Pr. Khalifa Chater
Dans l’introduction Yadh Ben Achour définit la révolution : ‘‘C’est, dit-il, la confrontation des droits et des intérêts, la guerre des statuts et des positions, (qui s’inscrit) au grand compte des pertes et profits ‘‘les révolutions, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours répondent à ce vœu : ‘‘Comment en finir avec la servitude, la pauvreté, l’humiliation. Commnt faire pour soulager ou supprimer la condition souffrante ? (p. 14). Ainsi la condition souffrante constitue la problématique centrale de l’auteur. Le ‘‘combat contre la souffrance, affirme l’auteur, est un combat toujours ressuscité, toujours criant espérance’’ (p. 17).
Etudiant le concept de la révolution, l’auteur affirme qu’il aurait subi une mutation, ‘‘passant du stade de la pensée analytique, à celui de l’action, de l’historiographie à l’idéologie du métier d’historien, à celui de militant‘‘ (chapitre penser la révolution, p. 33). Rejetant l’affirmation européocentriste, explicitée par Martin Malia qui que le phénomène historique est propre à l’Europe et à l’Amérique, Yadh Ben Achour nie cette restriction et affirme que le phénomène révolutionnaire est ‘‘l’axe principale autour duquel évolue toute l’histoire de l’humanité’’ (p. 35). Mais la révolution pourrait ‘‘provoquer un retour de manivelle et une contre-révolution culturelle’’ (p. 38). Alors que la révolution américaine est une révolution indépendiste et politique, la révolution tunisienne s’expliquerait par le fait que la dictature avait trahi l’éthique du gouvernement (p 9). L’auteur esquisse une comparaison avec les révolutions de la Russie, en 1917 et de la Chine, en en 1949, la révolution française serait une révolution d’élite.
Yadh Ben Achour rappelle l’historique des révoltes-révolutions en Tunisie (la grande révolution de 1864 et celle de Kasserine et de Thala, en 1906, celle des Oudernas en 1915 et celle des Merazighs en 1944. Il estime qu’il existe une causalité plus forte entre la révolution tunisienne et les mouvements protestataires syndicaux contre le Néo-Destour (p. 51). Nous ne partageons pas cette appréciation hâtive, vu que les révolutions précédentes étaient d’essence rurale et souvent tribale, sans relation, avec le pays centralisé actuel.
Etudiant les expériences historiques à l’origine de révolution, il évoque le rôle du siècle d’ord néerlandais, où la pensée de Spinoza (1650-1750, fut le vrai siècle européen des Lumières, où les idées essentielles révolutions modernes y trouvèrent leur source (chapitre 2, pp. 55-57). ? Dans cette genèse des révolutions, il rappelle celles d’Angleterre, d’Amérique et de France. Où s’affirmaient la liberté de conscience, l’égalité citoyenne, la disparition de la féodalité, enfin l’idée de la république. L’étude de l’expatriation de la révolution française expliquerait les mouvements réformistes, dans le monde musulman et essentiellement en Turquie. Mais l’auteur occulte le contexte de la dépendance et de l’ère précoloniale, ou les puissances imposèrent les réformes qui les servent. L’auteur rappelle à cette occasion, l’influence de l’éthique de la révolution, sur Tahtawi, Khéreddine, San Yet-Sen, Ataturk, Senghor, Bourguiba et Chou Enlay (p. 85).
Tout changement de régime implique de mutations que l’auteur érige en révolution. Ce qui l’amène à réécrire l’histoire musulmane, dans sa continuité : les révolutions fondatrices d’empires ou d’’émirats (les Abbassides. Les Fatimides, les Almoravides, les Almohades, les Shabiya, la révolution de Sokoto de Othman Dan Fodio et les luttes pour l’indépendance.
Il conclue son analyse par l’étude des révolutions du monde musulman actuel (pp.249-258). Il distingue
- ‘‘les défenseurs d’une pensée révolutionnaires, aux confins de la pensée laïque, celle de Ali Abderazik et de Tahar Haddad
- Et d’un autre côté, une pensée radicalement tournée vers le temps inaugural, comme Said Kotb et Khomeyni’’ (p. 249).
Exemple illustre de la pensée moderne Kamel Ataurk, qui aurait été, selon l’auteur inspiré de la révolution française. Il a mis fin au système choraïque juridique, interdit le port du voile, supprima l’alphabet arabe, interdit le port de la fez, dans l’espace public, remplaçant le vendredi par dimanche comme congé hebdomadaire. Il supprima le califat et inscrit la laïcité dans la nouvelle constitution. Opinion excessive et non fondée, Habib Bourguiba aurait été un simple imitateur d’Ataturk (p. 251). Différent du chef d’Etat turc, Habib Bourguiba est un homme de grande culture qui a une pensée moderniste personnelle, qui explique son adoption du Code de Stat Personnel, transgressant les velléités d’abolir l’alphabet arabe ou de changer le jour du congé hebdomadaire.
La révolution iranienne de 1979 aurait ‘‘redéfini l’universel en le rétrécissant au seul monde musulman’’ (p. 252). Ella aurait été ‘‘une révolution totale, entrecroisant les champs politiques, religieux, culturel et constitutionnel et refait la carte stratégique’’ du monde musulman. Elle inventa, selon Ben Achour, ‘‘une nouvelle forme institutionnelle, celle wilayet el-Féquih, théorisée par Khomeyni, dans ses discours’’. Ce principe de théocratie cléricale ‘‘ est devenue la clef de voute de sa constitution de 1979’’ (p. 253). Contrairement à la dynastie des Pahlavi et son souci de l’iranité préislamique, elle se réclamerait selon Ben Achour, de l’identité islamique du chiisme.
Dans le chapitre deux, l’auteur étudie les révolutions serviles et indépendistes. Il évoque, dans ce chapitre, la libération des esclaves noirs, par Ahmed Bey, en 1846. Donnée importante que Yadh Ben Achour occulte, il s’agit d’une interdiction d’une pratique, bel et bien autorisée par l’islam, à l’exemple de l’abolition par Habib Bourguiba de la polygamie, rappelle la révolte des Zanjs, en 866- 883, qui en ‘‘n’étant pas religieuse adopta les thèses religieuses et égalitaires du kharijisme’’ (p. 265). La révolution de Haiti, à la croisée des mouvements antiracistes, des révolutions serviles abolitionnistes et des révolutions indépendistes (pp. 267 – 279).
Dans la partie Six, l’auteur étudie les révolutions africaines et dans le monde arabe. Faisant valoir le panafricanisme (pp. 299-315). Faisant valoir ‘‘la surchauffe idéologique’’, il distingue le nationalisme d’Etat, à la Bourguiba, le socialisme islamique et le salafisme, et précise leurs aspects différentiels : islamisme contre sécularisme, nationalisme arabe contre nationalisme étatique, marxisme contre libéralisme, dans le cadre des dynamiques révolutionnaires.
Dans sa conclusion, il met en valeur la demande démocratique, vouée à l’échec.