D’ici et d’ailleurs

Pr. Khalifa CHATER

L'économiste maghrébin, n °769, 26 juin - 10 juillet 2019

 

Alors que la démocratie est à l’épreuve en Tunisie, l’Algérie et le Soudan  ne parviennent pas  à  couronner leurs hiraks, par  l’affirmation d’un gouvernement civil, remis en question, ou du moins différée par leurs armés nationales.  En Libye, le maréchal Haftar est à la conquête de la Tripolitaine, où le pouvoir est conforté par des milices terroristes, daéchiennes.

Tunisie, la mise à l’épreuve de la démocratie : “Décomposition/recomposition’’ ce processus marque la vie politique tunisienne. Nida Tounes vit actuellement son énième fraction, divisant sa direction autoproclamée. Le Front Populaire est victime de la guerre entre des chefs, sans grande assise populaire.  Nahdha réussit, tant bien que mal, à contenir les dirigeants entre les pseudo réalistes et les radicaux.  Tahya Tounes met en scène l’union des composantes de la clientèle gouvernementale. Comment redorer le blason de son président, “l’homme du passif ’’, selon ses détracteurs, qui joue, selon le langage théâtral un “ rôle de composition’’, pour être “l’homme du pouvoir d’achat’’. L’orchestration du congrès de Tahya Tounes devait occulter les échecs, par une fraicheur formelle romanesque.

Le dernier sondage d’opinion ébranla la classe politique, en faisant valoir la promotion, de candidats hors systèmes. Les amendements de la loi électorale, écartant ceux qui disposent d’un média et/ou exercent une action caritative ou font l’éloge de la dictature, quarante jours seulement après la présentation des candidatures s’inscrivaient dans ce contexte. L’amendement proposé par le parti du gouvernement et soutenu par Nahdha (124 voix pour, 14 abstentions et 30 voix contre) fut perçu par des critiques, comme une initiative destinée à écarter les promus par le sondage et une volonté de limiter le choix des électeurs. On parla même d’une politique d’exclusion. D’autres observateurs rappellent que l’amendement de la question du “tourisme parlementaire’’, la principale épreuve de la transition démocratique tunisienne, n’a obtenu que 26 voix.

Un vote sanction suscite bien évidemment l’inquiétude de la classe politique, qui se rend compte de la colère des citoyens,  qui réclament une “démocratie du pouvoir d’achat’’, faisant valoir les exigences du panier de la ménagère. Le nombre des nouveaux inscrits, prés d’un million cinq cents mille électeurs et essentiellement des jeunes et des femmes introduirait une donne nouvelle. Pour qui  voteraient-ils ? Les urnes traduiraient-elles leurs désillusions ?

Lybie, solution militaire ou politique ? En  Lybie, la guerre civile continue. Fayez Sarraj, qui dirige un gouvernement siégeant à Tripoli est soutenu par les milices armées. Une solution politique serait difficile à mettre à l’ordre du jour, car les Daéchiens, les alliés objectifs du gouvernement de Tripoli, ne le laisserait pas faire.  Une solution militaire, - fut-elle très couteuses ! – s’imposerait, à plus ou moins longue échéance. Mais les rapports de forces semblent plutôt favorables au maréchal Haftar, vu la quête de stabilité de la population. Acte significatif, le ralliement des tribus au maréchal : Plus de 200 dirigeants,  réunis au Caire, lundi 17 juin, ont affirmé son soutien, contre les milices (Al-Arabe, 18 mai)). L’initiative politique du chef de gouvernement de Tripoli, prévoyant notamment des élections avant la fin de l’année, pour sortir le pays d’une profonde crise, ne peut avoir d’effets.

Algérie/Soudan, les risques d’une militarisation des deux régimes ! En Algérie,  la situation n’a pas changé. Le hirak continue ses manifestations populaires, pour réclamer le départ des dirigeants de l’ancien régime.  Le chef d’Etat-major, qui détient de fait le pouvoir, est favorable à une transition, dans le respect de la constitution. En attendant, on met à l’ordre du jour des procès, contre les corrompus. S’agit-il d’une fuite en avant ? 

Le  Soudan, après plusieurs mois de manifestations qui ont mené à la destitution par l'armée du président Omar el-Béchir le 11 avril, est toujours le théâtre d'une lutte entre  le Conseil militaire et les principales forces de la contestation. Les manifestations citoyennes, critiquent la militarisation du régime, et  demandent l’établissement d’un gouvernement civil, pour gérer la transition. La violente dispersion, le 3 juin, d’un sit in par des militaires augmenta la tension. Plus de 108 morts, l’opération a été qualifiée de massacre par la contestation.  Réaction de l’Association des professionnels soudanais (SPA), acteur majeur de la contestation civile au Soudan, elle mit à l’ordre du jour “ Le mouvement de désobéissance civile’’  (communiqué publié samedi 8 juin). De multiples médiateurs se sont mobilisés pour rétablir le dialogue. Après plusieurs jours de violence et une campagne de désobéissance civile très suivie, un représentant de la médiation éthiopienne a annoncé le 11 juin que le Conseil militaire et la contestation avaient accepté de revenir à la table des négociations.

Le Conseil militaire et les chefs de la contestation s'étaient également accordés sur une période de transition de trois ans, qui doit être suivie par le transfert du pouvoir à une administration civile   Mais le conflit originel armée/contestation civile est loin d’être réglé. Selon des experts, “les Emirats, l'Egypte et l'Arabie saoudite semblent soutenir les généraux tandis que Washington plaide pour une transition menée par les civils’’ (AFP, 19 juin).

 


Imprimer   E-mail