Pr. Khalifa Chater

 

 

Comment interpréter le processus engagé le 25 juillet ? Prenant acte du soulèvement populaire contre le parti Nahdha, le président Qais Saïd a suspendu le parlement et licencié le gouvernement Méchichi. Cette mesure fut applaudie par la classe politique, à l’exception des mouvances de l’islam politique. Mais les mesures d’exception adoptées en conséquence, accordant les pleins pouvoirs au président relancèrent le débat. Face au mouvement Nahdha qui dénonce « un coup d’Etat », tout un mouvement populaire soutient le chef de l’Etat, constituant de fait le parti informel du président. Cette bipolarité, qui s’illustra dans les manifestations successives, interpella les partis politiques « démocratiques » et ou progressistes, qui adoptèrent des attitudes nuancées, approuvant le 25 juillet et prenant leurs distances par rapport à l’ordre exceptionnel, désormais institué. 

Fait plus important, l’UGTT marqua son opposition. Le Secrétaire Général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, a déclaré ce le 1er décembre que le processus du 25 juillet devait continuer dans un cadre participatif, critiquant la manière dont Kaïs Saïed est en train de traiter avec la situation dans le pays. Le chef de la centrale syndicale a réitéré « le refus de l’organisation du dialogue via les plateformes, décidée par le président de la république ». D’autre part, il a rejeté le régime politique préconisé par Kaïs Saïed, celui de la construction de la base au sommet. « Il y a une vie politique, et des partis, dit-il et leur exclusion ne pourrait avoir lieu qu’à travers les urnes...Il n’y a pas d’autre choix que le dialogue sérieux », a-t-il martelé. L’approche de l’UGTT met à l’ordre du jour une « troisième voie », qui fait d’ailleurs valoir le nécessaire traitement de la crise économique, présentée, à juste titre, comme une priorité.

Répondant vraisemblablement à l’appel du parti Nahdha, huit ambassadeurs publièrent une motion, préconisant le retour rapide au fonctionnement des institutions démocratiques : Le communiqué affirme : “Nous, chefs de mission des ambassades d’Allemagne, du Canada, des Etats-Unis d’Amérique, de France, d’Italie, du Japon, du Royaume-Uni, et de la Délégation de l’Union européenne en Tunisie, soutenons fermement le peuple tunisien dans son aspiration à une gouvernance efficace, démocratique et transparente. Nous réaffirmons l’importance de la stabilité socio-économique du pays pour répondre aux attentes du peuple tunisien. Nous encourageons et nous nous tenons prêts à accompagner la mise en œuvre rapide des avancées nécessaires au redressement de la situation économique et financière de la Tunisie, y compris celles qui sont actuelles”. La situation est donc grave puisqu’elle annonce une mise en condition de la demande de prêt. Des intellectuels tunisiens critiquèrent cette “intervention étrangère dans les affaires tunisiennes”. D’autres prirent acte hâtivement d’une “dépendance”, conséquence de l’endettement, à l’instar de l’épreuve du XIXe siècle.

Les mesures prises par le président le 14 décembre évitèrent la dissolution du parlement et du tribunal administratif, qui suscitait l’inquiétude des magistrats et présenta un timing fixant des dates repères, pour les élections représentatives et le référendum. Le président a-t-il tenu compte de la motion des ambassadeurs ? Il le dément, fait valoir la souveraineté nationale et dénonce tout appel à l’étranger. En tout cas, les USA acquiescèrent les nouvelles mesures de Kaïs Saïed. Le porte-parole du département d’Etat américain, Ned Price, a indiqué que son pays se félicite de l’annonce par le président de la République, Kais Saied, d’un calendrier fixant le processus de réforme politique et d’élections parlementaires. “Les Etats-Unis attendent, dit-il, avec impatience que le processus de réforme soit transparent et inclusif des diverses voix politiques et de la société civile”, concluant ainsi sa déclaration : “Nous demeurons attachés au partenariat entre les Etats-Unis et la Tunisie”.

Les USA et l’Union Européenne appuieraient la demande du prêt tunisien auprès du FMI. Mais le gouvernement serait-il en mesure de répondre aux conditions exigées. Décision utopique du gouvernement tunisien : une baisse de 10% du traitement des fonctionnaires, une remise en cause du processus de subvention et une vente de certaines institutions nationales. Ces mesures proposées par la chef du gouvernement au secrétaire général de l’UGTT seraient susceptibles de provoquer une explosion sociale et de remettre en cause la stabilité du pays. Wait and see.