Pr. Khalifa Chater

 

Deux autorités se disputent  le pouvoir, en Libye : le gouvernement d’accord national (GAN), qui siège dans l’ouest à Tripoli et reconnu par l’ONU, et un pouvoir incarné par Khalifa Haftar, homme fort de l’Est, soutenu par une partie du Parlement élu et son président, Aguila Saleh. La Libye vit une grave guerre civile, depuis la chute de Moammar Kadhafi en 2011. Risque de dislocation, instabilité, afflux de mercenaires  et jeux politiques régionaux et internationaux. La donne inquiète les pays du voisinage, soumis à une rude épreuve.

Sous l’impulsion de la représentante spéciale adjointe du secrétaire général des Nations Unies aux affaires politiques en Libye, Stephanie Williams, des discussions ont été engagées : Les parlementaires des deux camps rivaux ont discuté au Maroc des modalités d’un partage des postes à la tête des principales institutions, ainsi que de leur réunification. Enfin, des représentants militaires des deux camps se sont retrouvés, fin septembre, en Égypte, pour discuter d’un cessez-le-feu durable. Le climat politique semblait désormais favorable : Le gouvernement installé dans l’Est a ensuite démissionné, dimanche 13 septembre. Le premier ministre du gouvernement d’union nationale, Fayez Al Sarraj, s’est dit prêt à quitter ses fonctions d’ici à la fin octobre. Autre signe de détente, la production pétrolière a repris, dimanche 11 octobre, à Al-Charara, le plus grand champ pétrolier libyen, après plus de neuf mois d’arrêt. Le maréchal Haftar avait accepté, vendredi 18 septembre, de lever le blocus imposé par ses forces sur les sites pétroliers pour dénoncer une répartition inéquitable des recettes entre l’Ouest et l’Est. D’autre part,  Stephanie Williams, médiatrice de l'ONU pour la Libye, est parvenue à obtenir un accord de paix, vendredi 23 octobre, après cinq jours de discussions à Genève. Les parties en conflit, le gouvernement d'entente nationale (GNA) et les autorités de l'Est alliées du maréchal Khalifa Haftar, ont signé un cessez-le-feu "national et permanent". Des négociations menées parallèlement entre des représentants des forces militaires du GAN et du maréchal Haftar, ont abouti à un accord prévoyant « le retrait de tous les mercenaires et combattants étrangers »  de cette zone où le front s’est stabilisé au printemps.

Les négociations du Forum politique libyen, organisées le 9 novembre à Tunis devaient conclure les concertations entre les belligérants. La réunion débuta, lundi 26 octobre, par visioconférence, avant de se poursuivre en face-à-face, le 9 novembre à Tunis. La réunion de 75 des participants sélectionnés par l’ONU, intégrant des membres du Parlement de Tobrouk (Est) et du Haut Conseil d’État (Ouest), devait finaliser les accords.  En parallèle des négociations du Forum politique libyen, de Tunis, la rencontre du 10 au 13 novembre du Comité militaire mixte 5+5, rebaptisé Comité militaire joint (CMJ), à l’hôtel Mahari de Syrte devait consolider l’accord. À mi-chemin sur la côte méditerranéenne entre Tripoli et Benghazi, la ville de Syrte, contrôlée par l’Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar depuis janvier, était  cœur des négociations, sur la mise en place du cessez-le-feu.  Condition sine qua non à sa réussite : le retrait des unités militaires et des forces armées des lignes de front ainsi que celui des combattants étrangers.

Un accord a été conclu par le forum, sur l’organisation des élections le 24 décembre 2021. Mais on ne parvint pas à se mettre d’accord sur  nouvel exécutif chargé de superviser une période de transition devant mener aux élections. Il y eut certes un rapprochement des points de vue. Mais les divergences étant importantes, on suspendit les négociations dimanche 15 novembre, après une semaine de discussions laborieuses. Affaibli sur la scène internationale, l’homme fort de l’Est libyen Haftar persiste à jouer un rôle dans les négociations de sortie de crise. L’accord devait nécessairement l’intégrer dans le nouveau pouvoir exécutif, en association avec les dirigeants de Tripolitaine et du Fazzan. Mais la majorité des membres du forum était  opposée à une construction d’un Etat civil. Ils défendent, d’autre part, les positions de leurs alliés turcs, qui ne souhaitent pas se dégager de la tripolitaine et perdre les privilèges qu’ils ont acquis, dans le cadre de leur expansion néo-ottomane. Cette opposition a vraisemblablement bloqué les velléités de l’accord. Fait significatif, au cours de sa visite en Turquie, le 17 octobre, le ministre des Affaires étrangères américain Mike Pompeo, a cru devoir rappeler ses entretiens, avec le président français, critiquant le jeu de rôle d’Ankara, en Libye. Les USA souhaitent, en effet, mettre fin aux interventions de la Turquie et de la Russie en Libye. 

Optimiste par sa charge diplomatique, Mme Williams déclara : «Nous avons atteint un consensus sur trois documents importants : la feuille de route [vers des élections], les prérogatives des autorités exécutives et les critères d’éligibilité… mais dix ans de conflit ne se résolvent pas en une semaine". Faut-il partager la satisfaction de la représentante de l’Onu ? La tenue de la réunion a fait valoir la nécessité d’un dialogue inter-libyen, excluant les velléités d’interventions extérieures et la prise en compte des enjeux régionaux et internationaux. D’autre part, la prise en compte de la nécessité d’écarter l’issue militaire, le  cessez le feu, l’ouverture des frontières, le déblocage de l’extraction du pétrole attestent l’amélioration de la situation et la désescalade militaire. Mais la guerre civile reste latente, n’excluant pas la remise en cause de l’unité nationale. D’autre part,  le retour à la décentralisation tribale pré-kadafienne révèle les défis du grave enjeu. Comment reconstruire le pays, restaurer l’Etat ? Les compromis  conjoncturels de la situation actuelle devaient aboutir à une vision consensuelle.  Il s’agit d’un travail de longue haleine. Fait évident, les protagonistes libyens semblent décidés à reprendre ce dialogue nécessaire. Wait and see.