Pr. Khalifa Chater
Le président sortant Emmanuel Macron vient de triompher, au second tour de la présidentielle face à Marine Le Pen, avec un score de 58,8 % contre 41 ?2 % pour la candidate du RN. Il y a cinq ans, Emmanuel Macron s'était imposé par 66,1% des voix contre 33,9% pour Marine Le Pen. La montée actuelle de la candidate de l’extréme-droite est significative. Elle traduit l’évolution des rapports de forces, en faveur de Marine Le Pen.
La confrontation électorale française a opposé deux visions de la France : celles du président-candidat, confirmant la continuité et celle de Marine Le Pen, représentant l’extrême-droite. Dans le domaine agricole, les deux candidats se rejoignent sur quelques points : encourager l’installation des jeunes agriculteurs, favoriser les circuits courts et le local, simplifier le quotidien des agriculteurs. D’autre part, la candidate du Front National estime que "la France, puissance agricole, doit être au service d’une alimentation saine ». Cela passe par l’application du patriotisme économique aux produits agricoles français pour soutenir immédiatement "paysans et pêcheurs, notamment au travers de la commande publique (État et collectivités)". On devrait garantir le montant des subventions "dont les critères seront fixés par la France et non plus par l’Union européenne, avec l’objectif de sauver et soutenir le modèle français des exploitations familiales ». Son financement réside dans l’arrêt du versement de la contribution française globale à l’Europe.
Emmanuel Macron estime que les agriculteurs, « comme l’ensemble des entrepreneurs », devraient bénéficier d’un allègement des charges pour être davantage compétitifs. Tout en acceptant le libre-échange, il évoque la nécessaire régulation des productions. Une "Europe qui protège" devrait toutefois venir palier, selon les dires du président-candidat, aux déséquilibres commerciaux actuels, que ce soit en termes fiscal et social ou en matière de politiques concurrentielles dans l’Union.
Divergence importante, elle concerne la réforme des retraites. Elle fut le premier thème d'affrontement dans cette campagne du second tour : Emmanuel Macron est favorable à la retraite à 65 ans… ou 64 ans, alors que Marine Le Pen souhaite une retraite à 60 ans... sous conditions.
Deux visions opposées sur le terrain de la diplomatie : La candidate du Rassemblement National est favorable à un rapprochement stratégique entre l'OTAN et la Russie, une réforme de l'Union européenne, l’arrêt de "l'ensemble des coopérations avec Berlin" sur le plan militaire et la sortie de la France du commandement intégré de l'OTAN. Elle s'est ainsi placée en rupture avec la politique internationale menée par Emmanuel Macron depuis 2017, une politique qui vise notamment à renforcer la puissance de l'Union Européenne et une plus grande intégration de la France, en son sein. L’un veut réformer l'OTAN, tout en développant une Europe autonome en matière de défense. Il réclame ses sanctions contre la Russie. Son adversaire quant à elle, évoque une sortie de l’Alliance atlantique, une fois la guerre en Ukraine terminée.
Fait important, Marine Le Pen dénonce l’émigration et souhaite privilégier les français de souche. Cet argumentaire est cependant occulté, lors de la campagne électorale. "L'extrême droite a beau présenter de nouveaux masques, elle n'en reste pas moins l'extrême droite" affirme Raphaël Llorca, communicant, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès (voir Les nouveaux masques de l'extrême droite, Editions de l'Aube et de la Fondation Jean-Jaurès).
D’autre part, la surenchère de l’extrême-droite sur l’émigration établit des relations conflictuelles avec les pays sud-méditerranéens du voisinage. Par contre, dans le cas de la continuité présidentielle d’Emmanuel Macron, ces relations s’inscrivent dans les rapports de voisinage de l’Union Européenne. Ces relations restent bien entendu asymétriques et, de fait, inégalitaires, traduisant l’état actuel des rapports de forces.
La confrontation présidentielle TV, le 20 avril, a confirmé la divergence entre les deux protagonistes : Marine Le Pen a fait valoir la préférence nationale, le patriotisme économique, couronnés par l’organisation d’un projet de référendum, sur l’émigration. De son coté, Emmanuel Macron a une attitude plus nuancée sur l’émigration, développant le "mythe" des expulsions des émigrés clandestins, qui ne peuvent avoir lieu, qu’en accord avec les pays d’origine. Tout en défendant son bilan, il a esquissé des réformes.
Conclusion : Fait évident, le triomphe d’Emmanuel Macron inscrit la continuité, sinon le statut quo, dans la politique française. Mais, nécessité l’exige, il reste à l’écoute de l’extrême-droite, ne pouvant ignorer sa percée électorale. Ménageant les dérives de l’opinion publique française, Macron tente de reprendre la main sur l'immigration : Le chef de l'État a organisé une réunion ministérielle à l'Élysée pour accélérer les expulsions d'étrangers en situation irrégulière (voir François-Xavier Bourmaud, Macron tente de reprendre la main sur l'immigration, 09/06/2021). D’ailleurs, le programme du président sortant, sans remettre en cause les droits des étrangers, met le cap sur des mesures un peu plus restrictives que celles de son quinquennat actuel. Emmanuel Macron, pour autant, "ne bénéficie pas d’un blanc-seing au sujet de l’immigration et de l’accueil des étrangers. Son discours public a présenté deux visages au gré des événements". Depuis cinq ans, son message apparaît même "brouillé" (Olivier Faye, Les chassés-croisés d’Emmanuel Macron sur l’immigration).