Pr. Khalifa Chater

 

“La Tunisie se suicide’’, comment ne pas admettre ce diagnostic, ce jugement sceptique d’un économiste éminent ! Tous les indicateurs économiques, financiers et sociaux l’attestent. La troïka a inauguré le processus du déclin. Tous les gouvernements qui lui ont succédé ont, par leur politique du laisser faire, persisté dans cette voie. Point de vision d’avenir et point de stratégie pour assurer le redressement économique et social. Le pouvoir a cru devoir écarter tous les économistes. De ce fait, les attentes de la “révolution’’ ont été occultées. Alternative à la vision passéiste de l’islam politique, la nostalgie des régimes antérieurs, l’ère glorieuse bourguibienne et même le pouvoir du coup d’Etat de 1987.

Faut-il expliquer la crise par le régime parlementaire, établi par la troïka ? Pays en crise, la Tunisie a-t- elle  besoin d’un régime autoritaire ? Conséquence évidente des multiples sitting, l’Etat s’est affaibli.  Un consensus entre les différents acteurs aurait permis d’établir un contrat social et d’assurer  une trêve.   Peut-on adopter les critiques du mode électoral, qui peut difficilement former une majorité ? Faudrait-il expliquer la crise globale par les dérives des partis, soucieux essentiellement de conquérir le pouvoir, d’obtenir à leurs dirigeants des charges ministérielles ? Les principaux partis n’ont pas de programmes économiques et sociaux. Les Tunisiens adoptent une attitude critique des partis. Nahdha, qui n’arrive pas à faire valoir ses différentes mues, vit une grave crise interne, illustrée par la motion d’une centaine de ses dirigeants contre leur président.  Ses défenseurs parlent volontiers d’une démocratisation interne. Nida Tounes n’a pas survécu à la mort de son président Béji Caid Essebsi. Les multiples partis, issus de son sein, ont suivi son déclin. Tahya Tounes, par exemple, n’a pas été en mesure de s’affirmer, après une percée théâtrale, lorque son fondateur était chef du gouvernement. Le parti destourien s’est illustré par sa lutte contre Nahdha et sa non-reconnaissance de la présidence parlementaire. Les différents sondages d’opinion lui sont favorables. Mais les citoyens tunisiens attendent son programme socio-économique, au-delà de ses principes fondateurs.

Hichem Mechichi, qui a succède à Elyes Fakhfakh, le 2 septembre 2020, à formé “un gouvernement de technocrates’’, écartant les partis politiques. Ce qui satisfait les citoyens, désormais hostiles aux partis et critiquant la gestion parlementaire. Ce gouvernement pourrait-il arrêter le développement de la crise ?  Le nouveau chef du gouvernement a formé une équipe restreinte d’énarques, diplômés de l’école nationale d’administration. Cadres incontestables, ils sont certes capables de gérer la gestion bureaucratique. Mais la donne tunisienne nécessite aussi une vision d’avenir du chef du gouvernement et de grands économistes pour la mettre en œuvre. Nous n’en sommes pas là. Jugement excessif d’un observateur, “on peut facilement atteindre le niveau d’incompétence, selon le principe de Peter’’. La nomination, comme conseillers de deux membres de l’ancien régime  ne permet pas de combler le vide économique du gouvernement.

La crise libyenne bloque les échanges et  particulièrement les rapports avec son voisinage immédiat. La pandémie de la Covid-19 a aggravé la situation : fermeture d’usines, accroissement du chômage, développement de la précarité. Or, déjà avant la pandémie, ces trois moteurs de la croissance et de la création d’emplois étaient en panne. Cette donne réduit la marge de manœuvre du gouvernement.

Signe de la crise, la Tunisie deuxième exportateur international du phosphate est réduite à effectuer des achats de l’étranger. Le forage et la production du pétrole sont bloqués par les manifestants. Cette tolérance de l’Etat  ne peut continuer. Autre constat, l’ouverture du pays à la concurrence des produits étrangers. Ce qui explique la ruine de l’industrie des textiles tunisiens.  Les réseaux sociaux rappellent que “la Tunisie importe l’harissa, le borghoul (blé concassé), les feuilles de briks, les glébets et les produits scolaires’’. Ce qui contribue au déficit commercial. Espérons que gouvernement  soit en mesure de mettre fin à cette dépendance idéologique et à ses effets économiques et sociaux, qui freinent toute action de redressement ?

En politique étrangère, l’écartement, de deux  représentants du pays à l’ONU et au conseil de sécurité, dans un intervalle de cinq mois surprend. La Tunisie n’est-elle  pas en mesure d’appliquer son discours international ?  On n’aurait peut être pas dû, dans ces conditions, intégrer le conseil de sécurité, car on devait répondre aux états arabes et africains, qu’on est censé représenter ?