Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 15 au 19 juillet 2020

 

Des hirak, des contestations populaires plutôt que de vraies révolutions, ont remis en cause les régimes autoritaires de l’aire arabe. Les résultats obtenus dépendaient, dans une large mesure des spécificités des Etats. Des présidences à vie, des régimes de partis-états définissaient ces cas de despotisme plus ou moins éclairées ou prétendus tels : En Egypte et en Libye, le pouvoir avait une caractéristique militaire, dépendant de sa genèse. Alors que l’Egypte est centralisée, la Libye maintenait de fait ses divergences régionales et tribales. En Syrie, le pouvoir d’Assad s’appuyait sur le parti Baath. En Algérie, le pouvoir conciliait l’autorité de la direction du FLN et de son soutien, par l’armée. En Tunisie, le pouvoir était le produit du coup d’Etat de 1987, qui a écarté le leader Habib Bourguiba. Au Yémen, la guerre civile divise le pays, en deux mouvances, en 1962  et suscite une guerre de procuration entre l’Egypte et l’Arabie. En dépit de la fusion, en 1990, de la République arabe du Yémen (Yémen du Nord) et la République démocratique populaire du Yémen (Yémen du Sud), la centralisation reste aléatoire, vu le tribalisation dominant. Bien entendu, le jeu politique internationale et régionale affecta l’aire arabe et remis en cause sa stabilité.

La guerre civile se perpétue en Libye : Depuis l'intervention occidentale de 2011 et la chute de Mouammar Kadhafi, le pays s'enlise dans une guerre civile avec, dans chaque camp, de nombreux parrains. D'un côté, Qatar et la Turquie soutiennent le gouvernement d'entente nationale (GEN), soit disant légitime de Serraje. De l’autre coté, les Emirats, l’Egypte et la Russie sont les alliés du général Haftar, qui domine la Cyrénaïque. L’Union Européenne affirme une certaine neutralité, bien que certains de ses membres, aient choisi leurs alliés, qu’ils appuient discrètement, la France plutôt favorable à Haftar, le Royaume Uni, qui penche vers le gouvernement Serraje.  Mais la composition de ce gouvernement, qui intègre les islamistes, les milices et les terroristes suscitent de grandes inquiétudes. Khalifa Haftar, l’homme fort de l'Est libyen, a lancé, en avril 2019, une offensive contre Tripoli. Mais l’intervention de la Turquie,  engagée depuis novembre aux côtés du GNA, a bloqué l’avancée  de l’armée de Haftar. Les renforts turcs et les mercenaires daéchiens ramenés de Syrie auraient inversé les rapports de forces.

La donne régionale  et internationale semble annoncer d’éventuels changements. La prise de position de la France contre l’intervention turque en Libye aurait certes ses influences sur les positions occidentales, vu la pression qu’elle exerce sur l’otan. Le  président tunisien, déclara, lors de voyage à Paris, dans un entretien avec France 24 que la légitimité du gouvernement Serraje est provisoire. Mais la position de la Tunisie reste ambigüe, vu la bipolarité politique des acteurs et l’alliance de Nahdha avec la Turquie et le gouvernement de Tripoli. Changement de l’attitude de l’Algérie,  le président Tabboune affirma que le gouvernement Serraje  “a perdu sa légitimité et ne représente plus le peuple’’ (France 24, 4 juillet). Position différente de la France qui soutient le maréchal Haftar,  l’Algérie  demande la prise du pouvoir d’un conseil élue. Position partagée, les pays du voisinage ne s’accommoderaient pas d’un protectorat turc, en Tripolitaine. Ce qui risque de changer les rapports de forces en Libye. De fait, le président Erdogan joue sa  dernière carte. Il est affaibli dans son pays alors que sa politique d’expansion néo-ottomane suscite un véritable lever de bouclier.

Des frappes, le 5 juillet,  contre les forces turques, établies dans la base de Watiya, annoncent que le maréchal Haftar, soutenu par l’Egypte à repris l’initiative.

Le défi libanais : Le Liban est le dernier pays marqué par la contestation populaire. Le mouvement contestataire se déclencha, en octobre 2019, à cause d’une hausse de taxe décidée pour renflouer les caisses de l’État. Une partie de la population est alors descendue dans la rue pour exiger le renvoi de toute la classe politique, rendue responsable des maux du pays et pour demander  “un nouveau pacte social, un nouveau système politique, une sortie du communautarisme débridé’’ affirme  Karim Bitar, directeur de l’Institut des sciences politiques de l’université Saint-Joseph de Beyrouth.

De fait, le Liban subit les contrecoups de la crise syrienne et l’implication de Hizb Allah, dans cette guerre. Depuis lors, la crise financière s’est amplifiée et les manifestations ont perduré. Cet ancien “paradis bancaire’’ subit, depuis l’automne 2019, une crise économique sans précédent (Le monde 26 juin 2020). Les crises se succèdent depuis l’automne 2019 au Liban. La démission du gouvernement n’arrêta pas l’escalade. La crise a culminé, début juillet, par une dépréciation record de la livre libanaise face au dollar auquel elle était indexée depuis 1997. Officiellement, le rapport est d’un dollar pour 1507 livres, mais sur le marché parallèle, il a atteint le seuil des 5000 livres, voire les 6000 selon certains médias locaux. “Ce n’est plus une crise que traverse le Liban. C’est une tornade, un déclassement à toute allure marqué par une dépossession du pouvoir d’achat, des licenciements et une perte de repères’’ affirme Laure Stephan (Le Monde 3 juillet 2020).

Faudrait-il changer le modèle socio-économique mise en cause par les manifestants ? Les Libanais qui manifestent sont unis par une “revendication commune de changement, de voir naître un Liban nouveau, mais il n’y a pas encore de feuille de route commune… On a vu émerger depuis octobre 2019, un citoyen libanais qui ne souhaite plus qu’on l’assigne à résidence identitaire parce qu’il a pu naître sunnite, chiite ou maronite,’’, reconnaît le politologue Karim Bitar (enteretien, par Xavier Sartre, 16 juin 2020 , Vatican news).

Tunisie, un gouvernement fragilisé : La désunion de la coalition gouvernementale annonce une ère d’instabilité. Nahdha réclame l’élargissement de la coalition, pour intégrer le parti Qalb Tounes.  Ce que refuse le chef du gouvernement faisant valoir l’exigence du président de la république. Nahdha souhaite faire valoir la majorité parlementaire, avec l’alliance de Qalb Tounes et la coalition al-Karama. Elle remet en cause le parti ech-Chaab, vu sa prise de distance avec son idéologie. Elle n’omet pas ses divergences avec le Président, qui souhaite qu’on accorde la priorité au traitement de la crise sociale et ne partage pas son soutien, au gouvernement Serraje.

Le chef du gouvernement est fragilisé par les soupçons de conflit d’intérêts. Il est soutenu par le pari Tayar, qui occulte son discours fondateur. Mais la position du parti Nahdha semble ambigüe. Elle hésite entre sa mise en dépendance pour faire valoir ses vœux ou son écartement du pouvoir. Réuni le 4 juillet, son bureau exécutif annonce une “réévaluation de la position du mouvement vis-à-vis du gouvernement et de la coalition’’, lors de sa prochaine réunion. Le gouvernement est désormais en sursis. Mais les partis de la coalition gouvernementale et parlementaire craignent d’éventuelles élections, en cas de chute du gouvernement, vu l’ascension spectaculaire du parti destourien.

Les autres cas : La Syrie fut la grande victime de la géopolitique régionale et internationale. Les interventions de la Russie et de l’Iran,  ont permis le maintien au pouvoir du président Assad. Mais les interventions turques contre les Kurdes de Syrie portent atteinte à sa souveraineté.

Au Yémen, la guerre civile a été confortée par les interventions de l’Arabie Saoudite, des Emirats et de l’Iran.

L’Egypte réussit à écarter du pouvoir les Frères musulmans. Le général Sissi intervient et prit le pouvoir, répondant à une manifestation populaire salutaire. Il a pu ainsi sauver la mise.