banniere

D’ici et d’ailleurs …!

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 08 au 28 janvier 2020

 

Les temps ont changé. En Europe, Daniel Cohen parle de “l’adieu du prolétariat” et affirme que le balancier gauche-droite va se porter plus loin encore vers l’extrême droite. D’autre part, le populisme  a remplacé le gauchisme, comme portevoix de la contestation (Daniel Cohen, Il faut dire que les temps ont changé, chronique (fiévreuse) d’une mutation qui inquiète, Albin Michel 2018, pp.11, 63, 115 et suivantes). Dans l’aire arabe, la volonté de changement a suscité de l’espérance. Exigence citoyenne, une vie meilleure, égalitaire et fraternelle. Le rêve populaire a mis à l’ordre du jour des utopies, coexistant avec un retour de la pensée conservatrice. Ultime épreuve, l’aire subit des dérives meurtrières. Le rééquilibrage politique s’inscrit désormais dans une conjoncture de désillusion.

La nouvelle donne tunisienne : Le Président de la république espère récupérer la protestation sociale. Mais la constitution, plutôt parlementaire, limite sa marge de manœuvre. Au Parlement, la majorité des députés semblent plus préoccupés, par  les problèmes de leurs régions, sans vision d’avenir. Les députés de gauche - des orphelins de l’idéologie marxiste ! - n’ont plus de poids.  En dépit, de son discours politique, Nahdha agit comme une machine à formater les esprits. Mais l’effondrement du système économique, met à l’épreuve son discours.  La situation  atteste la nécessité de bâtir des alternatives. A-t-on transgressé la guerre identitaire ? L’Etat interdit l’espace public comme un lieu de combat religieux. Mais la proposition d’instituer la Zakkat rappelle les velléités califales d’antan ? Le parlement tunisien n’a pas laissé faire. Mais nous avons affaire à une prise de conscience à géométrie variable. Pour les islamistes, la laïcité opère comme “une théologie négative”. Redimensionnons cette querelle d’un autre temps, dans le cadre d’une lecture de notre constitution. 

Suite aux élections, Habib Jomli vient de former son gouvernement. Il annonça son choix de ministres “de compétences, sans relations avec les partis”.  En fait, l’équipe gouvernementale est essentiellement formée par une majorité de membres, issus de Nahdha et une participation du parti Kalb Tounes. Mais il s’agit de cadres secondaires de ces deux partis, n’appartenant pas à leurs directions. Jeu de comédie, Nahdha et Kalb Tounes ont réunis leurs bureaux, pour soi-disant évaluer cette équipe, issue de leurs seins. Les compétences affirmées seraient plutôt relatives, en tout cas, peu évidentes. La nouvelle équipe pourrait-elle annoncer un virage pour répondre aux attentes des citoyens, assurer le développement économique, faire face au défi du chômage et aux exigences du panier de la ménagère. Fait grave, l’annonce d’une intervention militaire turque, en Lybie, pour soutenir l’équipe de Faiez Serraj, otage-allié des milices et de l’obédience islamique, met à l’ordre du jour une conjoncture de turbulences, mettant à l’épreuve le voisinage maghrébin et bien au-delà. Cette situation requiert plutôt un gouvernement politique, vu les prioritaires sécuritaires qui se conjuguent avec les attentes sociales. Or, les divergences entre la présidence de la république et les acteurs politiques pourraient remettre en cause, la mobilisation requise, en dépit du sursaut national, que l’annonce de l’intervention turque a suscitée, dans le pays.

Afrique, la disparition du franc CFA : Le Président Emmanuel Macron et son homologue ivoirien, Lassane Outara, ont annoncé, le 21 décembre à Abidjan, l’abandon du franc CFA, cette monnaie crée par la France coloniale, en 1945. Le CFA est perçu comme un vestige de la Franceafrique. Il sera remplacé en 2020, par l’Eco. La réforme ne concerne, dans un premier temps, que les huit pays de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (le Bénin, le Burkina Faso, la Cote d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo). Les six pays d’Afrique centrale (Cameroun, Congo, Centrafrique, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad) qui forment une zone monétaire distincte, ne sont pas, pour le moment concernés.

Fait significatif, la nouvelle monnaie demeurera arrimée à l’euro, selon une parité fixe, garantie par l’Etat français. Il s’agirait d’une “réformette, pleine de contradictions” a estimé Mamadou Koulibali, candidat à la présidence, en 2020. De fait, la réforme du franc CFA serait plutôt un symbole, puisqu’elle n’introduit pas de changements effectifs (Marie de Vedges, Monde Afrique, 25-26 décembre 2019). En réalité,  la France tient à garder son carré africain, mis en péril par la nouvelle donne Chineafrique).

Royaume Uni, l’après-Brexit : Dans la foulée de la sortie de l’Union Européenne, le 31 janvier prochain, le nouveau premier ministre Boris Johnson veut transformer son pays en profondeur. “L’insularité peut-elle mener au repli sur soi ? ”. En réalité, Boris Johnson reconstruit une nouvelle politique d’ouverture. Il  opte pour une navigation libre, se rapprochant des USA et  installant de nouveaux points d’appui, en Asie,  tout en mettant à son programme un nouveau partenariat avec l’Europe (Philippe Gelle, un destin pour une île, éditorial Le Figaro, 20 décembre 2019). Ses relations héritées de l’empire, ne peuvent s’accommoder d’un repli. Le nouveau gouvernement britannique  réussira-t-il à conjuguer  son populisme, avec, une ouverture maitrisée au monde et une nouvelle vision politique internationale ?

En France, les fêtes à l’épreuve de la grève : La grève des différents moyens de transports (métros, bus, chemin de fer) a bloqué la circulation à Paris. Elle promet de durer, puisque le pouvoir s’est accommodé de la situation, laissant trainer les négociations, puis les reportant au 7 janvier. Une grève de prés d’un mois. Ne revenons pas sur  les mobiles de la grève et sur l’opposition entre le gouvernement et les citoyens sur la question de la retraite. Mais examinons ses conséquences sur le quotidien : retour à la voiture, usage du voiturage commun et surtout usage du vélo qui s’impose dans les villes. “Le citoyen harassé par la  contraintes de la vie quotidienne, recherche d’abord, en enfourchant son destrier de métal, à retrouver le chemin de la liberté ”. On évoque même  “le sacre de la petite reine” (éditorial Le Figaro, 23 décembre 2019).

 

Tunisie, les défis du voisinage maghrébin …!

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 26 décembre 2019, au 8 janvier 2020

 

Alors que la Tunisie est dans le brouillard. Les difficultés de former le gouvernement ont affectés la classe politique. Pourrait-elle bénéficier de la stabilité, alors que son voisinage vit une situation paradoxale. En Lybie, la guerre se perpétue. Elle est affectée par le jeu des acteurs régionaux et internationaux.

L’impasse algérienne ? L’Algérie semble être  dans l’impasse, en dépit de l’élection d’un nouveau président le 12 décembre, mais la rue poursuit son harak protestataire, remettant  en question de la légitimité du nouveau pouvoir. En effet, les manifestants demandent le départ des hommes de l’ancien régime et contestent le président élu. Défendant la continuité, l’armée soutient le nouveau président et souhaite éviter un changement fondamental du régime. Des opposants affirment que le nouveau président est l’otage de l’armée, alors que la classe politique est favorable à un régime de compromis, entre la présidence et l’armée. D’ailleurs, l’armée a toujours joué un rôle déterminant dans la succession présidentielle depuis la présidence. C’est elle qui a porté Ahmed Ben Bella au pouvoir mais  a conservé depuis lors son statut d’organe de gouvernement, dans l’undeground et la vie publique. De ce fait, l’armée assure la lutte contre le terrorisme. Ce qui confirme l’alliance de fait tuniso-algérienne, vu le danger commun.

Le défi de la politique turque, en Lybie : La signature, le 27 novembre 2019, d’un  protocole "de coopération militaire et sécuritaire" entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et le chef du Gouvernement libyen d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj, lors d’une rencontre à Istanbul, affecte l’ordre libyen et maghrébin. Certes, les clauses n’ont pas été révélées. Mais il assure le soutien politique et militaire turc, aux autorités de Tripoli, proche des islamistes. Le président Erdogan reconnait, d’ailleurs,  l’aide turque apportée à Fayez al-Sarraj et sa volonté de  rééquilibrer la situation face aux forces de Khalifa Haftar, établis à l’est. Cette accord affecte la guerre civile libyenne et entrave la quete d’un accord qu’engage les riverains. D’autre part, Il confirme et développe la réactivation de la politique ottomane, au Maghreb et au Moyen-Orient.

D’autre part, cet accord permettra à Ankara d'augmenter de 30% la superficie de son plateau continental et pourrait empêcher la Grèce de signer un accord de délimitation maritime avec l'Egypte et Chypre, ce qui renforcerait considérablement l'influence de la Turquie dans l'exploitation des hydrocarbures en Méditerranée orientale.

La confirmation des jeux de rôle étrangers en Lybie : L’accord entre le pouvoir établi en Tripolitaie suscita l’inquiétude en Gréce et en Egypte. La réaction d’Athènes a été véhémente. Le Premier ministre grec Kyriakos Mitsokakis a indiqué, dès le 1er décembre, qu’il demanderait le soutien de l’OTAN face à l’accord turco-libyen lors du sommet de l’Alliance qui s’est ouvert le 3 près de Londres en présence du président turc. Le ministre grec des Affaires étrangères a, d’autre part, expulsé l’ambassadrice libyenne à Athènes, qui n’a pas pu  répondre  à la demande grecque de révèler le contenu de l’accord.

D’autre part, l’accord suscita l’inquiétude de l’Union Européenne, qui demanda, des éclaircissements sur le contenu du mémorandum d’accord sur la définition des zones d’influence maritimes. L’Union européenne a souligné la nécessité de respecter le droit maritime international et les relations de bon voisinage, et a réaffirmé sa totale solidarité avec la Grèce et l’administration de la République de Chypre concernant l’évolution de la situation en Méditerranée orientale (déclaration du Bureau du Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell. Le 4 décembre). En réponse, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré samedi, 7 décembre, que l'accord de délimitation des frontières maritimes signé avec la Libye a été envoyé aux Nations Unies pour enregistrement.

Vu l’hostilité d’Erdogan, au président Sissi, l’Egypte craint le developpement de cette alliance  turque avec un pays riverain. D’autre part, ses analystes estiment que l’accord permettrait d’établir des bases turques en Egypte et confirmerait le stratégie de chantage d’Ankara. D’autre part, la Turquie peut utiliser, dans de telles circonstances, des services spéciaux, sinon des mercenaires,  comme des  “go-between”, des intermédiaires. Il restait tous les impondérables, dont chacun pouvait déclencher une catastrophe. Il affecte d’ailleurs l’enjeu panarabe, que défend l’Egypte.

Fait évident, l’accord entre la Turquie et la Libye changera les équilibres en Méditerranée orientale. En tout cas, l’accord  institue la guerre froide, dans la région. Mais comment interpréter le silence des pays maghrébins ?

Craignant un afflux de forces combattantes lybiennes, la Tunisie a mobilisé ses troupes, à la frontière. Tout en affirmant ses prédispositions à accueillir les réfugiés, elle craint que le champ de guerre transgresse la frontière ou qu’il provoque un afflux de daéchiens, dans le pays.

La gouvernance tunisienne à l’épreuve …!

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 11 au 26 décembre 2019

 

“Avant, le Gouvernement allait dans le mur, maintenant il klaxonne”, ainsi définit un observateur la gouvernance dus ministère  sortant. La désillusion gagna l’utopie révolutionnaire ou du moins la réalisation des attentes minimales. Les effets cumulatifs  de la gestion du gouvernement sortant auraient suscité une insatisfaction générale.

1 -  Le gouvernement sortant a affirmé la priorité de sa lutte contre la corruption. Mais cette stratégie, qui  n’a pas été engagée de fait, n’a pas arrêté le développement de la corruption. Il  s’agissait donc d’un simple fait d’annonce, selon les observateurs. 

2 – Le  dossier économique devrait être la pierre angulaire de la politique du prochain gouvernement. En fait, les réponses apportées par le gouvernement sortant, ainsi que les gouvernements précédents,  n’ont pas été en mesure d’apporter des solutions appropriées à  la crise économique. Le prochain gouvernement aura affaire à un lourd héritage économique, ce qui réduira sa marge de manœuvre. Il devra se pencher, dès sa formation, sur le traitement des problèmes économiques.

3 – La balance commerciale reste déficitaire, en dépit du développement de l’exportation de l’huile et des dattes. Outre les effets des  relations asymétriques avec l’union européenne, le gouvernement à permis, par choix idéologique l’importation des tissus, de l’eau minérale, des produits agricoles et même les glibets, desservant, par leurs concurrence, l’économie tunisienne.

4 - Le développement de l’endettement et du déficit budgétaire : La loi des finances de 2020, objet de la discussion parlementaire, annonce une baisse du déficit budgétaire (de l’ordre de 11 milliards). Mais l’étude de cette loi occulte l’endettement de l’Etat au prés des entreprises tunisiennes. Prés de 600 milliards, ce qui atteste l’ampleur du déficit. Les surtaxassions et la chute du dinar, en conséquence,  ne sont pas de nature à ménager le pouvoir d’achat des citoyens. Outre les effets sur le panier de la ménagère. L’endettement crée les conditions d’une dépendance économique et aliène la souveraineté nationale, à plus ou moins brève échéance. Cette situation aura vraisemblablement un impact sur les négociations avec le FMI.

5 – La poursuite des nominations par le gouvernement sortant. Continuant la gestion des affaires, le gouvernement multiplie les destitutions et les nominations des hauts cadres de l’administration. S’agissait-il de distribuer des privilèges à des proches ou de punir ceux qui ne font pas partie de sa caste ? Ce qu’a cru comprendre la direction du parti Nahdha, qui vient de lui demander de mettre fin à ces initiatives et à réviser ces ultimes nominations (réunion de la choura, du 2 décembre 2019).

6 – le drame d’Amdoun : Les responsabilités ne sont pas établies : Excès de vitesse, état du bus, déficience de l’infrastructure,  mauvais état de la route etc. La mort de 29 jeunes participants à l’excursion, le 1er décembre  suscita la colère générale, que la démission du gouverneur de Béja, non responsable de l’état des routes, ne pouvait apaiser. 

Belotte et rebelote : Le chef du gouvernement désigné semble préoccupé par l’intégration des principaux partis  à son équipe. Or, le choix de dirigeants de partis ne peut s’accommoder de la formation d’un gouvernement de compétences.  Nous remarquons d’ailleurs que le chef du gouvernement désigné a exclu de ses entretiens l’élite culturelle et économique. Transgressant la donne constitutionnelle, il a occulté les personnalités féminines, à une exception prés, celle de l’union des femmes. D’autre part, le programme proposé, ne dépasse pas les effets d’annonce et les principes généraux. Or, la rue attend la satisfaction de ses attentes. Elle demande une relève politique, mettant fin à la gestion des précédents gouvernements et des principaux acteurs politiques, qui ont opté pour le laisser faire, sans vision d’avenir et sans programmes. Le gouvernement est désormais,  sous le contrôle de la population, qui affirme ses exigences : redressement économique, lutte contre la faim, condamnation de la corruption. D’ailleurs, l’entrée sur scène de la jeunesse a sanctionné la classe politique, lors des élections présidentielles. Elle met à l’épreuve les coalitions parlementaires et le pouvoir qu’elle établit. Le gouvernement pouvait-il ignorer les slogans de campagne, occulter les attentes des citoyens et mettre en question  les luttes pour les charges gouvernementales. De par sa structure, sa composition et les cv de ses membres, le gouvernement nouveau sera mis à rude épreuve. Il doit répondre à des situations d’urgence, faire face à des défis. Or, “c'est pendant l'orage qu'on connaît le pilote”.

Aire euro-Méditerrannée, le défi migratoire…!

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 27 novembre au 11 décembre 2019

 

Le mouvement migratoire affecte l’aire euro-arabe. En Europe, l’opinion publique, sous l’emprise d’une extrême droite xénophobe, martèle contre toutes réalités et données chiffrées, la thèse de “l’invasion migratoire”. A l’appui, la parole populiste développe un élan islamophobe, que peine à condamner les intellectuels. “Une machine infernale est enclenchée” affirme Jean-Philippe Moinet, fondateur de la revue civique, (blog, Quand l’habit "populaire" camoufle le populisme xénophobe). Fait évident, on assiste une évolution caractéristique : les migrations non-qualifiées ont tendance à diminuer en Europe au profit de migrations ponctuelles, et de courte durée, de cadres.

Dans les pays sud méditerranéen, les citoyens condamnent la fermeture des frontières européennes et s’inquiètent du “voyage du désespoir”, traversant la Méditerranée plus meurtrière que jamais. Ils réalisent l’ampleur de l’hémorragie des cadres (ingénieurs, médecin etc.) que l’Europe attire et accueille. D’autre part, les pays maghrébins sont devenus des pays de transit et de destination des migrants de l’Afrique subsaharienne. Pourraient-ils constituer des barrages adéquats que l’Europe réclame.

De fait, le mouvement migratoire se développe : Les raisons structurelles sont évidentes : conséquence de la mondialisation, démarcation entre les niveaux de vie entre l’Europe et les régions du Sud, recherche d’emploi et rêves d’une jeunesse frustrée. Le canal de Sicile, qui concernait les migrants "économiques", du Maghreb et du Sahel africain en quête d’une vie meilleure,   était transformé en cimetière africain. Les dérives du printemps arabes créent, d’autre part, une conjoncture favorable à l’émigration. Les Balkans sont désormais traversés par des Syriens ou des Irakiens fuyant la guerre. D’ailleurs,  les Syriens qui fuient la guerre civile et les camps surchargés du Liban et de la Jordanie demandent le "droit d'asile". Depuis lors le déferlement continue.

L’émigration, la question de l’heure, en Europe : Elle est devenue une question préoccupante. Elle affecte et aliène les relations euro-méditerranéennes. D’une façon générale, les pays européens  ont tenté d'établir un rideau de fer. Le mur de Berlin s’était déplacé vers la Méditerranée.  Les anciens pays de l'Est, qui ont tiré profit de la libre circulation, ont été les plus prompts à bloquer le flux des migrants. La Bulgarie a lancé la prolongation de la barrière qu'elle a dressée face à la Turquie, dés l'été 1989. La garde routière hongroise déroule, depuis l'été 2015, les barbelés. La Macédoine et la Serbie, deux des principaux points de passage des dizaines de milliers de migrants qui tentent de rejoindre l’Union Européenne, ont appelé l’UE à agir. D'autre part, la Grèce a bâti une ceinture de barbelés autour d'Andrinople. L'attitude frileuse de nombreux pays européens contraste avec la ligne d'ouverture assumée par la chancelière allemande.

L’extrême-droite et mêmes de larges franges de la droite dénoncent l’émigration. Phobie des invasions de l’Europe par les migrants, on

l’accuse de tous les tors.  L’opinion publique subit volontiers son influence. Affirmation révélatrice du journal le Figaro : “La route du djihad croise désormais celle de l’émigration, de la délinquance de ces ilots où prospère, dans nos banlieues, nos villes, nos provinces, une contre-société salafite. Un nœud complexe et explosif que l’on préfère trop souvent ne pas regarder” (Vencent Trénolet de Villiers, éditorial, « terrorisme du quotidien », Le Figaro, 24-25 mars 2018).Ce qui explique les dérives des politiques, à la recherche de clientèles.

N’oublions pas le rôle de certains mouvements de gauche et de certains milieux chrétiens plutôt favorables à l’accueil des émigrés. Suivant l’enseignement de l’Evangile, le pape François voit dans l’immigré qui frappe à la porte, une occasion de rencontre avec Jésus. Il veut ouvrir, sans discrimination, les frontières de l’Europe, élargir le regroupement familial et “faciliter l’intégration, par une offre de la citoyenneté, dissociée des capacités linguistiques et économiques”. Néanmoins, il y a une démarcation évidente entre les chrétiens : ceux qui adhérent au discours de l’Evangile et évoquent une éthique de conviction. Ils sont favorables à l’accueil des immigrants. Doxa sociologique affirmée, par certains : “Ils préfèrent avoir tort avec le pape, que raison avec Valeurs actuelles”, journal de droite hostile à l’émigration.

Le malentendu de Barcelone : Le libre échange institué par le processus de Barcelone exclut la circulation des personnes.  L’Union Européenne, inscrit la libre circulation de ses partenaires sud-méditerranéens, dans le contexte de l'afflux des émigrants clandestins vers l'Europe. Alors que l’Union Européenne elle-même s’est construite en instaurant un marché commun fondé sur le libre-échange et un espace de libre-circulation, elle a tenté d’isoler la question de la mobilité des personnes du reste des négociations.

Conclusion : Le contexte migratoire régional est ainsi caractérisé par une double dynamique. Au nord de la mer Méditerranée une phobie populaire des migrations s’est diffusée, notamment à la suite d’attentats sur le territoire européen, mais également stimulée par une instrumentalisation de cette phobie par de nombreux représentants politiques. Tandis qu’au sud de la mer Méditerranée, un sentiment d’étouffement et de désillusion s’est fait ressentir parmi la jeunesse. Elle a tendance à quitter de plus en plus systématiquement le pays, par voie légale pour les élites ou par voie non règlementaire pour celles et ceux dont les demandes de visa ont été refusés. De ce fait, les migrations restent un sujet important de discorde entre les différents Etats membres de l’Union européenne.

Ne perdons pas de vue, l'impact de l'émigration sur l'économie européenne. Des études soulignent les effets positifs de l'immigration sur l'emploi et la croissance. “La contribution des immigrés est supérieur à ce qu'ils reçoivent, en termes de prestations sociales ou de dépenses publiques”  assure Jean-Christophe Dumont, chef de la division chargée des migrations internationales à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Les natifs délaissent les filières sans perspectives et les étrangers répondent aux besoins du marché de l'emploi. Les migrants constituent “une chance et non un danger pour l'économie” (titre de l'article de Jean-Baptiste Jacquin, Le Monde, 3 septembre 2015). Conclusion d'économistes avertis, le migrant n'est plus ce marginal que l'on doit redouter ou accueillir, selon les différents ponts de vue, mais un rouage “de plus en plus essentiel, dans la chaîne d'un monde globalisé”  (Jonas Carcapino, auteur du long métrage "Mediterranea").

Signalons que le groupe de chercheurs Mobglob (mobilité globale et gouvernance des migrations) préconise depuis 2015, une libre circulation des hommes sur le modèle des capitaux et des marchandises. L'un de ses membres, l'anthropologue Michel Agier, Directeur à l'EHESS déclara ; “Nous y étudions les conséquences d'une libération des passages sur cinq zones géographiques. Nos travaux  ne sont pas terminés mais ils montrent déjà qu'une  telle politique n'entrainerait pas d'afflux massif”.

 

Turquie, vers une réactualisation de l’ottomanisme…!

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, Finance, novembre 2019

 

L’invasion du Nord-est de la Syrie, pour “lutter contre les forces Kurdes”, dans  cette région frontalière, s’inscrirait aussi dans les velléités d’Ankara de reconstituer l’empire ottoman. Il s’agirait donc d’une première étape de cette stratégie. Exerçant le titre de calife et de gardien des lieues saints, le sultan ottoman dominaient, jusqu’ ‘à la fin de la première guerre mondiale,  le Moyen-Orient. Donne nouvelle, la nouvelle politique turque est confirmée par l’adhésion du président Erdogan à l’islam politique et l’instrumentalisation de cette idéologie pour faire valoir ses volontés, à travers divers mécanismes : guerre en Syrie, interventions déclarée et soutien de la mouvance islamique Fejr Lybia, soutien en Tunisie du parti Nahdha et conflit avec le régime anti-islamique du général Sissi, en Egypte.

L’invasion de la Syrie : Lors du “printemps arabe”, suite à  l’intervention des puissances régionales (Turquie, pays du Golfe) et internationales (USA et Europe), la Syrie devint le champ d’une longue guerre civile, sous prétexte d’assurer la démocratisation. Cette initiative permit à Daech de développer son action et d’affirmer sa volonté d’installer le califat. Dans le cadre de ses velléités islamistes, il procéda à l’attaque des minorités chrétiennes, de les refouler ou de les réduire à l’esclavage. A cet effet, Daech, conforté par les différents courants de l’islam politique reçut les volontaires des différents pays arabes. Venus à son secours, la Russie, l’Iran et renforts de Hizb Allah réussirent à maintenir le régime, sans éviter son fractionnement de fait. L'offensive lancée mercredi 9 octobre par la Turquie dans le nord-est de la Syrie, ciblant les forces kurdes, prolonge la nuit syrienne.

L'offensive a débuté moins de trois jours après la décision de Donald Trump de redéployer une partie du millier de militaires américains présents à la frontière turco-syrienne, poursuivant leur offensive sur les territoires syriens tenus par les Forces démocratiques syriennes (FDS) qui ont joué un rôle décisif dans les combats contre l'Etat islamique. Ces forces retenaient d’ailleurs, des milliers de djihadistes et des dizaines de milliers de leurs proches qui sont en détention. Discours de justification, la Turquie veut créer une "zone de sécurité" dans la région frontalière pour en écarter les miliciens kurdes et y transférer plusieurs millions de Syriens réfugiés sur son territoire, mais les grandes puissances craignent que l'opération ne relance le conflit.  Selon Mevlut Cavusoglu, le ministre turc des Affaires étrangères, les forces turques n'ont pas l'intention de s'enfoncer au-delà de 30 kilomètres dans le territoire syrien. Peut-on sous-estimer l’ampleur de cette expansion, aux dépens d’un Etat national ?

Les forces turques ont déjà pénétré plus de 5 km en territoire syrien Ankara s'appuyant  sur 25 000 rebelles de l'Armée syrienne libre, qui reviennent du front. Les combats sont très violents. Outre le nombre de morts, la région attaquée est l’objet d’une forte émigration kurde vers les régions avoisinantes. D’autres part, l’invasion syrienne libéra, - par choix d’alliés ou par situation de  fait - les jihadistes, emprisonnés par les forces démocratiques syriennes. Ce qui leur permet de se disperser partout ailleurs. Depuis Ankara, le président Erdogan a déclaré qu'il allait écraser les miliciens kurdes, des terroristes selon lui, puisqu’ils sont  liés au PKK, un groupe séparatiste actif en Turquie depuis trente ans.

  Une mise à l’épreuve de la géopolitique  internationale ! La Syrie semblait isolée. Réuni le 10 octobre, le Conseil de Sécurité, saisi par ses membres européens, évoqua l’offensive militaire turque au nord-est de la Syrie, sans prendre de mesures. Le soutien de la Ligue des Etats Arabes est plutôt moral, mais sans effets sur le terrain (réunion des ministres arabes des Affaires étrangères, Le Caire, le 12 octobre). D’autre part, l’intervention militaire d’Ankara au nord de la Syrie “préoccupe” l’Otan. C’est ce qu’en a dit son secrétaire général, Jens Stoltenberg, le 11 octobre à Londres. Membre de longue date de l’Alliance atlantique – depuis 1952 –, la Turquie défie les autres membres de l’Otan avec son intervention unilatérale à la frontière turco-syrienne. “La Turquie pourrait être marginalisée au sein de l’Otan”. Mais assurent des observateurs “ il n’y aura pas de sanctions au niveau de l’Otan”.

Dépassant son attentisme, le président Trump  a dépêché, à Ankara, son vice-président Mike Pence, après avoir pris des sanctions contre  le gouvernement turc. L’accord conclu jeudi   17 octobre prévoit un cessez-le-feu dans le nord de la Syrie aux termes duquel les miliciens kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) ont cinq jours pour se retirer. L'accord est important car il annihile le prétexte turc de l’intervention.

La rencontre Recep Tayyip Erdogan et son homologue russe Vladimir Poutine   à Sotchi (Russie), le 23 octobre, fut plus décisive  Suite à cette rencontre qui a duré six heures, la Turquie a annoncé mardi soir qu'elle ne reprendrait pas son offensive militaire contre les forces kurdes dans le nord de la Syrie, à l'issue d'un accord avec la Russie. Les deux président ont annoncé qu'ils avaient trouvé une entente pour contrôler la frontière turco-syrienne. Pour réaliser le retrait des forces kurdes de la frontalière,  des militaires russes et des garde-frontières syriens seraient stationnés du côté syrien de la frontière avec la Turquie à partir de ce mercredi à midi. 

Une réactivation de l’ottomanisme ? Au XVIe siècle, l'Empire ottoman, au faîte de sa puissance, étendait sa domination à l’Afrique du Nord : en 1517, l’Empire mamelouk s’effondre et l’Égypte, ainsi que la Syrie et la Palestine passent sous le joug ottoman. D’autre part, les corsaires ottomans conquièrent ensuite la Libye et l’Algérie, puis prennent la Tunisie aux Espagnols. Seul le Maroc résiste à la pression ottomane. Mais la donne a changé au XVIIIe siècle. Considéré comme “l’homme malade” de l’Europe, la Turquie dut son salut et échappa au partage, au désaccord entre les puissances de l’époque, puisque la Grande Bretagne défendait l’intégrité de l’empire ottoman, pour éviter une entrée de la Russie, en Méditerranée.

 Mais elle gardait, tant bien que mal, son aire de tutelle. En Algérie, la junte turque gouverna le pays, jusqu’à son occupation, en 1830. En Tunisie, le pouvoir ottoman était plutôt symbolique. Situation similaire en Lybie, où la dynastie des Karamanly bénéficiait d’une autonomie de fait, jusqu’à l’abdication du beylerbey Yousouf, en 1832. Mais l’occupation mit fin à la domination ottomane. Au Moyen-Orient, les Turcs exerçaient une domination directe. Leur gouvernance suscitait le mécontentement de la population. A l’issue de la première guerre mondiale, l’Empire, ayant perdu la guerre, est totalement démembrée. Ses provinces arabes sont notamment partagées entre les Français et les Britanniques, qui obtiennent de la Société des Nations des mandats, les premiers sur la Syrie et le Liban, les seconds sur l’Irak, la Palestine et la Transjordanie. 

Une réactivation de l’ottomanisme apparait, dans les conditions actuelles, comme une utopie. Le nationalisme arabe ne peut s’en accommoder. L’ottomanisme, perçu comme un archaïsme, ne constitue le rêve de personne. D’autre part, l’idéologie de l’islam politique du président Erdogan ne peut coexister avec la démarcation géopolitique arabe actuelle.

Ouvrir une nouvelle page …!

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 13 au 27 novembre 2019

 

“Etre libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres“. (Nelson Mandela, aout, 2000).


La réactivation de la révolution tunisienne et les contestations en Algérie, au Soudan, en Irak et au Liban ouvrent une nouvelle page, dans l’aire arabe. Par contre, conséquence de la dérive du “printemps arabe”, la Lybie, la Syrie et le Yémen vivent des guerres internes, alimentées par les acteurs de la géopolitique internationale et leurs relais de la géopolitique régionale.

Une nouvelle conjoncture tunisienne ? Les élections présidentielles et parlementaires ont été marquées par la défaite des grands acteurs au pouvoir et dans l’opposition : La Tunisie a désormais un président indépendant, dont le slogan est : “Le peuple veut” : Les attentes nationales sont désormais à l’ordre du jour. D’autre part, la jeunesse monte sur le piédestal de l’action politique. La défaite du parti du gouvernement Yahya Tounes est confirmée par la montée du parti de Kalb Tounes, du Tayar et du chaab. Nahdha se ressaisit et occupe le plus grand nombre de sièges de députés (52 sur 209). Elle a besoin d’élargir ses alliances avec les acteurs qui ont émergé. Tous les partis doivent s’accommoder d’un programme qui accorde la priorité au traitement du développement économique et de la crise sociale. Leurs slogans de campagne font valoir cet impératif. Mais n’occultons pas le risque de leurs transgressions.

Algérie, une réactivation du harak : La sortie des Algériens dans la rue, le 22 février et le développement des marches de protestations, depuis lors, tous les vendredi, ont remis en cause la légitimité du président Abdelaziz Bouteflika. Il fut contraint à présenter sa démission. Désormais le pouvoir ; représenté par le chef d’état-major Caïd Salah fait face à la contestation qui perdure, revendiquant le départ de tous les symboles du pouvoir d’antan. Nouveau slogan de la contestation, vendredi 1er novembre : “ indépendance ! Indépendance ! ”. Ce jour férié, fête nationale, anniversaire du début de la guerre d’indépendance – le 1er novembre 1954 –, a donné une tonalité particulière à ce 37e vendredi de protestation, nouvelle illustration de la profondeur du Hirak, le mouvement populaire contestant le régime en place. Outre la capitale, des foules massives se sont rassemblées à Oran, Constantine, Annaba, Mostaganem, Blida, Tipaza, Dellys, Bejaïa, Tizi-Ouzou, Sidi Bel Abbès…“On a eu une indépendance confisquée, explique l’un des manifestants. C’est toujours l’armée qui dirige. L’administration civile n’est qu’une façade. Le peuple veut un Etat civil, pas militaire”. Autre revendication opératoire, le peuple veut la chute du chef d’état-major Gaïd Salah. Les élections annoncées semblent boycottées par les contestataires. Comment sortir de l’impasse ?

Liban, vers un nouveau régime : Depuis le 17 octobre, le Liban connait des contestations sans précédent contre la classe dirigeante, jugée “corrompue, incompétente et sectaire”. Brandissant des drapeaux libanais, allumant des fumigènes, les manifestants rassemblés place des Martyrs au cœur de la capitale reprenaient les slogans phares de la contestation: “Révolution ! ” et “Le peuple veut la chute du régime”.

Le mouvement, qui a mobilisé des centaines de milliers de Libanais, toutes communautés confondues, a déjà entrainé la démission, le 29 octobre, du Premier ministre Saad Hariri mais la formation d'un nouveau gouvernement se fait toujours attendre. Les contestataires rejettent toute demi-mesure, réclament un changement de fond en comble du régime politique en place, dominé depuis des décennies par les mêmes partis ou familles qui revendiquent la représentation des différentes communautés religieuses du pays.

Le système, qui a été redéfini à la fin de la guerre civile (1975-90), repose sur un fragile équilibre de partage communautaire du pouvoir. Ce système confessionnel est accusé d'être à “l'origine d'une corruption et d'un clientélisme rampants”. Ces derniers jours, les contestataires ont installé des barricades sur de nombreuses routes à travers le pays, “ se livrant au jeu du chat et de la souris avec la police antiémeute”.

Irak, l’affrontement entre le pouvoir et les manifestants : La contestation du pouvoir, engagée depuis le 1er octobre, se poursuit. Alors qu’elle critiquait la situation sociale et dénonçait la pression fiscale, lors de son déclanchement, elle se mutait en opposition au pouvoir. Elle demande désormais la démission du gouvernement, la dissolution du parlement et l’organisation de nouvelles élections. Les militants multiplient, d’ailleurs, les appels à un mouvement de désobéissance civile. D’autre part, la déclaration de grève générale du syndicat des enseignants paralyse le pays. Le président Barham Saleh a proposé, jeudi 31 octobre, des élections anticipées, loin des espérances du mouvement de contestation qui réclame la “chute du régime” tout entier. La contestation a été marquée par des violences meurtrières (plus de 250 morts). Rencontrant les chefs des partis, depuis quelques jours, le Président a affirmé que le Premier ministre “Adel Abdel Mahdi, sur la sellette, était d'accord pour démissionner” à condition que les blocs au Parlement s'entendent sur un remplaçant, ce que ces derniers ne parviennent pas à faire”. Les principaux blocs au Parlement et les membres de la coalition gouvernementale sont d’ailleurs divisés. D'un côté, le chiite Moqtada Sadr s'est montré au milieu des manifestants. De l'autre, Hadi al-Ameri, chef des paramilitaires pro-Iran du Hachd al-Chaabi, s'est aligné sur l'Iran “pour qui le vide mène au chaos”. Fait significatif, critique vraisemblable de l’allégeance, les manifestants ont attaqué le consulat iranien à Kerbala, le 3 novembre. Ils auraient abattu le drapeau iranien pour le remplacer par le drapeau irakien.

Les manifestants mobilisés jour et nuit à Bagdad et dans des villes du Sud assurent qu'ils ne rentreront chez eux qu'une fois leurs exigences satisfaites: une nouvelle Constitution et un départ de l'ensemble de la classe politique jugée corrompue et inapte. “Ni partis sunnites, ni partis chiites, mais une patrie”, proclament les manifestants. On parle même de l’élaboration d’une nouvelle constitution, transgressant les divisions religieuses et ethniques.
 

 

Le nouveau paysage politique…!

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, n° 773, du 2 au 16 octobre 2019

 

Un acteur politique est jugé par son action et non par son discours”. Le premier tour des élections présidentielles aurait sonné le glas de la classe politique tunisienne, pouvoir et opposition. Il a consacré la victoire d’un candidat  méconnu et d’un acteur politique emprisonné. Les candidats de Tahya Tounes,  parti du gouvernement, de Nahdha et des autres partis ont été éclipsés, decribilisés. Réponses hâtives de certains “les Tunisiens ont perdu leurs certitudes”. Est-ce  que “la vie politique tunisienne a perdu son sens” ?  D’autres évoquèrent le risque “de retour au despotisme”. 

La réponse serait, en fait plus simple : Il s’agirait d’un vote sanction. Les citoyens ont a jugé que la gouvernance ne prenait pas en compte leurs attentes. D’autre part, les plateaux télévisés ont montré que les débats des protagonistes ne concernaient que l’affrontement pour les charges ministérielles. Points de programmes  mais des discours sans objets, occultant les enjeux de la conjoncture. Or, les choix des électeurs dépendent de la personnalité du candidat, de son programme et du bilan. Les jeunes ne se sont pas reconnus dans le discours public Dans le contexte actuel de crise économique,  ils se présentent comme des “victimes de l’ombre”, pénalisés par un système sur lequel ils ont peu, voire pas, d’emprise. Déclaration d’un jeune, suite à l’échec des hommes du pouvoir  : “Demain est à nous”.

Comment les  deux candidats qui siffloteront, lors du 2em tour des présidentielles se définissent : Qais Said est une énigme. On ne connait pas son programme. Quelques bribes révèlent sa volonté de promouvoir le pouvoir local, aux dépens des institutions nationales. Est-ce à dire  que “la  horde remplacerait l’Etat”, selon le modèle de la commune de Paris ?  Fait évident, ses soutiens islamistes inquiètent. D’ailleurs, Qais Said  aurait bénéficié, lors du premier tour des élections présidentielles, dimanche après-midi,  du mot d’ordre de Nahdha, qui aurait abandonné son candidat. Mais Qais Said est  plutôt conservateur que salafite.

Peut-on expliquer le vote des femmes pour  Nabil Qaroui, qui gère la chaine Nesma, par “leur attachement aux feuilletons” ? Les analystes oublient volontiers que la plupart des femmes font leurs marchés. Elles adoptent comme principale référence, le panier de la ménagère, donc le pouvoir d’achat, non pris en  compte par le pouvoir ? D’ailleurs, les citoyens reprochent volontiers à la classe politique un déni de la pauvreté. Nabil Qaoui, mettrait-il à l’ordre du jour, un pacte contre la pauvreté, comme urgence sociale ? D’un autre point de vue Qaroui  incarnerait les hommes d’affaires.

Au-delà des élections : Les acteurs politiques ont défini les élections présidentielles comme un effondrement, une culbute (latkha), une “gifle”, pour les dirigeants. . Ils l’expliquent volontiers  par le dispersement des voix. Les tentatives de rassemblement de la mouvance moderniste, priorité annoncée par le candidat de Tahya Tounes avec les partisans de Zbidi et du parti Badil ne peuvent avoir d’effets, ainsi d’ailleurs que les concertations entre leurs partis réciproques. La classe politique tunisienne n’a pas réalisé que les enjeux socio-économiques bien plus que le dispersement des voix ont affecté les acteurs politiques. Ne réalisant pas la gravité de la donne, elle estime  -aurait-elle frôlé la catastrophe ! – que le deuxième tour et les élections législatives permettraient, dans le cas d’un rassemblement de corriger le tir, d’assurer un simple passage de relai. Cet avertissement électoral confirme le grave diagnostic du grand poète Sgair Oul Ahmed :

“La pauvreté nous a affecté, après la violence des luttes

Nous devons mourir, chez-nous, bien affamés

Oh responsables, on n’obeira plus à tes mots d’ordres

Tu as fait couler le navire,

Tu as déchiré ses voiles”.

En tout cas, toute la classe politique et particulièrement la génération de l’indépendance, est hors jeu, Une nouvelle génération affirme sa volonté de prendre le pouvoir ? On a hâtivement évoqué une coïncidence entre les événements d’Algérie, du Soudan, de l’Egypte et de la Tunisie : ce qui supposerait une intervention extérieure. Les spécificités de ses cas montrent au contraire, que toutes ses révolutions vivent leurs dynamiques internes. En Tunisie, nous évoquerons plutôt une deuxième phase de la révolution, qui tente de remettre les pendules à l’heure.

Le séisme qui a bouleversé les élections présidentielles affecterait les législatives. Conséquence du séisme vécu, la Tunisie est désormais un bateau ivre. En tout cas, la société tunisienne est devant un brouillard. Comment se définirait la nouvelle donne ?

Présidence : « le palais des miracles » ?

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, n° 773, du 4 au 18 septembre 2019

 

Comment dégager, dans cette confrontation entre les candidats à la présidence, « le bon grain et l’ivraie » ? Comment choisir son candidat, parmi cette liste de personnalités honorables ? Quels termes de références peut-on faire valoir ? Comment distinguer les statuts des candidats, d’après leurs socles de valeurs, leurs itinéraires et leurs discours ? Le choix s’intègre dans l’étude des rapports de forces entre les candidats, leurs partis et leurs équipes. Des constatations primaires doivent être dégagées, fussent-elles souvent occultées par les rites de passage de l’opération électorale :

Absence de leaders : Définition formelle : Un leader est une personne qui est à la tête d'un parti politique, d'un mouvement, d'un syndicat. De fait, le leader est la personne qui, à l'intérieur d'un groupe, prend la plupart des initiatives, mène les autres membres du groupe, détient le commandement. Ce qui exige une capacité d’entrainement et de direction.  Or, à l’exception de Nahdha et  du parti destourien, les partis sont des rassemblements conjoncturels, sans vie politique, sans activité de formation, d’animation et de débats. Ce qui nie la prétention de leaders de leurs chefs. D’ailleurs seuls Nahdha et le parti destourien ont organisé des réunions populaires, dans la période pré-électorale.

Des machines politiques : Par contre, les plus importants partis disposent de machines politiques qui organisant leurs propagandes et construisant leurs systèmes d’alliances. En dépit de sa crise, Nida Tounes a réussi à remporter de bons résultats électoraux, résultats du rôle de sa « machine », de rassemblement et de communication. Les candidats sans partis, fussent-ils objets de consensus affirmés, risquent d’être distancés, lors de l’épreuve.

Historique et valeurs des dirigeants : Les électeurs tiennent compte des profils des candidats (formation, comportement, éthique) de leurs itinéraires  et de leurs définitions des enjeux, de leur style de communication, de leur parler et de leurs écoutes des citoyens. De ce point de vue, les débats des médias sont souvent trompeurs, car « la jungle » qu’ils mettent en scène inquiètent les électeurs et créent une démarcation entre eux et la classe politique. Les réseaux sociaux, confortés par «le bouche à oreille » constituent, de fait, les moyens de communication des candidats et de leurs concurrents.

Enjeux idéologiques : La démarcation entre l’islam politique et la mouvance démocratique ne devrait point être perdue de vue. Mais l’examen des profils montrent de nombreux candidats islamiques, partisans de l’établissement de la charia et de nombreux candidats affirmant leurs discours nationalistes, bourguibistes ou pseudo-bourguibiste (Tahya Tounes, Nida, Machrou). Comment saisir le niveau différentiel d’ouverture des candidats ? L’absence de programmes des candidats ne peut contribuer à les distinguer et à faire valoir des promotions.

Une culture politique défaillante : Les débats traduisent des guerres pour les charges gouvernementales. Occultant les programmes, les candidats développent des discours auto-élogieux, de promotion personnelle. Cette indigence est confirmée par l’absence de slogan ou de certaines plagiats de slogans de dirigeants politiques français, qui ne correspondent pas à la réalité politique tunisienne : Exemples évidents « la force tranquille » de François Mitterand, ou «la Tunisie est  forte » sinon « we can ».

Rupture ou continuité : Soucieux de faire valoir leurs attentes, appréhendant la crise sociale, l’endettement, la précarité, le chômage, les électeurs feraient valoir leurs exigences de rupture. De ce point de vue, Tahya Tounes, Machrou et Nahdha et leurs candidats seraient volontiers considérés comme des acteurs de continuité.

°

°   °

Dans ces conditions, trois ou quatre candidats sortent du lot et bénéficient d’une certaine audience. Ils affirment leurs initiatives et explicitent leurs volontés. L’absence de vision nourrit une inquiétude générale, susceptible d’affecter la participation électorale. Une minorité ose cependant espérer une amélioration de la situation. Il partagerait cette sagesse de Keefe Sencen : . "Parfois, les choses ont besoin d'être pires avant d'être meilleures."

Paradoxe évident : les électeurs font valoir leurs attentes sociales et les présentant comme priorités. Or, le régime plutôt parlementaire  réduit la gouvernance du président, qui peut faire valoir une vue d’ensemble, rappeler à l’ordre, recommander, mais il n’a pas la possibilité d’exercer une gestion directe des enjeux sociaux. Est-ce à dire, que les électeurs considèrent la présidence comme «un palais de miracles», lui attribuant spontanément les prérogatives du président d’antan ? Et ne perdons pas de vue, les nostalgies de l’ère bourguibienne, le  statut du président leader, l’affirmation de l’autorité de l’Etat  et le désintéressement de ses compagnons.

 

Tunisie, le tournant politique … !

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, n° 772, du 7 aout  au 4 septembre  2019

 

Le "jeudi noir", le 27 juin, marqué par deux attentats terroristes et l’hospitalisation du président de la république sembla brouiller les cartes. Une mobilisation de députés avait pour ordre du jour l’éventuelle  vacance du pouvoir. Une vacance temporelle devait assurer la promotion du chef du gouvernement, comme président de la république alors qu’une vacance définitive permettrait de nommer un président par intérim, conforté par l’écartement éventuel du président de parlement, lui aussi malade. Pouvait-on parler d’une "révolte blanche", de l’alliance gouvernementale ? L’arrivée de Mohamed Naceur et sa présidence de la réunion, devait restaurer la situation et mettre en échec les velléités de certains députés. Démentant l’opération, des acteurs rejettent "le qu’en dira-t-on", la falk information  diffusée par Facebook. Fait certain, l’alliance gouvernementale revint à la charge, lorsque le président refusa de ratifier les amendements qu’elle a votés, pour écarter des concurrents, promus par les sondages d’opinion. "Une guerre contre le pouvoir (présidentiel) " fut engagée. On formula même "l’hypothèse d’une destitution du président" (Voir Ech-Charaa al-Magharibi, 23 juillet, pp. 4 et 5). Le Président aurait "violé la constitution", en rejetant les recommandations d’exclusion. Les dirigeants de certains partis auraient-ils organisé cette opération, l’auraient cautionnée de fait ou laissé faire ? En tout cas, ils ne l’ont pas revendiqué. Mais peut-on ignorer le jeu underground.

Le décès du Président Béji Caid Essebsi devait changer la donne.  L’esprit de concorde marqua l’heure du recueillement et de l’hommage.  On prit conscience de la valeur de ce grand acteur de la transition politique tunisienne, de sa quête de consensus et du dialogue. L’enterrement de Si Béji révéla la prise en compte de son charisme et de l’attachement de tous, à quelques exceptions, à sa personne. Son bilan était évident. L’actualité devait mettre à l’ordre du jeu un répit. Un grand tournant politique marqua la fin du scepticisme et  suscita une mutation importante du paysage politique. On transgressa évidemment les enjeux du "jeudi noir" et pleura  le grand disparu. La succession présidentielle fut réalisée le jour même, par simple application de la constitution. On parla même de l’éloquence de "l’exception tunisienne".

Mais la nouvelle conjoncture devait prendre acte de l’accélération du calendrier électoral et d’une quête d’une personnalité de consensus, pour assurer la présidence, après l’intérim de Mohamed Naceur.  Les dirigeants actuels des partis politiques sont des gestionnaires de machines, sans grande assises populaires. Or, la présidence de la république nécessite une vision largement partagée et une audience au-delà des frontières des différents partis. Comment transgresser cette situation ? La politique pourrait-elle s’accommoder du processus de "la vente à la criée", qui impliquait évidemment une certaine surenchère ? Dés l’annonce des nouvelles élections, les chacals s’agitèrent, dans le cadre d’une tactique d’élimination.  On s’attaqua à la représentante du parti destourien, affirmant qu’elle "boycotterait la cérémonie de l’enterrement du président". L’actualité devait démentir ces propos. Puis, on s’attaqua au ministre de la Défense, craignant qu’il bénéficie d’un consensus, lors des prochaines élections présidentielles, s’il présentait sa candidature. D’ailleurs, une campagne de réseaux sociaux, principalement face book, conforta cette opération.  D’autres mouvements, optèrent pour la tactique de "récupération", la recherche d’un "oiseau" rare, pouvant assurer une alliance au-dessus des idéologies. Nahdha adopterait cette tactique.

La multiplicité des candidatures à la présidence préoccupa la classe politique. Une campagne en faveur de candidature du ministre de la défense Abdelkrim Zbidi   est lancée, sur les réseaux sociaux, relayée par d’importants politiciens, s’engagea en sa faveur. En dépit de la campagne de dénigrement dont il fut l’objet, il semble bénéficier d’un large consensus. Le chef du gouvernement Youssef Chahed présenterait sa candidature. Son entretien sur la chaine nationale, le 1er aout, défendant sa gestion gouvernementale, inaugura, de fait, sa campagne électorale. D’autre part, le patron de la chaine Nesma, Nabil  Karoui présenterait sa candidature, aux élections présidentielles. Les amendements qui devaient l’écarter n’ayant pas été ratifiés par la présidence de la république, il s’érige en grand acteur sur la scène, à l’appui du parti qu’il a créé Kalb Tounes. Abir Moussi, présidente du Destour a également présenté sa candidature. Pourrait-elle tirer profit de la renaissance de l’esprit bourguibien ?  Outre les présidents du Badil, d’Afak, d’al-Massar et du Machrou, de nombreux candidats sont des électrons libres, sans appartenance à des partis politiques et évidemment sans assises populaires.  

D’autre part, les élections législatives, on révélé, outre le développement du "tourisme parlementaire", la transgression des structures, par le choix de candidats "parachutés", ne representant pas leurs assisses - fussent-elles réduites et conjoncturelles ! – Ce qui provoqua des démissions pré-électorales, dans plusieurs partis. La lutte est sérieusement engagée entre Nahdha, le parti destourien, Tahya Tounes, Kalb Tounes et le nouveau venu Amal Tounes, sérieusement concurrencés par des listes indépendantes. Vu les enjeux, le contexte était favorable aux manœuvres et à la surenchère, transgressant les rééquilibrages politiques et les repositionnements tactiques.

D’ailleurs, l’absence de programmes des partis ne peuvent que confirmer la démarcation, entre les équipes politiques et leurs adhérents. Faudrait-il rappeler que les enjeux de la conjoncture post-Béji transgressait le "jeu des Egos" et faisait valoir les attentes sociales. Les partis pouvaient-ils occulter les programmes socio-économiques, pour traiter les graves défis de la précarité, du chômage, de l’endettement et de la chute du dinar ?

D’ici et d’ailleurs

Pr. Khalifa CHATER

L'économiste maghrébin, n °769, 26 juin - 10 juillet 2019

 

Alors que la démocratie est à l’épreuve en Tunisie, l’Algérie et le Soudan  ne parviennent pas  à  couronner leurs hiraks, par  l’affirmation d’un gouvernement civil, remis en question, ou du moins différée par leurs armés nationales.  En Libye, le maréchal Haftar est à la conquête de la Tripolitaine, où le pouvoir est conforté par des milices terroristes, daéchiennes.

Tunisie, la mise à l’épreuve de la démocratie : “Décomposition/recomposition’’ ce processus marque la vie politique tunisienne. Nida Tounes vit actuellement son énième fraction, divisant sa direction autoproclamée. Le Front Populaire est victime de la guerre entre des chefs, sans grande assise populaire.  Nahdha réussit, tant bien que mal, à contenir les dirigeants entre les pseudo réalistes et les radicaux.  Tahya Tounes met en scène l’union des composantes de la clientèle gouvernementale. Comment redorer le blason de son président, “l’homme du passif ’’, selon ses détracteurs, qui joue, selon le langage théâtral un “ rôle de composition’’, pour être “l’homme du pouvoir d’achat’’. L’orchestration du congrès de Tahya Tounes devait occulter les échecs, par une fraicheur formelle romanesque.

Le dernier sondage d’opinion ébranla la classe politique, en faisant valoir la promotion, de candidats hors systèmes. Les amendements de la loi électorale, écartant ceux qui disposent d’un média et/ou exercent une action caritative ou font l’éloge de la dictature, quarante jours seulement après la présentation des candidatures s’inscrivaient dans ce contexte. L’amendement proposé par le parti du gouvernement et soutenu par Nahdha (124 voix pour, 14 abstentions et 30 voix contre) fut perçu par des critiques, comme une initiative destinée à écarter les promus par le sondage et une volonté de limiter le choix des électeurs. On parla même d’une politique d’exclusion. D’autres observateurs rappellent que l’amendement de la question du “tourisme parlementaire’’, la principale épreuve de la transition démocratique tunisienne, n’a obtenu que 26 voix.

Un vote sanction suscite bien évidemment l’inquiétude de la classe politique, qui se rend compte de la colère des citoyens,  qui réclament une “démocratie du pouvoir d’achat’’, faisant valoir les exigences du panier de la ménagère. Le nombre des nouveaux inscrits, prés d’un million cinq cents mille électeurs et essentiellement des jeunes et des femmes introduirait une donne nouvelle. Pour qui  voteraient-ils ? Les urnes traduiraient-elles leurs désillusions ?

Lybie, solution militaire ou politique ? En  Lybie, la guerre civile continue. Fayez Sarraj, qui dirige un gouvernement siégeant à Tripoli est soutenu par les milices armées. Une solution politique serait difficile à mettre à l’ordre du jour, car les Daéchiens, les alliés objectifs du gouvernement de Tripoli, ne le laisserait pas faire.  Une solution militaire, - fut-elle très couteuses ! – s’imposerait, à plus ou moins longue échéance. Mais les rapports de forces semblent plutôt favorables au maréchal Haftar, vu la quête de stabilité de la population. Acte significatif, le ralliement des tribus au maréchal : Plus de 200 dirigeants,  réunis au Caire, lundi 17 juin, ont affirmé son soutien, contre les milices (Al-Arabe, 18 mai)). L’initiative politique du chef de gouvernement de Tripoli, prévoyant notamment des élections avant la fin de l’année, pour sortir le pays d’une profonde crise, ne peut avoir d’effets.

Algérie/Soudan, les risques d’une militarisation des deux régimes ! En Algérie,  la situation n’a pas changé. Le hirak continue ses manifestations populaires, pour réclamer le départ des dirigeants de l’ancien régime.  Le chef d’Etat-major, qui détient de fait le pouvoir, est favorable à une transition, dans le respect de la constitution. En attendant, on met à l’ordre du jour des procès, contre les corrompus. S’agit-il d’une fuite en avant ? 

Le  Soudan, après plusieurs mois de manifestations qui ont mené à la destitution par l'armée du président Omar el-Béchir le 11 avril, est toujours le théâtre d'une lutte entre  le Conseil militaire et les principales forces de la contestation. Les manifestations citoyennes, critiquent la militarisation du régime, et  demandent l’établissement d’un gouvernement civil, pour gérer la transition. La violente dispersion, le 3 juin, d’un sit in par des militaires augmenta la tension. Plus de 108 morts, l’opération a été qualifiée de massacre par la contestation.  Réaction de l’Association des professionnels soudanais (SPA), acteur majeur de la contestation civile au Soudan, elle mit à l’ordre du jour “ Le mouvement de désobéissance civile’’  (communiqué publié samedi 8 juin). De multiples médiateurs se sont mobilisés pour rétablir le dialogue. Après plusieurs jours de violence et une campagne de désobéissance civile très suivie, un représentant de la médiation éthiopienne a annoncé le 11 juin que le Conseil militaire et la contestation avaient accepté de revenir à la table des négociations.

Le Conseil militaire et les chefs de la contestation s'étaient également accordés sur une période de transition de trois ans, qui doit être suivie par le transfert du pouvoir à une administration civile   Mais le conflit originel armée/contestation civile est loin d’être réglé. Selon des experts, “les Emirats, l'Egypte et l'Arabie saoudite semblent soutenir les généraux tandis que Washington plaide pour une transition menée par les civils’’ (AFP, 19 juin).