Pr. Khalifa Chater
« Le vent va déferler et leurs habitations sont un fétu de paille
La paume de la main est haute, mais les vitres sont fragiles
Ne soyez pas point tristes, mes frères, ne le soyez point.
S’ils chassent un oiseau de son nid, son nid le rejoindra »
(Mohamed Sghaïer Ouled Ahmed, traduction personnelle)
Le poéte de la révolution, qui a contesté le pouvoir des frères musulmans, annonça, avant sa mort, en 2016, la chute de leur pouvoir.
L’annonce de la 3em république : Les décisions du président de la république, le 25 juillet, confirment ses prévisions. Kais Said a licencié le gouvernement Méchichi, qui était au service de Nahdha, suspendu le parlement, licencié les gouverneurs qu’ils ont nommé et annoncé une lutte contre la corruption.
Alors que quelques professeurs critiquèrent par juridisme, ce lever de bouclier présidentiel, le dénonçant comme un coup d’Etat, rejoignant les islamistes, le peuple tunisien a fêté l’événement et vécu une soirée de liesse. Certains parlent d’une loi du peuple, dictée par la nécessité, qui éloigne un pouvoir politique qui a cessé d’être l’émanation de la puissance populaire. Des analystes évoquent plutôt un redressement de la situation et une rectification de la dynamique gouvernementale, pour assurer la prise en charge des attentes des citoyens.
Une contestation populaire d’envergure samedi 24 juillet a précédé les décisions du président. La jeunesse est descendue dans la rue et brulé et dévasté de nombreux sièges du parti Nahdha. Est-ce à dire que le président a répondu à leurs vœux ? En réalité, depuis sa prise de pouvoir, il avait formulé et explicité son diagnostic. Mais il a pris du temps, pour passer à l’acte, surprenant ainsi l’opinion publique. Il aurait ainsi assuré le passage à la troisième république.
Ne perdons pas de vue que la présidente du Destour Abir Moussi a eu le courage de désacraliser le mythe de la secte et de dénoncer ses agissements. Elle fut, me déclara un homme du peuple, « la rose de notre printemps », préparant l’environnement de la mutation.
Une évolution spécifique : Certains se sont hatés d’évoquer une évolution à l’égyptienne. Le président Essissi a écarté le gouvernement islamiste, suite à des sit ings populaires, dénonçant le pouvoir de l’islam politique. La Tunisie aurait pu marquer la chute de la troïka, en 2013, suite aux manifestations populaire, qui se sont déclenchées à la suite de l’assassinat de Hadj Brahmi. Mais craignant une guerre civile, Béji Caid Essebsi a opté pour un compromis, établi par le dialogue. Nahdha fut ainsi mise à l’épreuve. Mais elle ne put transgresser son programme théocratique. Sa popularité s’est érodée. Pouvoir de partisans, elle devint le pouvoir de ses courtisans et de sa clientèle.
Les premières décisions du président contre la corruption et l’annonce d’un traitement du pouvoir d’achat sont populaires. Mais le retard pris dans le choix du nouveau gouvernement, de l’engagement contre les fortunes mal acquises et les jugements que cela requiert, et la remise du pays au travail suscitent l’inquiétude. Dans cette conjoncture, rien n’a lieu par hasard.
Une mobilisation générale devrait assurer le traitement des priorités et d’abord la lutte contre la pandémie. Une feuille de route devrait être élaborée. Une reprise de confiance créerait un meilleur contexte, pour répondre à cette jeunesse qui déclara « demain, nous appartient ». La désillusion ne doit pas entacher cette euphorie.