Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 08 au 28 janvier 2020

 

Les temps ont changé. En Europe, Daniel Cohen parle de “l’adieu du prolétariat” et affirme que le balancier gauche-droite va se porter plus loin encore vers l’extrême droite. D’autre part, le populisme  a remplacé le gauchisme, comme portevoix de la contestation (Daniel Cohen, Il faut dire que les temps ont changé, chronique (fiévreuse) d’une mutation qui inquiète, Albin Michel 2018, pp.11, 63, 115 et suivantes). Dans l’aire arabe, la volonté de changement a suscité de l’espérance. Exigence citoyenne, une vie meilleure, égalitaire et fraternelle. Le rêve populaire a mis à l’ordre du jour des utopies, coexistant avec un retour de la pensée conservatrice. Ultime épreuve, l’aire subit des dérives meurtrières. Le rééquilibrage politique s’inscrit désormais dans une conjoncture de désillusion.

La nouvelle donne tunisienne : Le Président de la république espère récupérer la protestation sociale. Mais la constitution, plutôt parlementaire, limite sa marge de manœuvre. Au Parlement, la majorité des députés semblent plus préoccupés, par  les problèmes de leurs régions, sans vision d’avenir. Les députés de gauche - des orphelins de l’idéologie marxiste ! - n’ont plus de poids.  En dépit, de son discours politique, Nahdha agit comme une machine à formater les esprits. Mais l’effondrement du système économique, met à l’épreuve son discours.  La situation  atteste la nécessité de bâtir des alternatives. A-t-on transgressé la guerre identitaire ? L’Etat interdit l’espace public comme un lieu de combat religieux. Mais la proposition d’instituer la Zakkat rappelle les velléités califales d’antan ? Le parlement tunisien n’a pas laissé faire. Mais nous avons affaire à une prise de conscience à géométrie variable. Pour les islamistes, la laïcité opère comme “une théologie négative”. Redimensionnons cette querelle d’un autre temps, dans le cadre d’une lecture de notre constitution. 

Suite aux élections, Habib Jomli vient de former son gouvernement. Il annonça son choix de ministres “de compétences, sans relations avec les partis”.  En fait, l’équipe gouvernementale est essentiellement formée par une majorité de membres, issus de Nahdha et une participation du parti Kalb Tounes. Mais il s’agit de cadres secondaires de ces deux partis, n’appartenant pas à leurs directions. Jeu de comédie, Nahdha et Kalb Tounes ont réunis leurs bureaux, pour soi-disant évaluer cette équipe, issue de leurs seins. Les compétences affirmées seraient plutôt relatives, en tout cas, peu évidentes. La nouvelle équipe pourrait-elle annoncer un virage pour répondre aux attentes des citoyens, assurer le développement économique, faire face au défi du chômage et aux exigences du panier de la ménagère. Fait grave, l’annonce d’une intervention militaire turque, en Lybie, pour soutenir l’équipe de Faiez Serraj, otage-allié des milices et de l’obédience islamique, met à l’ordre du jour une conjoncture de turbulences, mettant à l’épreuve le voisinage maghrébin et bien au-delà. Cette situation requiert plutôt un gouvernement politique, vu les prioritaires sécuritaires qui se conjuguent avec les attentes sociales. Or, les divergences entre la présidence de la république et les acteurs politiques pourraient remettre en cause, la mobilisation requise, en dépit du sursaut national, que l’annonce de l’intervention turque a suscitée, dans le pays.

Afrique, la disparition du franc CFA : Le Président Emmanuel Macron et son homologue ivoirien, Lassane Outara, ont annoncé, le 21 décembre à Abidjan, l’abandon du franc CFA, cette monnaie crée par la France coloniale, en 1945. Le CFA est perçu comme un vestige de la Franceafrique. Il sera remplacé en 2020, par l’Eco. La réforme ne concerne, dans un premier temps, que les huit pays de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (le Bénin, le Burkina Faso, la Cote d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo). Les six pays d’Afrique centrale (Cameroun, Congo, Centrafrique, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad) qui forment une zone monétaire distincte, ne sont pas, pour le moment concernés.

Fait significatif, la nouvelle monnaie demeurera arrimée à l’euro, selon une parité fixe, garantie par l’Etat français. Il s’agirait d’une “réformette, pleine de contradictions” a estimé Mamadou Koulibali, candidat à la présidence, en 2020. De fait, la réforme du franc CFA serait plutôt un symbole, puisqu’elle n’introduit pas de changements effectifs (Marie de Vedges, Monde Afrique, 25-26 décembre 2019). En réalité,  la France tient à garder son carré africain, mis en péril par la nouvelle donne Chineafrique).

Royaume Uni, l’après-Brexit : Dans la foulée de la sortie de l’Union Européenne, le 31 janvier prochain, le nouveau premier ministre Boris Johnson veut transformer son pays en profondeur. “L’insularité peut-elle mener au repli sur soi ? ”. En réalité, Boris Johnson reconstruit une nouvelle politique d’ouverture. Il  opte pour une navigation libre, se rapprochant des USA et  installant de nouveaux points d’appui, en Asie,  tout en mettant à son programme un nouveau partenariat avec l’Europe (Philippe Gelle, un destin pour une île, éditorial Le Figaro, 20 décembre 2019). Ses relations héritées de l’empire, ne peuvent s’accommoder d’un repli. Le nouveau gouvernement britannique  réussira-t-il à conjuguer  son populisme, avec, une ouverture maitrisée au monde et une nouvelle vision politique internationale ?

En France, les fêtes à l’épreuve de la grève : La grève des différents moyens de transports (métros, bus, chemin de fer) a bloqué la circulation à Paris. Elle promet de durer, puisque le pouvoir s’est accommodé de la situation, laissant trainer les négociations, puis les reportant au 7 janvier. Une grève de prés d’un mois. Ne revenons pas sur  les mobiles de la grève et sur l’opposition entre le gouvernement et les citoyens sur la question de la retraite. Mais examinons ses conséquences sur le quotidien : retour à la voiture, usage du voiturage commun et surtout usage du vélo qui s’impose dans les villes. “Le citoyen harassé par la  contraintes de la vie quotidienne, recherche d’abord, en enfourchant son destrier de métal, à retrouver le chemin de la liberté ”. On évoque même  “le sacre de la petite reine” (éditorial Le Figaro, 23 décembre 2019).