlement et les membres de la coalition gouvernementale sont d’ailleurs divisés. D'un côté, le chiite Moqtada Sadr s'est montré au milieu des manifestants. De l'autre, Hadi al-Ameri, chef des paramilitaires pro-Iran du Hachd al-Chaabi, s'est aligné sur l'Iran “pour qui le vide mène au chaos”. Fait significatif, critique vraisemblable de l’allégeance, les manifestants ont attaqué le consulat iranien à Kerbala, le 3 novembre. Ils auraient abattu le drapeau iranien pour le remplacer par le drapeau irakien.

Les manifestants mobilisés jour et nuit à Bagdad et dans des villes du Sud assurent qu'ils ne rentreront chez eux qu'une fois leurs exigences satisfaites: une nouvelle Constitution et un départ de l'ensemble de la classe politique jugée corrompue et inapte. “Ni partis sunnites, ni partis chiites, mais une patrie”, proclament les manifestants. On parle même de l’élaboration d’une nouvelle constitution, transgressant les divisions religieuses et ethniques.