Pr. Khalifa Chater

l'Economiste maghrébin, n° 765, du 1er mai 2019

 

“Ilest vrai peut-être que les mots nous cachent davantage les choses invisibles qu'ils ne nous révèlent les visibles”. Cette réflexion  est illustrée par  les discours du Président de la république, Béji Caid Essebsi, le 6 avril,  et du chef du gouvernement Youssef Chahed, le 18 avril, qui inaugurent, de fait, la campagne électorale.

Lors de son allocution d’ouverture du premier congrès de Nidaa, le président fondateur du parti Béji Caïd Essebsi a fait deux annonces essentielles :

  • Son non souhait de se présenter aux prochaines élections présidentielles
  • Sa demande au congrès de réintégrer Youssef Chahed, au Nida et l’annulation de sa suspension.

Le président fondateur du Nida  fait valoir la nécessité de rassemblement de la famille centrale, progressiste et bourguibiste, pour constituer un front contre Nahdha. Irait-il jusqu’à soutenir la candidature de Youssef Chahed à la présidence de la république ? Ce dernier tarde à répondre, observant  “un silence aristocratique” comme l’affirme l’observateur politique Ali Mhadhebi. Certains critiques évoqueraient plutôt des “manœuvres”, destinées à affaiblir Nida Tounes.  Béji Caid Essebsi aurait-il  brouillé les cartes ? Or, la tournure des événements met en échec la stratégie de rassemblement du président la république, vu la division du Nida, par ses dirigeants autoproclamés.

Dans son intervention, sur la chaîne nationale Al Wataniya 1, le chef du gouvernement tunisien a présenté la feuille de route de son équipe jusqu’aux élections législatives d’octobre. “Les examens nationaux, la rentrée scolaire et la saison touristique, ainsi que le retour des Tunisiens résidant à l’étranger font partie des priorités du gouvernement, dans la période à venir ”. Ces questions relèvent en fait du registre annuel, en Tunisie et elles ne constituent guère des priorités nouvelles, ni des urgences. Par contre, le discours de Chahed, fait valoir, à juste titre, la question du pouvoir d’achat et annonce la probable baisse des prix, durant le ramadan. Pour quoi limiter cette proposition, seulement au mois saint, alors qu’elle relève du quotidien, qui suscite la colère générale ? Youssef Chahed évoque la nécessité de faire adopter par des réunions avec les partis, un code de déontologie politique. Souhaiterait-il faire la paix avec la classe politique, sinon la convaincre ?  Sa définition de la critique de son gouvernement  comme “du populisme” ne pourrait qu’approfondire la discorde. D’autre part, la diabolisation de l’opinion publique risquerait d’assurer le développement de la colère de la rue. Faut-il perdre de vue l’effet du harak, en Algérie et au soudan, qui a mis fin à leurs gouvernements ?

De fait, le discours du chef de gouvernement ne précise pas l’agenda gouvernemental. Les tètes de chapitre auraient dus être développés. Les promesses annoncées pourraient-elles convaincre ?  Le chef du gouvernement aurait du, selon un observateur, concentrer son discours sur les vrais priorités du peuple, relatives au panier de la ménagère. Ce discours relèverait de “la campagne électorale”, affirme un protagoniste. A l’appui de cette affirmation, il relève que le chef du gouvernement clôture son intervention, en invoquant son parti Tahya Tounes, qui a, d’ailleurs, fait figurer ce discours, dans son programme politique, sur son site. Pouvait-il ainsi occulter les échecs de la gouvernance de son leader : dégradation du pouvoir d’achat, chute du dinar, développement de l’inflation et de l’endettement.

Un baromètre politique ? : Comment se présenterait la compétition, lors des élections prochaines ? Nous n’abordons pas la question du point de vue des officines de sondage. N’offrant pas de garantis réglementaires, elles suscitent volontiers des réserves. Nous évitons aussi de formuler nos diagnostics, en nous référant aux réseaux sociaux. La plupart des partis mobilisent des équipes, pour y organiser leurs campagnes. Nous préférons lire les manifestations sociétales, étudier les reportages et être à l’écoute des entretiens avec les acteurs.

Nida Tounes semble sortir affaibli par l’échec sa reconstruction, le départ de ses principaux fondateurs et les divisions entre les membres de sa direction proclamée, plutôt impopulaires d’ailleurs. Mais son congrès a révélé d’importantes assises populaires, traduisant l’existence d’une machine de recrutement, de rassemblement et de démonstration.  Sa glorieuse histoire (2013-2014), son triomphe grâce au “vote utile”, la mobilisation en sa faveur de milliers de femmes et son combat pour les acquis bourguibiens lui accordent un argumentaire pertinent, qu’il réactualise volontiers.

Tahya Tounes bénéficie de l’appui du gouvernement. L’offre des charges lui assure une importante clientèle, à défaut de militants. Mais les échecs gouvernementaux de son leader pourraient avoir une issue fatale. Fait d’évidence, le panier de la ménagère risque de déterminer le vote, à ses dépens. Mais il dispose de la machine gouvernementale.

Machrou3 semble vivoter. Dépendant de son alliance avec Tahya Tounes, il partage son “flottement” politique entre les alliances déclarées et undergound. Les autres partis dissidents de Nida restent marqués par leur échec, lors des élections municipales. Mais une alliance Nida, Tahya Tounes, Machrou3 et les partis proches, qui partagent le même socle de valeurs, peut créer la surprise et inverser la situation. Le discours de Béji Caid Essebsi, lors de l’ouverture du congrès de Nida, pourrait ouvrir de telles perspectives.

Le parti Destourien, qui marque désormais le paysage politique, vu la désillusion de la classe politique et l’occultation des attentes, pourrait paraître, aux déçu du “printemps tunisien”, une planche de salut. Mais la mobilisation contre lui de tous les protagonistes le met à rude épreuve.

Nahdha est surement affectée par la chute du président soudanais al-Bachir, l’intervention de Haftar, contre le pouvoir de Tripoli, les échecs d’Erdogan, dans les élections municipales des grandes villes et la restauration du pouvoir syrien. Mais sa marge de manœuvre reste importante, dans la mesure où il sera appelée à choisir ses alliances, parmi les fractions de Nida, Tahya Tounes et machrou3.