Vers une nouvelle configuration politique

Pr. Khalifa Chater

 

La présidence de l’Etat, le parti Nahdha et le Destour constituent actuellement les trois pivots du jeu politique en Tunisie. Fut-il élu avec une large majorité et disposant ainsi d’un consensus politique effectif, le président de l’Etat a des pouvoirs limités. Sans assise parlementaire, il est réduit à exercer un pouvoir de blocage, sans possibilité de changer un gouvernement, bénéficiant désormais de l’appui d’une majorité parlementaire, sous la direction de Nahdha.

Le parti Nahdha bénéficie certes d’une majorité électorale au parlement. Mais le blocage présidentiel réduit son impact. D’autre part, perdant l’appui du Qatar et de la Turquie, qui se sont ralliés à l’Egypte et mis fin à leurs options idéologiques, l’islam politique subit un encerclement de fait, affirmé par les nouvelles élections algériennes et la nouvelle donne libyenne. Les opérations terroristes commises par des Daechiens en Europe, expliquent la prise de distance occidentale, dans la nouvelle conjoncture. Nahdha s’adonne à une politique de manœuvres, demandant l’ouverture d’un dialogue national, qui confirmerait son rôle. Mais la classe politique ne semble pas disposée à lui accorder cette « bouée de sauvetage », alors que le président de la république affirme son accord conditionnel au dialogue, marginalisant de fait leurs alliés, ses parechocs effectifs, al-Itilaf à l’extrême droite et Kalb tounis plus modéré.

Le parti destourien a réussi une percée populaire. Il a fait valoir sa capacité de mobilisation, essentiellement dans sa dénonciation de Nahdha. Vu ses positions, il est de fait « l’allié objectif » du président de la république, en dépit de l’absence de leurs relations. Les autre partis pseudo-démocrates ou de gauche craignant la montée du Destour, s’illustrent dans son attaque, tout en ménageant le parti islamiste. Ce qui les décrédibilise.

De fait, le blocage politique perdure, occultant les attentes sociales, alors que le développement de la pandémie révèle la carence du gouvernement et que la désunion du pouvoir exécutif rend difficile la quête des emprunts à l’étranger. L’annonce d’un nouvel emprunt pour acheter du phosphate à l’étranger atteste l’incapacité à remettre en marche l’exploitation du phosphate tunisien. Les colères contre le corps médical à Kairouan constituent des pulsions primaires passagères. Mais la crise économique est susceptible de susciter une opposition populaire radicale spontanée. Des manifestations contre la « tartufferie » voient désormais le jour et critiquent l’exploitation politique de la religion.

L’attaque de la député Abir Moussi, le trente juin, par un collègue « indépendant », avait pour objectif une diversion tactique pour occulter la conférence de presse des avocats des regrettés Belaid et Brahmi et de l’adoption de la loi sur l'installation du Fonds qatari en Tunisie, considéré par les analystes comme « une infraction à la loi et à la souveraineté de l’Etat ». La condamnation formelle du président du parlement et de Nahdha n’est pas convaincante. Ce banditisme parlementaire s’inscrit dans la dictature rampante désormais à l’ordre du jour.

Le vote, le soir même, de la loi sur l'installation du Fonds qatari en Tunisie, par 122 députés remet en cause la souveraineté tunisienne. Allié du Qatar, Nahdha l’a érigé en convention d’Etat, alors qu’il ne s’agissait ni d’un accord ave l’Etat qatari, ni avec une organisation intergouvernementale internationale. D’autre part, elle accorde des privilèges exorbitants à ses participants, les mettant hors de la loi tunisienne. Le président de la république, qui a freiné la stratégie de l’islam politique est appelé à rejeter cette loi ou à exiger sa révision, lui donnant le statut des accords de siège des fondations culturelles établies en Tunisie, exerçant leurs activités sous l’autorité de l’Etat.

La rencontre du président de la république avec le président de Nahdha, le 24 juin 2021, annoncerait-elle un rapprochement entre les deux protagonistes. Elle fut précédée par la rencontre du président avec le leader islamiste Lotfi Zeitoun. Agissait-il comme simple intermédiaire ? Ce qui est exclu, de fait, étant donné que l’appareil de Nahdha domine sa chaine de commandement. Allons-nous vers une alliance Qais Said/ Rached Ghannouchi ? Leurs divergences idéologiques sont fondamentales et leurs positions inconciliables. Il serait plus juste de parler d’un compromis conjoncturel.  Les deux protagonistes ont parlé d’une rencontre positive. Mais dés le lendemain, ils ont remis leurs pendules à leurs heures respectives. Ghannouchi rappela sa critique précédente du refus présidentiel du remaniement ministériel, alors que le président de la république a démenti l’existence de médiateurs et a rappelé sa critique des lobbies. Quand au peuple, il marginalise ces querelles et remet en cause le jeu parlementaire néfaste, qui s’accommode au non d’un juridisme suspect de l’exercice de la violence, au vu et au su de tout le monde. Faudrait-il dissoudre le parlement ? Plusieurs acteurs politique attendent une prise de position du président de la république, pour arrêter cette grave dérive.

 


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