Pr. Khalifa Chater
“De toutes les armes les plus puissantes, sera toujours l’éducation’’ (Nelson Mandela). La pseudo école de Regueb révèle l’existence d’une structure de formation alternative, de la vision daéchienne et de sa genèse califienne. Elle traduit des velléités de remettre en cause les acquis bourguibiens, pis encore la pensée zeitounienne d’ouverture, de modération et de respect des valeurs essentielles. La réaction différentielle des acteurs politiques, - ceux qui la dénoncent et ceux qui la défendent - atteste l’existence d’une démarcation géopolitique évidente. La condamnation par la Nahdha de l’exécution des terroristes égyptiens et l’occultation du péril du retour des daéchiens, en Tunisie, distinguent les positions politiques, alors que le rapprochement tuniso-égyptien, illustré par les rencontres des présidents Sebsi/Sissis est mal perçu par les défenseurs de l’islam politique. D’autre part, les récentes manifestations algériennes - transgressant l’opposition à la candidature du président Bouteflika et s’inscrivant de fait d’une éventuelle extension du “printemps arabe’’ - établit une opposition idéologique entre Nahdha et la mouvance moderniste. Les prochaines discussions parlementaires, sur l’égalité de l’héritage confirment la démarcation idéologique. En l’absence de visions socio-économiques, les partis tunisiens effectuent, aux grés des événements, des positionnements et des repositionnements. Malgré tout, le paysage politique reste opaque.
Nahdha, une réactualisation de son discours fondateur : La tournure des événements semble prendre de court le parti Nahdha. Son alliance de fait avec le chef du gouvernement Chahed, sous le prétexte de “défendre la stabilité’’, ne semble pas en mesure de la défendre des accusations des avocats des martyrs. Au cours de la dernière réunion de la Choura, ce parti aurait pris acte des divergences entre ses dirigeants. Le discours de son président annoncerait une possible révision des alliances, puisque le changement du gouvernement, dit-il, n’est plus exclu. Nahdha insiste même sur la nécessité du respect du processus électoral, par le chef du gouvernement. Elle condamne de son usage éventuel, des institutions de l’Etat dans la formation de son parti. Nahdha aurait pris conscience des ambitions de Youssef Chahed et de sa possible rébellion, en cas de victoire. Présentant comme une position d’opposition à la Choura, le discours de Zeitoun, conseiller du président du parti, s’inscrit dans une tactique offensive, d’autocritique de l’alliance avec Youssef Chahed. Les dés ne sont pas encore jetés. Au-delà d’une simple position de concurrence entre les deux partis, on fait déjà valoir des divergences.
Nida, une volonté de se démarquer : La crise de ce parti est grave. Les velléités de reconstruction semblent vouées à l’échec, vu l’opposition des quatre dirigeants qui constituent sa direction autoproclamée. “Plutôt seuls dans l’échec que plusieurs dans la victoire’’ semblent spéculer ses actuels dirigeants. La récente démission du secrétaire général Slim Riahi de Nida atteste l’échec de la politique de rapiéçage de ce parti. L’annonce anonyme du choix de Mondher Zenaidi, comme secrétaire général du Nida a suscité de l’enthousiasme. Ce parti aurait, pensait-on, pu se débarrasser de son actuelle direction, pour préparer un congrès transparent, faisant valoir son socle de valeurs et assurant le retour de ses membres fondateurs. Mais il s’agirait plutôt de “fake news’’, destiné à gagner du temps et à suspendre le processus de “lam ach-chaml’’ (la reconstruction de l’unité), engagée par les fondateurs du parti et qui ont demandé l’arbitrage et l’intervention du Président de la République Béji Caid Essebsi.
Tahya Tounes, une prise en compte de son alliance effective : Ce parti est né du “tourisme politique et parlementaire’’, puisque ses membres faisaient parti du Nida, d’Afak et des ministres qui ont quitté leurs partis, pour se maintenir au pouvoir. Parti gouvernemental, Nida Tounes se propose de rassembler une famille politique “structurée, démocratique avec des projets réalistes’’. Tahwa Tounes traduit une confusion pouvoir/Etat, qui réactualise le processus destourien. La combinaison entre la mission du gouvernement à Paris et la formation de ses structures parisiennes est un exemple évident. Ouvert à tout le monde, ce parti n’a pas affirmé une vision d’avenir et n’a pas élaboré de programmes politiques. Ses ennemis font valoir les échecs évidents du gouvernement, dirigé par son leader.
Son coordinateur a affirmé, lors de sa conférence de presse, le 21 février 2019, que “Tahya Tounes n’est pas fondé contre Nidaa Tounes, Ennahdha ou encore le Front populaire’’. Qu’en est-il au juste ? Ce parti a été créé comme une scission du Nida, à l’instar des groupuscules politiques, sortis de leur parti fondateur. Son opposition à Nida et à son président fondateur est évidente. D’autre part, en dépit des discours de son coordinateur et des députés qui l’ont rejoint, il est né à la suite de l’alliance du chef du gouvernement, avec Nahdha, qui a assuré son maintien au gouvernement. Ses alliances dépendraient des résultats des urnes. De fait, il ne peut se libérer de son alliance effective avec Nahdha. Autrement, il disparaitrait de la scène politique. Ayant rompu ses relations avec le président fondateur de Nida, qui a proposé son choix de chef de gouvernement et sorti de l’anonymat, il ne peut plus réintégrer la formation qu’il a quitté. D’ailleurs les députés de la coalition parlementaire qui l’ont rejoint ont abandonné leurs discours critique contre Nahdha et cessé d’évoquer les griefs qu’ils avaient formulés contre elles (départs daéchiens, condamnation du discours prédicateur etc.).
La remontée du parti destourien : Au-delà de la nostalgie, la crise économique, la dégradation du pouvoir d’achat et l’instabilité sociale ont réactivé l’appartenance destourienne. Elle se définit essentiellement par le souci d’affirmer l’Etat, la défense des acquis et l’hostilité à l’islam politique. Alors que le parti Moubadra est sérieusement mis à l’épreuve par l’entrée de son leader Kamel Morjane au gouvernement et son alliance - fut-elle circonstancielle à Nahdha ! - le parti destourien dirigé par Abir Moussi connait une remontée spectaculaire. L’accueil enthousiaste qu’il a rencontré dans les différentes régions et auprès de l’émigration tunisienne, en France, l’atteste. Abir Moussi fait valoir son attachement à l’idéologie bourguibienne et à son opposition déclarée à Nahdha. De ce fait, ce parti suscite la crainte du Nida, de Tahya Tounes et du Front populaire. Prenant acte de son émergence, le parti est désormais fréquemment invité sur les plateaux. Cette sortie de l’ostracisme est significative.
Conclusion : Vis-à-vis de Nahdha, la mouvance centriste, nationaliste et/ou bourguibiste pourrait présenter une candidature de consensus. Mais l’affirmation des “égos’’ et la guerre des charges ministérielles mettraient en échec la volonté de rassemblement. De ce fait, l’horizon de 2019, dont la campagne électorale a déjà commencé, susciterait un affrontement entre la Nahdha, la mouvance nationale, unie ou fractionnée et la minorité de gauche. Cette confrontation aurait lieu, dans un contexte régional marqué par les inconnus de la Tripolitaine et de l’Algérie. Wait and see.