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Un blocage politique ?

Pr. Khalifa Chater

 

La classe politique qui semble s’accommoder du blocage du pouvoir exécutif, l’explique volontiers par les mécanismes institutionnels de la constitution.   Ce qui les incite à réclamer un changement du régime politique. Est-ce à dire que le régime parlementaire serait le souffre-douleur ? est-il responsable de nos maux ? Fallait-il prévoir un retour au régime présidentiel ?  Les analystes n’expliquent pas les dérives tunisiennes par le choix du régime ? Sur d’autres cieux, les régimes présidentiels et parlementaires ont fait leurs preuves.  Expliquons plutôt de blocage par l’état des rapports de forces et le jeu politique des protagonistes. Peut-on espérer, à plus ou moins brève échéance un déblocage, qui permettrait aux deux pôles de l’exécutif d’exercer leurs prérogatives, de traiter les défis de la situation et de mettre fin à cette querelle des Egos. D’ailleurs, les négociations avec le FMI ont fait valoir la nécessité de collaboration du président de la république et du chef du gouvernement.

De fait, la rencontre du Président de la république, le 26 mai, avec le chef du gouvernement et le ministre de la défense, atteste sa volonté de rétablir ses relations avec le gouvernement et de mettre fin au blocage institutionnel. Mais le conflit avec le président du parlement et du parti Nahdha perdure. Il y a plus de 25 affaires de corruption, de contrebande, de drogue et d’autres qui trainent à l’ARP, dit le président. Les personnes impliquées ne sont pas inquiétées. Elles sont là. Ces gens ne sont pas mieux lotis que le commun des citoyens. Les milieux proches du président de parlement démentent. Qu’en est-il au juste ? Fait évident, l'irresponsabilité concerne les actes commis dans l'exercice de la fonction parlementaire et non détachables de cette fonction : votes, paroles émises dans le cadre des débats parlementaires, rapports parlementaires, discussions en commissions, etc. En vertu de cette irresponsabilité, le parlementaire ne peut pas être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes qu'il émet dans l'exercice de ses fonctions parlementaires. Cette irresponsabilité est également appelée immunité fonctionnelle ou immunité de fond. Or, les délits des parlementaires en question ne relèvent pas de leurs activités parlementaires et ne nécessitent pas de lever l’immunité.

Fait grave, le décalage entre la gestion gouvernementale et les attentes des citoyens. Les augmentations récentes du sucre, du lait, du pétrole, qui affaiblissent le pouvoir d’achat, ne sont pas de nature à réconcilier l’opinion publique avec les acteurs politiques, qui “regardent leurs nombrils”, selon l’un de leurs adversaires. Autre opinion que je cite, - fut-elle excessive ! – d’un membre de la moyenne bourgeoisie, dont le repli est évident : “Nous disposons certes de la liberté publique, mais nous sommes prisonniers de notre quotidien”. L’annonce d’un retour à la colonisation agricole a été dénoncé et de fait stoppé, faisant valoir la politique d’évacuation des terres coloniales, par le président Bourguiba. La trêve annoncée, entre les deux dirigeants de l’exécutif pourrait-elle inaugurer une meilleure gestion des affaires ? Observateur averti, le regretté Hichem jait déclarait dans une interview à la presse le 23 mars 2021 “Il faut fermer les parenthèses de la révolution, stabiliser le pays, changement de la révolution en gouvernement, mieux éduquer les citoyens et s’armer d’une part d’imagination”.

N.B. : Recevant le 11 juin 2021, le chef du gouvernement Hichem Mechichi et la ministre de la Justice par intérim, Hasna Ben Slimane, le président de la République, Kais Saïed leur adressé un rappel à l’ordre, confirmant sa critique de l’occultation de l’immunité de certains députés et dénonçant le sit ing au tribunal, en faveur d’un détenu. Il leur a demandé d’assumer leurs responsabilités.

L’heure des manœuvres

Pr. Khalifa Chater

 

Elle débuta par l’annonce d’un coup d’Etat constitutionnel. Le document qui l’annonce, qualifié de “top secret” a été dévoilé dimanche 23 mai par Middle East Eye, le site d’information panarabe, basé à Londres. Il est constitué par cinq pages datées du 13 mai 2021, divulguées d’après le titre par “une source à l’intérieur de la Présidence”. Il affirme que des collaborateurs du président tunisien, Kaïs Saïed, lui auraient conseillé de prendre le contrôle total du pays et de tendre une embuscade à ses rivaux. Fut-il aussitôt démenti par la présidence, il suscita un large débat des acteurs. Qui en est l’auteur ? A qui profite-il ? Sans doute, ceux qui sont hostiles à l’éventuelle entente entre le président et le chef du gouvernement, recommandée par le FMI, soucieux d’assurer un climat de stabilité favorable au prêt qu’elle accorderait à la Tunisie. En tout cas, les acteurs politiques utilisérent ce document, dans leurs tactiques de repositionnement.

L’appel de l’amiral Kamel Nabli, le 26 mai, largement diffusé par les médias, devait assurer son retour  sur le paysage politique actuel, ce collaborateur sécuritaire de l’ancien président, qui s’est retirer de la vie politique, depuis la mort de l’ancien président. Affirmant que la classe politique est incompétente et que le systéme politique est inefficace,, il se présente comme le sauveur de la nation, à l’instar de l’auteur de l’appel du 18 juin. Or, n’est pas de Gaulle qui veut. La légitimité d’un sauveur ne correspond pas à la situation tunisienne, béénéficiant d’une légitimité démocratique. Il se présente comme l’ennemi de Nahdha mais il s’érige en son allié objectif, en s’adressant à l’électorat de Abir Moussi. Serait-il défendu  par in lobbyste influent ? l’amiral a, en tout cas, bénéficiait du soutien de plusieurs médias.

Dans le même ordre d’idées, un groupe six militaires à la retraite ont lancé, le 2 mai, un appel « de dernière chance », au président de la République Kaïs Saïed. Pour traiter la situation critique du pays, les militaires  estime que le Président de la République est la personnalité fédératrice capable de sauver la situation. Ce groupe serait plutôt proche du mouvement Nahdha.  Ces deux appels d’officiers retraités suscitèrent l’inquiétude des Tunisiens, faisant valoir la qualité de l’armée comme institution républicaine, n’intervenant pas dans la vie publique.

Le Moyen-Orient et le jeu international

Pr. Khalifa Chater

 

Notions préliminaires : La puissance est une notion centrale et structurante des relations internationales. Elle est définie comme une interaction. On retrouve cette idée chez Kenneth Waltz, pour qui « un agent est d’autant plus puissant qu’il affecte les autres plus que ceux-ci ne l’affectent ». Elle a désormais, dans une large mesure, perdu sa connotation militaire.  A l’heure de la mondialisation, elle constituerait plutôt un softpower. Ce qui n’exclut pas les relations asymétriques qu’elle détermine, avec ses partenaires.

Au Moyen-Orient, les positions des USA sont déterminantes. La Russie et la Chine exercent un jeu concurrent. L’Union Européenne joue davantage sa carte économique, tout en imposant à ses partenaires des relations asymétriques.  Avec l’arrivée de Joe Bilden, une nouvelle politique américaine s’esquisse au Moyen-Orient.

L’occultation de la stratégie du grand Moyen-Orient : « L’anarchie créatrice » devait construire le grand Moyen-Orient. La destruction du régime irakien s’inscrivait dans cette politique. Redimensionnant une puissance régionale, hors de l’alliance américaine. Le « printemps arabe » devait parachever cette politique. L’alibi de la démocratisation avait le même enjeu. Il était servi par la puissance américaine, son relai qatari et exploité par la Turquie qui voulait réactualiser l’ottomanisation. Le départ de Hosni Moubarek, l’éclatement de la Syrie et la remise en cause du président Assad et la chute du régime libyen devaient servir le même enjeu. Nouvelle politique américaine, Joe Biden a remis en cause les options de la présidente Clinton et du président Trump.  L’abandon de l’alliance avec l’Islam politique et la dénonciation des dérives terroristes établissent une prise de distance. Désormais les USA ont de bons rapports avec le président Sissi, qui a mis fin au gouvernement islamiste et confirment leurs prédispositions en faveur de l’Arabie Saoudite et des Emirats.

Vers une révision de la politique américaine avec l’Iran ? C’est le dossier nucléaire iranien qui concentre aujourd’hui l’attention internationale. Un accord global, dit JCPOA, fut signé le 14 juillet 2015 après de longues négociations par la France, le Royaume Uni, l’Allemagne qui permirent de réintégrer l’Iran dans le jeu régional et international. Arrivé au pouvoir, Donald Trump annonça, le 8 mai 2018, le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord.   Les États-Unis accrurent alors leur pression sur le pays en accentuant les sanctions à son encontre. Les discours de la campagne du président Biden laissaient entrevoir une volonté de relancer le dialogue avec Téhéran, tout en ne laissant pas le champ tout à fait libre à Riyad et Tel-Aviv, hostiles à l’Iran. Elu, Joe Biden annonça sa volonté de reprendre des négociations avec l’Iran. Ils sont actuellement en cours, entre les signataires du premier accord. Les dirigeants iraniens exigent l’arrêt préalable de toutes les sanctions, les États-Unis posent la condition que Téhéran en revienne immédiatement au respect des engagements contenus dans l’accord de 2015. Mais les observateurs sont optimistes.

Autre acte significatif, Joe Biden a mis fin, jeudi 4 février 2021, au soutien américain à la coalition saoudienne au Yémen « Nous renforçons nos efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre au Yémen », «  qui a créé une catastrophe humanitaire et stratégique », a déclaré le président des États-Unis dans son premier discours de politique étrangère, au département d'État. « Cette guerre doit cesser », a-t-il martelé, confirmant la nomination d'un diplomate, comme émissaire pour le Yémen. Riyad soutient militairement le gouvernement yéménite contre les rebelles houthis, appuyés par l'Iran. Washington va donc annuler la vente controversée à Riyad de « munitions de précisions », décidée à la fin du mandat de l'ex-président républicain, qui a toujours soutenu, le royaume saoudien. Joe Biden, qui remet en cause ce soutien à l'Arabie saoudite, redessine la stratégie des États-Unis au Moyen-Orient.

Le jeu des acteurs régionaux : Esquisse d’un changement de la nature des relations entre L’Arabie Saoudite et l’Iran. L’Arabie Saoudite considérait l’Iran comme une menace pour le royaume et l’accuse d’alimenter l’insécurité régionale par son développement d’un «arc chiite » (Iran - Irak - Syrie - Liban), pour son soutien aux Houthis au Yémen et son aide confidentielle à l’insurrection au Bahreïn. Les relations entre les deux pays étaient rompues depuis 2016.  Position nouvelle du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane « L’Iran est un pays voisin et tout ce que nous souhaitons c'est (d'avoir) des relations bonnes et spéciales avec l’Iran », a-t-il déclaré, le 29 avril 2021. Réponse de l’Iran : Elle s’est félicitée du « changement de ton » saoudien. L’Iran et l'Arabie saoudite acceptent enfin de se parler Des négociations entre les deux puissances régionales rivales sont d’ailleurs à l’ordre du jour.

D’autre part, le Moyen-Orient a été marqué par le jeu concurrentiel entre Qatar et la Turquie d’un côté, l’Arabie Saoudite et Les Emirats de l’autre, alimentant la bipolarité idéologique. Qatar a surdimensionné son rôle, s’investissant dans la réalisation du « printemps arabe ». Ses richesses pétrolières et sa chaine Algésira lui permirent de livrer un combat continu contre les régimes établis, en Tunisie, en Egypte, en Syrie, en Libye et au Yémen. Mais son statut de simple relai de puissance ne pouvait inscrire sa politique dans le long terme. Sa réconciliation avec ses partenaires-protagonistes pétroliers du Golfe et l’opposition désormais évidente des USA à l’islam politique devaient mettre fin à sa surenchère, qui ne pouvait être que conjoncturelle.

En ce qui concerne la Turquie, elle dut réviser sa politique d’expansion, prenant acte du changement des positions des puissances, illustré par la demande de l’évacuation de ses troupes de Libye, de l’affirmation du pouvoir égyptien et de la fermeté de ses alliances. Elle dut se réconcilier avec le Président Sissi, opposé à sa mouvance idéologique. D’autre part, l’ampleur de la critique interne du président Erdogan change la donne.  La Turquie se rapproche désormais de l’Ukraine et du Royaume-Uni.   « Il est probable, affirme un grand analyste, que la Turquie cherchera dans les prochains mois à temporiser en Méditerranée et à s’afficher comme un allié « modèle » de l’OTAN, quitte à rebasculer ses efforts vers la Syrie, l’Irak ou le Caucase qui sont revendiqués comme faisant partie de la « Grande Turquie » par des proches du président (Arnaud Peyronnet, La Turquie en recherche de partenariats : nouveaux axes stratégiques en Méditerranée orientale, l'institut FMES., avril 2021)

Liban, le statu quo dévastateur

Pr. Khalifa Chater

 

“Beyrouth, ö Beyrouth,

Une main gauche, celle des gouvernements arabes a silencieusement rempli de sable, la bouche des poètes. Il ne reste plus que Beyrouth’’.

(Tahar Ben Jelloun)

Le Liban “pays et idée ’’, selon l’expression de Jean-Pierre Peroncelle-Hugos (Une croix sur le Liban, collection Lieu Commun, 1984), vit une dure épreuve existentielle. Le pays a institué, après l’indépendance, en novembre 1943, un système distribuant tous les postes de responsabilité selon la religion : Au sommet, le président de la république doit être chrétien, le président de l’assemblée chiite.  Les postes sont créés par multiple de 11 : 6 chrétiens dont 4 maronites, un arménien et un orthodoxe 2 sunnites, 2 chiites et un druze. Ce système assura pendant quelques décennies la coexistence des religions et des ethnies et garantit la stabilité du pays. De ce fait, Il était la seule démocratie arabe, le “paradis touristique’’ des pays du Golfe, dont la diaspora en Afrique, en Amérique et au Moyen-Orient assurait sa promotion.

Pendant les premières décennies d’indépendance, le Liban est appelé « la Suisse du Moyen-Orient » : sécurité, tolérance, liberté d’opinion, niveau de vie relativement élevé. Mais la situation ne tarda pas à changer. Le communautarisme politique libanais et la “démocratie consensuelle’’ furent mise à rude épreuve.

D’un tsunami à un autre : Les troubles civiles de 1958 s’expliquent par les conséquences du contexte régional arabe et le refus du président pro-occidental Camille Chamoun de rompre les relations diplomatiques avec le Royaume-Uni et la France alors que celles-ci attaquent l'Égypte durant la crise de Suez.  La communauté musulmane revendue un rapprochement avec la République arabe unie. Ce que refuse la communauté chrétienne. Bombes et assassinats précèdent de vastes manifestations de rue et  une guérilla dans la montagne entre loyalistes de Naim Moghabghab et insurgés de Kamal Joumblatt. Ce conflit est ainsi marqué par les enjeux internationaux et notamment l'influence du nassérisme et du baasisme qui deviennent les porte-voix des revendications de la communauté musulmane.

La guerre civile de 1975-1976 opposera essentiellement le mouvement national, une coalition de partis musulmans séculiers et de partis de gauche incluant aussi des chrétiens, emmené par le druze Kamal Joumblatt, qui s'opposera aux phalanges, un mouvement maronite de droite. En janvier 1976, les milices phalangistes attaquent un quartier bidonville musulman de Beyrouth, Karantina, et un camp palestinien chrétien à Dbaiyeh, dont les populations sont soit tuées ou expulsées. les camp palestiniens de Tel el Zaatar et Jisr al basha sont aussi assiégés. En représailles, le Fatah palestinien, qui était jusque-là resté neutre dans les affaires intérieures libanaises, joint ses forces à celles du mouvement national, lors de l'attaque de la ville chrétienne de Damour, fief de Camille Chamoun. La réplique phalangiste se traduira par le massacre de Tel al-Zaatar en juin 1976. L’occupation syrienne, qui s’ensuivit, s’inscrit dans la mise sur place d'une Force arabe de dissuasion, qui est en fait essentiellement syrienne, lors d'un sommet extraordinaire de la ligue arabe à Riyad en octobre 1976.

En avril 1981, les forces israéliennes attaquent les troupes syriennes au Liban. En juillet,1981, l'aviation israélienne bombarde massivement des bureaux de l’OLP à Beyrouth.  Les accords de Taef, en 1989 confirment l’esprit de partenariat islamo-chrétien.  La fondation du parti Hezballah, en juin 1982 et révélé publiquement en février 1985, - parti politique et groupe islamiste chiite basé au Liban -  soumet à rude épreuve le partenariat islamo-chrétien.  Il a été  créé à la suite de la révolution islamique iranienne et l'intervention militaire israélienne au Liban de 1982 pendant la guerre civile, en s'appuyant sur un armement et un financement iraniens.

L’assassinat du premier ministre libanais Rafic Hariri, le 14 février 2005, fut perçu comme un tsunami.  De nombreux observateurs accusent les services de sécurité libanais, dans cette conjoncture de tutelle syrienne au Liban, devenue impopulaire. Mais fallait-il “oublier tout ce que le Mossad ou la CIA, ont fait au Liban, depuis des décennies ?’’ s’interroge Ghassen EL-Fezzi, dans une étude de la conjoncture du Great Middle East (Printemps libanais in où va le Liban ? confluences méditerranéennes, Paris, l’Harmattan, hiver 2005-2006), De fait, de nombreux assassinats d’acteurs politiques libanais, depuis celui de de Kamel Joumblat, n’ont pas été élucidés. Sous la pression populaire et internationale, l’armée syrienne se retire du Liban. 

La crise actuelle :  Le 4 août dernier, une double explosion d’une violence inouïe plongeait Beyrouth dans la désolation :  près de 200 morts, plus de 6500 blessés, le port et plusieurs quartiers de la capitale libanaise dévastés.  L’explosion, d’un stock de nitrate d’ammonium entreposé dans le port de Beyrouth, depuis 2014, dont le potentiel terriblement dévastateur était connu, incarne une énième illustration de la corruption qui caractérise le système libanais, dans une conjoncture de crise économique grave. Ce fut un véritable tsunami. Les réserves de la Banque du Liban en dollars, devise sur laquelle la livre libanaise est indexée, sont au plus bas. Face à cette situation, les banques ont limité les retraits et les transferts en dollars depuis le mois de novembre. Dans le même temps, la valeur de la livre libanaise a dégringolé. Avant la crise, le taux de change était de 1 500 livres pour un dollar, il vaut désormais "entre 8 000 et 10 000 livres" sur le marché noir. Le taux grimpe tous les jours. En avril, près de 50% de la population libanaise vivait sous le seuil de pauvreté, et plus de 20% sous le seuil d'extrême pauvreté, selon les dernières données disponibles de la Banque mondiale.

Conséquence de cette situation, le Liban a été ébranlé à  l'automne 2019,  par un important mouvement de contestation populaire. Durant près de quatre mois, les militants sont descendus en nombre dans la rue pour dénoncer la situation. La pandémie de Covid-19 a mis un coup d'arrêt à la mobilisation. Mais les manifestations ont repris mi-juin à Beyrouth et dans d'autres villes du pays. Les discussions avec le Fonds monétaire international (FMI) ont, en outre, échoué. Les pays du Golfe, qui pendant longtemps ont joué le rôle de bailleurs de fonds du Liban, hésitent de leur côté à aider le pays du Cèdre, alarmées par l'influence croissante du Hezbollah, allié de l'Iran. 

La formation d’un nouveau gouvernement fut bloquée. Soucieuse de contribuer à une sortie de crise, la plus grave au Liban depuis la guerre civile de 1975-1990, la France réclame la formation d'un nouveau gouvernement et la mise en place de réformes comme condition au déblocage de milliards de dollars d'aide. Mardi 1er septembre, le Président Macron annonçait avoir obtenu de l’ensemble des forces politiques libanaises un engagement sur un calendrier et un agenda, à commencer par la formation sous 15 jours d’un gouvernement de « mission ». Mais ses efforts, n’ont pas encore abouti.

Conclusion : Des rééquilibrages conjoncturels concluent chaque crise, souvent favorisés par des exigences de l’extérieur. L’intervention récente de la France pourrait-elle aboutir ? Le déclenchement de la guerre de fait en Palestine risque de différer le traitement de la crise et la réconciliation des acteurs. Le Liban peut difficilement s’accommoder de ce statu quo ravageur. Fait grave, subissant les répercussions de l’aire arabe, le Liban défend difficilement son autonomie. Peut-il “sortir du cercle vicieux du statut d’Etat-Tampon ?’’ s’interroge George Corme (où va le Liban, op. cité). Comment pourrait-il remettre en cause le “mythe de la démocratie communautaire ?’’

Des mots sur les maux !

Pr. Khalifa Chater

“ Quand on ne sait pas où l'on va, tous les chemins mènent nulle part’’( Henry Alfred Kissinger).

Comment analyser la situation tunisienne actuelle ?  Reprenant les thèmes d’un diagnostic, hors Tunisie de Bernard Minier, en l’adoptant, nous pouvons parler des “ quatre cavaliers de l'Apocalypse’’ qui ont pour noms finance, politique, surenchère passéiste et arrêt de l’exploitation, des principales ressources et non leur épuisement (Bernard Minier, Le cercle (2012). Certes, la Tunisie n’est pas en train de s’écrouler. Les acteurs politiques ne sont pas en train de “danser sur un volcan’’. Mais ils se préoccupent davantage de questions marginales et de choses insignifiantes.

Comment expliquer autrement les situations conflictuelles, entre le président de la république, le chef du gouvernement et le président du parlement, qui bloquent de fait la gestion gouvernementale, le traitement des questions vitales, la prise en charge des enjeux du pays ?

Les attentes sociales sont oubliées. L’endettement occulte toute politique d’investissement. L’ultime recours au FMI pose la question de la dépendance de l’étranger. D’ailleurs les négociations qui ont cours actuellement semblent laborieuses. Sa demande de mettre fin à la politique de subvention, dans son postulat de “la vérité des prix’’ soumettrait le pays à rude épreuve. Ne perdons pas de vue, la révolte du pain, en 1984. Seraient-ils réussis, les financements du FMI différeraient la crise, sans la traiter. Mais ils sont actuellement nécessaires.

Un faux usage de l’histoire tunisienne du XIXe siècle met à l’ordre du jour, chez des acteurs hâtifs, une comparaison avec les origines du protectorat, décrites par Jean Gainage. Ils se trompent. L’histoire ne se répété pas. Les conditions actuelles (mondialisation, multipolarisation, solidarité onusienne et réveil des peuples) ne le permettent pas.

 

Nous ne pouvons nier, le jeu international, qui accompagne et tente d’infléchir la dynamique interne. Des dérives sont possibles. Certains acteurs peuvent l’exploiter, dans leur recherche d’un père Noel. Mais la population tunisienne reste la maitresse du jeu. Le pouvoir lui appartient. La pénurie d’oxygéne, pour traiter la pandémie a confirmé la solidarité effective de l’Egypte et de l’Algérie. Ne sous-estimons pas la solidarité des mouvances arabes, africaines et tiers-mondiste. 

Nécessaire solution, à plus ou moins brève échéance, ce rappel de Paul Valéry “la meilleure façon de réaliser ses rêves est de se réveiller’’.

 

 

Tchad, l’épreuve de la succession

Pr. Khalifa Chater

 

La mort d’Idriss Déby le président du Tchad a provoqué un choc dans son pays. Le flou règne encore sur les circonstances exactes de ce décès. Il n’existe pas de version officielle et détaillée de sa mort. L'armée affirme qu'il serait mort suite à une blessure contractée dans le nord du Kanem, en affrontant les rebelles du Fact, mais elle ne donne pas plus de précision. Cette version est vraisemblable. Idriss Deby est un militaire, qui a souvent participés aux opérations militaires contre les rebelles.

La dictature du maréchal : Ce vaste territoire de 1.284 000 kilomètre carré, et peuplé de près de 16 millions d’habitants, a accédé comme la plupart des ex-colonies françaises, le 11 août 1960 à la souveraineté nationale et internationale. Mais l’histoire politique des quatre dernières décennies a été marquée par de nombreux coups d’Etat et autres tentatives de déstabilisation des institutions du pays.

Le 13 avril 1972, François Tombalbaye, le premier président, fut assassiné lors d’un coup d’état militaire. Huit ans plus tard éclate la guerre civile de 1979. Idriss Déby a pris le au pouvoir en 1990 après avoir renversé la dictature d’Hissène Habré, dont il fut le chef d’état-major. Il devint un souverain absolu. Autoproclamé maréchal, il règne en maitre dans le pays, Il avait placé sa famille ou des proches à des postes-clés de l'armée, de l'appareil d'État ou économique, et ne laissait jamais les autres longtemps en place. Dix-sept Premiers ministres se sont succédé entre 1991 et 2018, avant qu'Idriss Déby ne fasse supprimer cette fonction pour ravir toutes les prérogatives de l'exécutif.

Déby bénéficiait notamment au soutien politique et militaire de la France qui le considère comme un allié stratégique dans la lutte contre le terrorisme en Afrique subsaharienne.  Ce chef de guerre devint de fait "le gendarme du Sahel".

Une transition militaire : La constitution prévoyait un intérim du président de l’assemblée, appelé pour remplacer le président défunt. Mais le pouvoir fut confié à un comité de militaire de transition, composé de quinze généraux et présidé par Mahamat Idriss Déby le fils de l’ancien président, nommé comme président par intérim. D’autre part, le conseil militaire a publié une nouvelle charte, censée remplacer la constitution. Déby fils pourra-t-il assurer une continuité sans heurts ? « Ce n'est absolument pas une garantie de stabilité. Il faut attendre de voir comment les forces armées vont réagir. Est-ce qu'il va pouvoir s'imposer à une armée de généraux plus âgés ? Est-ce qu'il va réussir le pari de cette transition ? » s'interroge Caroline Roussy, chercheuse Afrique à l'Institut de relations internationales et stratégiques. Plusieurs groupes d'opposition, notamment au sein de la diaspora, ont dénoncé un « coup d'État » et appelé à ne pas reconnaître la « junte militaire ». Ils demandent l’établissement d’un régime civil.

D’autre part, le gouvernement de transition pourrait-il réussir l’affrontement avec la rébellion, arrivée depuis le Nord, région frondeuse très liée à la Libye voisine. Le 11 avril dernier, jour de l'élection présidentielle, le Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (Fact), a lancé une offensive avec des véhicules lourdement armés, depuis la Libye. Entrés par un poste frontalier de douane de la région du Tibesti, ils ont pour objectif de conquérir la capitale 1 000 kilomètres plus loin. Dès lundi, les rebelles du Fact avaient donné une liste de plusieurs officiers tués, parmi lesquels un certain « colonel Idriss Déby Itno », le dernier grade que lui reconnaissaient ses détracteurs, le dernier grade que lui reconnaissaient ses détracteurs.  Ils ont annoncé mardi qu'ils comptaient poursuivre leur offensive vers la capitale. La stabilité du Tchad ne semble plus à l’ordre du jour.

La France perd un grand allié. Elle comptait sur l'armée tchadienne pour la lutte anti djihadiste au Sahel, aux côtés de la force Barkhane, dont le QG est installé à N'Djamena. La France a trois bases militaires au Tchad. « Déby a mis en place une des armées les plus solides d'Afrique centrale, avec entre 40 000 et 65 000 soldats. Une armée crédible, bien formée », explique Caroline Roussy. « C'est un cycle d'instabilité qui est ouvert au Tchad, avec de possibles répercussions sur l'ensemble de la région », conclut-elle (Tchad : cinq points clés pour mieux appréhender l’après-Déby, Le point, AFP, 22 avril 2021). Soucieux de sauvegarder son alliance, Emmanuel Macron se rendra d'ailleurs lui-même aux funérailles de M. Déby, le 23 mars. Mais l’opposition tchadienne dénonce déjà, l’intervention française, en faveur de Derby fils.

Tunisie, au-delà des évidences

Pr. Khalifa Chater

 

La vie politique est désormais dominée par les relations conflictuelles, entre le président de la république et le chef du gouvernement. Lors de la cérémonie de commémoration du 21e anniversaire du décès de Bourguiba, le président de la République, Kais Saied a expliqué son refus de ratifier les amendements parlementaires de la cour constitutionnelle. Certes le peuple tunisien a besoin d’une Cour constitutionnelle, mais cela ne doit en au cas se faire au détriment de l’esprit de la Constitution et des lois, a-t-il souligné. Aujourd’hui, la majorité parlementaire tente de rectifier des dispositions déjà créées sur mesure, plusieurs années après la fin des délais constitutionnels. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui veulent faire imploser ce qu’a bâti Bourguiba : l’éducation, les administrations et la société moderne, au nom de l’Islam. L’opposition du Président au mouvement Nahdha est évidente.   

Dépendant de sa ceinture parlementaire, le chef du gouvernement est de fait au service du parti Nahdha. Le président de la république, dont la popularité est incontestable est l’allié objectif du parti destourien, fu-il son ennemi idéologique ! L’antinomie oppose deux paradigmes :  La bipolarité qui domine de fait, dessine ainsi les deux clans protagonistes et redimensionne les écarts entre les discours, faisant valoir des réalités, au-delà des évidences.

Le dialogue proposé par l’UGTT au président de la république a pour objet de traiter la crise et d’engager une relance économique. Mais peut-on résoudre la crise, en dialoguant avec les acteurs politiques qui en sont responsables ? Nada et Tahya Tounes qui gouvernaient le pays, se sont accommodés de la paralysie des structures d’Etat et des institutions économiques. Pouvaient-ils réviser leur stratégie du « laisser faire » ? Autre crainte affirmée par certains analystes : « le dialogue pourrait blanchir Nahdha » et bien entendu Nida Tounes qui a signé une alliance gouvernementale avec elle. Tahya Tounes, survivance de Nida assumerait cette responsabilité historique. Fait évident, la ceinture politique du gouvernement : Nahdha, Kalb Tounes et Itilaf al-Karama souhaiterait réduire le dialogue à ses composantes socio-économiques alors que la mise en application de la stratégie est l’œuvre du gouvernement.

Rappelons que Hichem  Mechichi a donné, le 17 mars 2021, le coup d’envoi d’un plan de réforme économique pour faire face aux défis auxquels la Tunisie est confrontée. Des réunions ont lieu à cet effet, à Beit El Hikma, sous sa présidence, avec la participation les deux centrales syndicales et patronales. Le travail des commissions prévues à cet effet, devrait ralentir le processus et le différer jusqu’à la fin du dialogue. Ce qui permettrait au gouvernement de gagner du temps. Il occulterait les urgences, alors que l’économie est sous perfusion, l’endettement menace le pays de banqueroute et la crise sociale réactiverait la révolte populaire.  D’autre part, la stratégie de Hichem Mechichi faisait valoir les institutions nationales sur les partis. En effet, le chef du gouvernement a eu des entretiens avec l’UGTT puis l’UTICA et s’est entendu avec eux sur un programme de réformes.  Comment expliquer ce paradoxe d’un gouvernement qui bénéficie de l’appui des partis et les occulte, dans sa stratégie de redressement ? Priorité du gouvernement, sortir de son isolement, pour garder le pouvoir. En tout cas, les mesures d’assainissement des institutions nationales sont des effets d’annonce, alors que le pays exige de passer à l’action. N’aurait-il pas été plus recommandé de privilégier le dialogue, sous l’égide du président et de l’enrichir par la formation d’une commission d’experts, appelés à identifier les réformes urgentes ?

L’actualisation de la formation de la cour constitutionnelle, par les partis qui l’ont toujours bloquée montre que leur objectif est de redimensionner le président de la république. Tout le reste - y compris ces discours de surenchère - relève de la mise en scène. Peut-on former une cour constitutionnelle, non partisane, au-dessus de tout soupçon, en choisissant des candidats proposés par les partis ?

Alors que les citoyens rappelaient leurs attentes, certains acteurs politiques s’adonnent aux querelles et aux surenchères, alimentées par des fakenews. Nouveauté du jeu politique, les enregistrements fuités des adversaires. De fait, les entretiens et les négociations entre les protagonistes sont désormais exploités. Qu’on se rappelle l’enregistrement fuité d’une négociation contre le président du parlement et l’enregistrement récent d’un entretien que la chef du cabinet du président avec une collègue. Ce qui créé un climat malsain, hostile à tout débat politique. Ces dérives constituent des pertes de temps qui différent la solution des problèmes.

En attendant l’engagement d’un dialogue national

Pr. Khalifa Chater

 

La Tunisie subit une crise politique, sans fin prévisible. Le conflit entre le président de la république et le chef du gouvernement bloque, de fait la gouvernance du pays.  Les activités gouvernementales se limitent à la gestion des affaires courantes. Comment traiter cette « crise gelée » ? D’ailleurs le gouvernement actuel et les partis qui le soutiennent, sa « ceinture parlementaire » ne semblent pas avoir de visions d’avenir, à mettre en application, pour répondre aux attentes des citoyens. Fait évident, il y a une rupture entre la classe politique et les citoyens. Comment sortir du « goulot d’étranglement », de l’impasse qui, hélas, n’est pas conjoncturelle.

Le parlement est divisé. Nahda, Qibla Tournes et Itilef al-Karama soutient le gouvernement et la présidence du parlement. Les partis nationalistes et/ou démocratiques tentent vainement un processus de remise en cause du président du parlement et de la Nahdha. Mais ils rejoignent ce parti, qu’ils dénoncent dans l’exclusion du Destour et la prise de sanction, contre sa présidente. Consensus surprenant, ils interdisent à Abri Mossi de prendre la parole durant trois séances. Est-ce à dire, selon un observateur, que « Nahda et ces partis conjoncturellement démocrates veulent restaurer le despotisme ? » Leur défense de la révolution s’expliquerait-elle exclusivement par l’opportunité qui leur est offerte de prendre le pouvoir ? En réalité, la réussite du parti destourien, d’après les sondages, explique leur peur de la concurrence, qui empêche la poursuite du jeu politique, dans les conditions requises. Peut-on occulter, d’autre part, les attaques verbales et physiques commises au parlement que les partis démocrates semblent tolérer et dont certains d’entre eux étaient, il y a quelques mois, victimes ? Sans doute, estimaient-ils que la percée du Destour, met en échec leurs velléités de créer une force centrale, entre Nahdha et le destour !

Suite à un malentendu, l’association des journalistes a décidé de boycotter le parti destourien. De ce fait, elle s’érige en allié objectif de Nahdha. Or sa prise en compte du combat de ce parti contre la transgression de l’Etat et les velléités de théocratisation aurait dû l’inciter à relativiser ce conflit conjoncturel. Remarque préliminaire, le journaliste rend compte de la vie politique, sans état d’âme. Il énonce les faits, tout en assurant librement ses commentaires.

Pour faire face à la crise gelée et à la nécessité de débloquer l’impasse économique, l’UGTT a présenté au président de la république, dès le 29 novembre, le projet d’un dialogue national. Elle revient à la charge le 27 mars : La Tunisie, rappela son porte- parole, à l’occasion de l’affirmation prioritaire du président sur le dialogue avec la jeunesse « a besoin d’un dialogue national pour sauver le pays de la crise ». Ce dialogue devrait, d’après les analystes :

  • Traiter le grave problème de la corruption, postulat présidentiel, qui dénonce sa diffusion,
  • Créer les conditions d’une relance économique et social
  • Sauvegarder les entreprises nationales et leur assurer les conditions d’une bonne gestion.

Le traitement de la crise nécessiterait, bien entendu, l’application de la vision d’avenir, formulé par les différents acteurs. Au-dessus de la mêlée politique, mais responsable de l’intérêt publique, le président, qui représente une autorité morale est appelé à exercer son arbitrage et surtout assainir les relations entre les partis. Il devrait faire valoir la morale politique, pour mettre fin aux dérives de certains groupuscules qui attaquent leurs adversaires et tentent de transgresser l’autorité de l’Etat. Dans la situation grave que vit la Tunisie, il constitue «la planche de salut »

Tahar Ben Ammar, le négociateur de l’indépendance

Pr. Khalifa Chater

 

Tahar Ben Ammar était un grand propriétaire terrien. Il continua l’œuvre de son père, qui était propriétaire de plusieurs domaines agricoles à Bourada, Kharja (pont de Bizerte) et Cebala, qu'il gère en utilisant les techniques agricoles les plus modernes à l'instar des colons français. Tahar Ben Ammar vivait les empiétements de la colonisation et subissait sa concurrence déloyale.

Tahar Ben Ammar et les revendications nationales : Suite à la publication du livre de Abdelaziz Thaalbi, la Tunisie Martyr, une première délégation tunisienne, part à Paris, le 6 juin 1920, pour présenter les revendications nationales. Tahar Ben Ammar la rejoint le 17 juin. Ce qui permit, à la délégation, grâce à ses connaissances, de rencontrer des parlementaires français. Tahar Ben Ammar, préside la deuxième délégation tunisienne (décembre 1920-janvier 1921), qui réussit à rencontrer le président du Conseil Georges Leygues et son successeur Aristide Briand. Faisant valoir les revendications tunisiennes, Tahar Ben Ammar affirme : « Nous demandons une chambre délibérative élue au suffrage universel ou, à défaut, au suffrage le plus large, à condition d'en assurer l'indépendance complète vis-à-vis de l'administration, où siègeraient, en nombre égal, Français et Tunisiens, dans une collaboration permanente, pour que les Français profitent de notre expérience et pour que nous profitions des expériences des Français» (le  journal Le Temps, 30 janvier 1921). Après sa participation au parti Destour, qui venait d’être créé, Tahar Ben Ammar rejoint le parti réformiste, en décembre 1921.

Président de la Chambre d'Agriculture du Nord de 1928 à 1954 et membre du Grand Conseil, depuis 1928, il en fit des tribunes pour la défense des revendications tunisiennes. En 1936, Tahar Ben Ammar préside la section tunisienne du grand Conseil. IL définit les revendications, en concertation avec le bureau politique du Néo-Destour. Durant l’après-guerre, marquée par la destitution de Moncef Bey, la consolidation du pouvoir colonial et la répression qui s’en suivit, Tahar Ben Ammar prit son bâton de pèlerin, pour engager une nouvelle campagne de persuasion auprès des nouvelles autorités. Il revendiqua le 3 novembre 1943 auprès du Général de Gaulle à Alger, un "self-government" et une assemblée purement tunisienne. Le 7 mai 1944, il présenta au général De Gaule, invité à participer au premier anniversaire de la libération de Tunis un mémoire présentant les revendications de la section tunisienne du Grand Conseil (suppression des privilèges coloniaux, accès des Tunisiens à tous les emplois, institution d’une charte constitutionnelle et démocratique).

Suite au retour du leader du Caire, en 1949 et de la dynamisation du mouvement national, en conséquence, l’action de Tahar Ben Ammar, au sein du Grand Conseil, devait relayer la contestation nationale et réaffirmer ses revendications. Elu, président du Grand Conseil, en février 1950, Tahar Ben Ammar inscrit ses revendications, dans une vision d’émancipation du pays et s’érige en porte-parole du mouvement national. D’autre part, les conseillers tunisiens, dans leur majorité et en tout cas leur président Tahar Ben Ammar soutinrent la note du 31 octobre 1951, réclamant le remplacement du Grand Conseil par une Assemblée législative homogène.

Au service de la cause nationale (1952 – 1956) : Tahar en Ammar dénonça l’arrestation des ministres du gouvernement Chenik, puis l’arrestation de Habib Bourguiba, le 18 janvier 1952. Il demanda une enquête sur les exactions de l’armée française, à Tazerka et reçut les députés français, en mission en Tunisie, pour examiner les doléances tunisiennes. Tahar Ben Ammar fut avec Ferhat Hached un des principaux membres de la commission des Quarante, réunis, par Lamine Bey, pour examiner les réformes proposées par le pouvoir colonial.   La Commission des Quarante, qui désavouait le ministère Salah Eddine Baccouche et mettait en échec les velléités trompeuses du Résident Général, devenait la cible de la « Main Rouge ». Fait retenue par la mémoire familiale des Ben Ammar, l’organisation terroriste tenta d’arrêter Tahar Ben Ammar, le 4 décembre 1952. Elle assassina Ferhat Hached. Tahar Ben Ammar effectua une mission, en France (26 mars - 10 avril 1953), pour présenter la position tunisienne. Il œuvra pour dénoncer les réformes Voisard/ Mzali.

Le premier gouvernement Tahar Ben Ammar : A la veille du voyage de Mendès-France, à Tunis, le 31 juillet 1954, pour annoncer l’autonomie interne, sur décision de Habib Bourguiba, Mohammed Masmoudi demanda à Tahar Ben Ammar, de retourner d’urgence à Tunis. Lamine Bey et le gouvernement français étaient favorable à la candidature de Aziz Jallouli, comme Premier ministre du gouvernement des négociations. Habib Bourguiba exigea le choix de Tahar Ben Ammar, vu le rôle qu’il a joué, lors de la lutte, comme allié sûr du mouvement national.

Les négociations franco-tunisiennes allaient se révéler difficiles, vu les préalables définis par le gouvernement français, dès l’engagement du processus. La France voulait sauvegarder les privilèges de sa colonie, limitant la souveraineté interne. Tahar Ben Ammar, négociait, en concertation avec Habib Bourguiba, en France et consultait Salah Ben Youssef à Genève. Les négociations furent repries après la chute de Mendes France et son remplacement par Edgar Faure. Elles furent signées le 3 juin 1955 par Edgar Faure et Pierre july d’une part et Tahar Ben Ammar et Mongi Slim, d’autre part.

Les négociations de l’indépendance : Sur proposition de Habib Bourguiba au Bey, Tahar Ben Ammar fut nommé, le 17 septembre 1955, pour diriger le gouvernement des négociations de l’indépendance. Le Congrès de Sfax du Néo-Destour (15-18 novembre 1955) a induit la revendication de l’indépendance qui devint une priorité, après l’engagement des négociations franco-marocaines, annonçant « l’indépendance, dans le cadre de l’interdépendance ».  En France, le nouveau Président du Conseil, le socialiste Guy Mollet, annonça une politique d’ouverture, dans son discours d’investiture, le 30 janvier 1955. Il affirma «au Maroc, comme en Tunisie, le principe de l’interdépendance a été posé. Il doit être maintenant traduit dans le concret ».

 Saisissant cette opportunité, Habib Bourguiba annonça aussitôt son intention de se rendre en France, pour demander au gouvernement français de traduire dans les faits, dans les meilleurs délais possibles, les décisions annoncées par le Président du Conseil. L’initiative de Habib Bourguiba fut l’objet d’une concertation avec Tahar Ben Ammar, qui lui prit un rendez-vous avec Guy Mollet. Ouvertes lundi 27 février, les négociations furent laborieuses. Le gouvernement français voulait conditionner la proclamation de l’indépendance, par la définition des modalités de m’interdépendance, alors que le gouvernement tunisien estimait que ces modalités devaient être négociées ultérieurement, après la proclamation de l’indépendance. Les entretiens de Habib Bourguiba avec Christian Pineau et Alain Savary, devaient favoriser la conclusion du compromis au cours de la phase ultime de la négociation (17 mars 1956). Ce qui atteste la relation solidaire et organique et l’unité de vues entre la Direction du néo-Destour et le ministère Tahar Ben Ammar. Consécration de la victoire, le Protocole d’accord fut signé le 20 mars par Christian Pineau et Tahar Ben Ammar.

Culture et femmes, l’absence d’initiatives gouvernementales

Pr. Khalifa Chater

 

La question culturelle : Ayant limogé le ministre de la culture et nommé un intérimaire, le chef du gouvernement a mis la culture en attente. D’ailleurs, elle ne constituait pas une priorité des gouvernements post-révolution. Avec l’interdiction des rassemblements pour cause de coronavirus, les annulations de mariage se multiplient en Tunisie. Les décorateurs, photographes, musiciens et organisateurs sont désormais sans revenus. Les comédiens subissent le même sort. Ces hommes de culture ont observé un mouvement de protestation, lundi 26 octobre, devant le siège du gouvernorat de Tunis, pour revendiquer le règlement des problèmes que connait le secteur. Ils ont également demandé le règlement des arriérés dus aux artistes par le ministère de tutelle. Le lendemain, ils organisèrent un mouvement de protestation devant le palais le ministère des affaires culturelles, pour transmettre leurs revendications. Mais ils furent dispersés par la force. Lundi 16 novembre, ils organisèrent un sit ing à la place Kasba. Vendredi 20 novembre, ils revinrent à la charge, organisant une réunion de protestation, à la cité de la culture.

Les hommes de culture sont ainsi abandonnés à leur sort. En dépit de la réussite de leur création cinématographique et théâtrale, de l’affirmation de leur production artistique et de la promotion de leur musique et la célébrité de leurs rappeurs, ils sont marginalisés. Ils continuent cependant, autant que possible, leurs activités (organisation du quarantième jour de l’anniversaire du décès de l’artiste Naama, participation aux journées cinématographiques de Carthage etc.). Mais leur ministére semble se désintéresser de leurs conditions de vie. Ils sont de fait, marginalisés. Ultime consolation, le budget 2021 prévoit une augmentation de la caisse de couverture sociale au service des artistes. Elle ne peut traiter la question de leur précarité, de plus en plus grande.

Rappelons, pour faire valoir la nécessité de promotion de la culture, cette définition de l’Unesco : “La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances’’ (déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982).

La donne féminine : La question des violences faites aux femmes reste prégnante en Tunisie, malgré une loi votée en 2017 qui punit également toute forme de harcèlement. Près de 65 000 plaintes ont été enregistrées en 2019, selon les derniers chiffres du ministère de la femme, avec quelque 3 700 affaires traitées en justice. Fait grave, le déconfinement, suite à la pandémie, multiplie les violences. D’autre part, dans le cadre de la bipolarité, les droits des femmes sont seulement tolérés par certains acteurs sexistes. Un député, membre du parti Karama a déclaré que “les femmes célibataires sont soit des violées soit des prostituées… et le soi-disant modèle tunisien a engendré l’un des taux de divorce les plus hauts dans le monde…”. Leurs modèles seraient, selon ce député, “les épouses infidèles, les étudiantes allumeuses, les filles ingrates et les femmes de ménage harceleuses”. A juste titre, la présidente du Parti Destourien Abir Moussi dénonça les insultes à l’égard de la femme tunisienne, qui constituent, par ailleurs, une grave infraction à la Constitution. Fait surprenant, la ministre de la femme, présente lors de son discours, n’a pas réagi, tolérant cette dérive. Le gouvernement actuel n’a pris aucune initiative en faveur des femmes, se contentant d’une politique du laisser faire.