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Les sommets de la Mecque : vers un nouvel ordre arabe ?

Pr. Khalifa CHATER

L'économiste maghrébin, n° 768, du 12 au 26 juin 2019

 

Le gouvernement saoudien a réuni  quasi simultanément trois sommets à la Mecque : sommet du Conseil  du Golfe et sommets arabe, durant la soirée du 30 mai et sommet  de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) durant la soirée du 31 mai. Traduisant les enjeux de la conjoncture, un fin connaisseur de l‘aire arabe affirme que  “ l'ombre de l'Iran va planer sur les trois sommets’’,  dans le contexte du climat de tension entre Téhéran et Washington (l’Orient le jour, 29 mai).  Cause immédiate, Riyad dénonce  “le sabotage de quatre navires près des eaux territoriales des Emirats arabes unis, une attaque contre des stations de pompage de pétrole et une attaque contre d'autres installations pétrolières vitales’’ en Arabie saoudite. Ces opérations effectuées par les Houthies, seraient soutenues par l‘Iran,  en tant que relais du conflit entre les protagonistes.  Avant les sommets à La Mecque, le conseiller américain à la sécurité nationale, John Bolton, avait soutenu que l'Iran était vraisemblablement derrière les actes de sabotage du 12 mai. L'Iran a rejeté comme «risibles» ces accusations de John Bolton. Le conflit s’était d’ailleurs développé dans le contexte des tensions entre Washington et Téhéran.

Aire arabe, des états de lieux

Pr. Khalifa Chater

l'Economiste maghrébin, n° 767, du 29 mai 2019

 

Tunisie, au-delà du statut quo : Le congrès de Nida Tounes qui devait permettre sa reconstruction et le retour de ses fondateurs,  se conclue par une grave divergence entre les membres de sa direction proclamée. La lutte pour les charges gouvernementales transgresse l’élaboration d’un programme, répondant aux attentes. Les deux clans occultent le socle de valeur du discours fondateur, niant de fait la soft revolution de l’été 2013, qui a été à l‘origine de ce rassemblement des forces démocratiques, nationales et bourguibiennes.

Nouveau venu sur la scène, le parti du gouvernement Tahya Tounes  annonce qu’il a recueilli 20 mille adhérents. Mais le clientélisme politique et l‘action de la machine gouvernementale pourraient-ils se substituer au militantisme ? D’autre part, ce parti souffre des mêmes tares originelles du Nida et se discrédite volontiers par la célébration  des réussites très contestables de son leader. Les nouveaux partis, fondés par des dirigeants de valeur, n’ont pas d’assisses populaires.

Preuve de leur désengagement idéologique moderniste,  les  composantes de la mouvance démocratique (Nida, Tahya Tounes, Machroua etc.), n’interviennent pas pour rappeler le projet du président Béji CaId Essebsi, relatif à l’égalité de l’héritage. Elles se sont accommodées de la position discriminatoire de Nahdha.  Les tentatives de rapprochement de ces partis avec Nahdha, montrent que la stratégie de l’entente, reste à l’ordre du jour. Le million de femmes qui ont voté, en 2014, pour Béji CaÎd Essebsi, en tant que défenseur des acquis bourguibiens, pourraient  tenir compte de ce critère, lors des prochaines élections.

Nahdha est en quête d’alliance. Elle est partagée entre ceux qui défendent un rapprochement avec le chef du gouvernement et ceux qui préfèrent l’alliance avec le président de la république. D’autre part, les dirigeants de Nahdha,  répondant aux défis de la conjoncture,  affirment leur prise de distance du mouvement des Frères musulmans, peu convaincante de leurs protagonistes et peu appréciée par leur base.

Les partis tunisiens ont opté pour une formule globale, qui fait valoir les unités identitaires. La crise sociale, la précarité et la chute du pouvoir d’achat ferait valoir les enjeux socio-économiques. L’espace social retrouverait  sa définition de structures de positions différentiées. Leurs militants risqueraient de redéfinir leurs engagements politiques et sociaux.

L’augmentation des inscrits aux prochaines élections, prés d’un million de jeunes et de femmes, inquiète les partis politiques, bien conscients du décalage entre leurs discours et la réalité.  Or, les urnes pourraient exprimer un décalage, qui ne serait pas à leur faveur.

Le procès contre Bourguiba, engagé jeudi 16 mai, par la   cour spécialisée en justice transitionnelle au tribunal de première instance de Tunis a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Il fut perçu comme une velléité de récrire l’histoire nationale et dans certains cas de vengeance du gouvernement national, qui a créé l’Etat moderne, démocratisé l’enseignement, développé la protection de la santé et institué le Code du Statut Personnel. Les Tunisiens, dans leur grande majorité, n’ont pas admis qu’on tente de salir la mémoire de Bourguiba et qu’on s’attaque au symbole national.  Peut-on confondre le temps du politique et le temps de l’histoire, qui remet les événements dans leurs contextes, les examine dans leurs complexités, à l’appui des sources archivistiques  au-dessus des contingences de l’actualité ? Les velléités d’attaquer Habib Bourguiba renforce évidemment l’électorat du parti néo-destourien, désormais réactivé par la tournure des événements.

Soudan et Algérie, les risques de militarisation des régimes : “Au Soudan comme en Algérie, les gens sont dans la rue pour réclamer leur dû démocratique ’’ (entretien avec Jean-François Bayart, Le Monde.fr. 19 mai). Au soudan, le président Omar el-Béchir, 75 ans, visé depuis une décennie par deux mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), a été renversé par l'armée, après une contestation populaire inédite qui met fin à 30 ans de règne sans partage. Les négociations entre le Conseil militaire de transition (TMC), qui assure l’intérim du pouvoir et les représentant les forces de la Déclaration pour la liberté et le changement (FDFC) devaient assurer un modus vivendi entre l‘armée et la société civile. Selon l‘accord, en voie de finalisation, le TMC céderait le pouvoir à un conseil de souveraineté dont la composition précise est encore en cours de négociation. Cet organe serait placé à la tête du Soudan, mais exercerait le pouvoir de façon symbolique. Un gouvernement gérera les affaires courantes et devra contribuer à amener le pays jusqu’à des élections au terme d’une période de transition que les généraux voulaient limiter à deux ans.

En Algérie, la chute d’Abdelaziz Bouteflika, suite à des manifestations populaires et précipitée par l’intervention de l’armée, a assuré une succession présidentielle, en application de la constitution. Mais les manifestants, bien moins encadrés qu’au Soudan et dépourvus d’une direction effective, contestent le président provisoire et le chef du gouvernement actuel, dans le cadre  de leur demande d’un changement de régime. Le chef d'état-major de l'armée Ahmed Gaïd Salah qui a pris, de fait, les rênes du pouvoir, tente de ménager les contestataires. A cet effet, il mène “ une purge moins motivée par la soif de justice que par sa propre survie et la volonté de revanche contre l'entourage de son ancien maître’’ (éditorial de Jeune Afrique, Marwane Ben Yahmed, « la révolution confisquée par Ahmed Gaïd Salah, 20 mai 2019). D’ailleurs, le chef d’état-major a affirmé, le 20 mai, qu’il faisait valoir le choix constitutionnel de la date des élections et qu’il s’opposait à l’écartement des hommes de l’ancien régime, rejetant les demandes du harak. Dans ces deux pays, la société civile peine à mettre fin aux velléités d’une militarisation du pouvoir. 

En Libye, Haftar s’érige en grand acteur : La bataille pour le contrôle de la capitale libyenne continue à faire rage entre les forces du maréchal Haftar et celles de Fayez al-Sarraj. L’Egypte, les Emirats, la Russie et les Etats-Unis soutiennent le maréchal Haftar, alors que la Turquie et Qatar ont conclu une alliance de fait avec le chef du gouvernement libyen d'union nationale (GNA), qui contrôle la Tripolitaine. Soutenant l’islam politique, allié de Sarraj, la Grande Bretagne a multiplié, sans succès, les initiatives, pour faire condamner par le Conseil de Sécurité, l‘offensive du maréchal. D’autre part,  la France est plutôt favorable  à Khalifa Haftar alors que l’Italie tente d’arrêter son offensive et de faire valoir une solution politique. Afin de s’assurer  des soutiens contre "l'agression" de Khalifa Haftar et de lever l‘ambigüité de la position française, Fayez al-Sarraj a entamé mardi 9 mai  une tournée en Europe, à  Rome, à Berlin à Paris et en Grande Bretagne qui lui est acquise.  En dépit des discours officiels plutôt neutres, la France garde sa position. D’ailleurs, le maréchal Haftar sera reçu par le président Macron la semaine prochaine. D’autre part, les observateurs remarquent que l’Italie rejoint la position française. L’Europe veut laisser le temps au maréchal Haftar, afin de lui permettre de participer aux négociations, dans de meilleures conditions.

La situation militaire reste plutôt favorable au maréchal Haftar, le chef de l’armée; mais les renforts militaires envoyés par la Turquie tentent de changer la donne. Le gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez el-Sarraj a ainsi reçu des armes légères, des roquettes, et des munitions souvent de fabrication turque. La livraison d'une trentaine de blindés turcs au profit du gouvernement libyen d'union nationale, samedi 18 mai,  marque un accroissement spectaculaire des renforts turcs. Selon les informations, ces BMC Kirpi prévus pour résister aux mines ont immédiatement été envoyés sur le front sud de Tripoli. Ils serviront aussi à protéger les villes de Zintan et Misrata. Cet envoi de blindés viole, bien entendu, l’embargo sur les armes, car leur arrivée n’a pas fait l’objet d’une déclaration préalable auprès des Nations unies.

Libye, dynamique interne et jeu underground ?

Pr. Khalifa Chater

l'Economiste maghrébin, n° 766, du 15 mai 2019

 

“Depuis la chute de Bagdad, en 2003, les pays arabes furent l’objet d’épreuves, affaiblissant leurs pays’’, affirmait un observateur. Il fait valoir le discours du “grand Moyen-Orient’’  et de  “l’anarchie créatrice’’.  La Libye subit la stratégie de "l'anarchie créatrice", qui institua sa déstabilité et sa fragmentation, dans le cadre  du façonnement tragique de l'avenir du monde arabe. L’offensive vers le nord-ouest du chef de l’Armée nationale libyenne (ANL) et son intervention militaire contre le pouvoir établi en Libye, qui débuta le 2 avril,  précipita les événements et transgressa les velléités d’une solution politique, constamment différée. Comment définir l’offensive du maréchal Khalifa Haftar, pour prendre la capitale Tripoli, qui écrit “un nouveau chapitre’’ de la crise libyenne ? Le maréchal, acteur incontournable est-il le “sauveur’’ de la Libye,  comme l’affirment ses proches, ou “l’instigateur de coups d'Etat’’, opinion de ses détracteurs (rédaction LCI, 7 avril, 2019) ?

Au-delà de la guerre civile ? Intégration paradoxale, la Libye est formée de plusieurs régions nettement distinctes. La Tripolitaine, au Nord-Ouest, liée au Maghreb et la vaste plaine côtière agricole de la Jeffara, relèvent de l’économie méditerranéenne. Au Sud-Ouest, le Fezzan, vaste zone de transit vers le Sahel (actuels États du Tchad et du Niger) et l’Algérie, abrite d’importants oasis. La Cyrénaïque qui occupe toute la portion orientale du pays regarde depuis l’Antiquité vers l’Égypte et le Machrek. Sa ville principale, Benghazi, ex-capitale politique sous la monarchie, commande le Nord-Est dont les plateaux étagés du Djebel Akhdar sont découpés par de petites plaines littorales agricoles. Elle incorpore le Sud-Est, vaste espace désertique qui s’organise autour de l’oasis de Koufra. Il s’agit d’un espace économiquement et stratégiquement très important comme zone de transit vers le Soudan. (Patrice GOURDIN, Géopolitique de la Libye, diploweb, 18 septembre 2011).  Le pouvoir Kadhafien et la rente pétrolière, qui profita au régime et lui permit d’assoir ses assisses populaires, assura à la Libye une intégration conjoncturelle relative. Constat d’un expert, “ le régime avait commencé, dans les années 1970, à instituer un véritable État-providence qui bénéficiait au plus grand nombre et qui perdura en partie jusqu’à aujourd’hui’’ (Patrice GOURDIN, ibid.). La nouvelle donne réactualisa la division régionale et les oppositions tribales. Vu sous cet aspect, l’opération Khalifa Haftar pouvait être perçue comme une stratégie d’occupation territoriale. 

D’autre part, l’actualité underground met à l’ordre du jour, le jeu de la géopolitique  régionale et internationale : Alors que le pouvoir tripolitain, qui associe de fait les milices, plus ou moins proches de l’internationale islamiste, bénéficie du soutien du Qatar et de Turquie, le maréchal Haftar est soutenu par l’Egypte, l’Arabie Saoudite, les Emirats, la Russie, la France et les Etats-Unis, dont le président Trump lui assura son soutien, contre les milices terroristes. Le président américain Donald Trump s'est entretenu avec lui, au téléphone lundi 15 avril. Les deux hommes ont parlé «des efforts antiterroristes en cours et de la nécessité de rétablir la paix et la stabilité en Libye» (rapport de la Maison blanche, 19 avril). L’échec de la motion britannique présentée au Conseil de Sécurité, atteste l’isolement du Royaume Uni, qui reste fidèle à son soutien de l’islam politique.  Les événements de Libye constituent une guerre civile, puisqu’il s’agit d’un affrontement armé entre des habitants d'un même pays. Mais sa nature est bien plus complexe : Sous ce double aspect, de l’opposition régionale et de l’intervention étrangère, la guerre de Libye transgresse, par sa complexité, sa dimension nationale.

Les raisons de l’intervention : “Le dessein politique est la fin, la guerre et jamais le moyen ne peut être conçu, sans la fin’’ (Carl Von Clausewitz). La guerre civile de Libye, - fut-elle complexe ! – ne peut être analysée, sans l’examen de la dialectique entre les fins politiques et les objectifs militaires.  L’offensive du maréchal Khalifa Haftar n’a point comme objectif une occupation territoriale. Il s’agit de soumettre à ses vues le gouvernement Faez al-Sarraj, dont les compromis avec l’islam politique dénature le régime, selon le maréchal Haftar. “L’offensive du chef de l’Armée nationale libyenne (ANL) ne serait pas une agression, mais une libération des Tripolitains, tenus en otages par les milices islamistes et les trafiquants en tout genre’’ (déclaration d’Al-Hadath, la chaîne télévisée libyenne tout acquise à la cause du maréchal Haftar, 5 avril 2019). “Nous soutenons l’avancée des forces armées de l’armée nationale dans le but de purifier Tripoli et sa région des milices et des groupes terroristes’’, déclare un des témoins que cette chaine diffusa. Le gouvernement al-Sarraj s’oppose à ses propos mais son alliance de fait avec Qatar et la Turquie, confirment ces accusations. N’ayant jamais songé à négocier avec Tripoli, le maréchal Haftar a finalement décidé de prendre d’assaut la capitale. Il fit valoir l’action militaire à la solution politique qui a longtemps trainé (Jihâd Gillon  « Libye : pourquoi le maréchal Haftar tente le coup de force », Jeune Afrique, 17 avril 2018). 

Alors que le maréchal Haftar a demandé à ses troupes de poursuivre la conquête de Tripoli, au cours du mois de ramadan, rejetant  la demande de trêve du représentant des nations unis, le Premier ministre du gouvernement libyen d'union nationale (GNA), Fayez al-Sarraj, effectua  une  tournée en Europe pour s'assurer de son  soutien, le 7 et 8 mai. Sa tournée débuta par une rencontre avec le chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte, qui a assuré qu'une stabilisation militaire de la Libye ne serait qu'«apparente». Ayant reçu Faiez Al-Sarraj, le même jour, la chancelière allemande, Angela Merkel, appelé "les deux parties en conflit en Libye à reprendre le processus politique et les négociations sous la direction des Nations Unies, sur la base de l'accord d'Abou Dhabi". Emmanuel Macron, qui s'est entretenu, mercredi 8 mai, avec le Premier ministre libyen Fayez al-Sarraj, a appelé à une trêve sans conditions en Libye, sous supervision internationale. Il a rappelé la volonté de la France d'aider à la relance d'un processus politique en Libye. Emmanuel Macron a profité de sa rencontre avec le chef du gouvernement libyen d'union nationale (GNA), basé à Tripoli et reconnu par la communauté internationale, pour tenter de désamorcer les critiques d'une partie des membres du GNA sur un "double jeu" présumé des Français, qui soutiendraient Khalifa Haftar. Après les vœux pieux, d’Angela Merkel et d’Emmanuel Macron, Faiez al-Sarraj rencontra la première ministre  britannique, plutôt acquise à sa cause, vu le soutien britannique de l’Islam politique et sa vaine tentative de condamner l’initiative de Khalifa Haftar, par le conseil de Sécurité.

Une mise à l’épreuve militaire : Comment se frayer un chemin dans ce “brouillard’’ que constitue toute guerre, selon Von Clausewitz. Similaire à un jeu de cartes, mais tragique, toute guerre s’inscrit dans “les lois de la probabilité’’, qui remplacent les certitudes. Dans le cas du maréchal Haftar, il a apparemment l’avantage de l’offensive. Mais son action est handicapée, par sa volonté de ménager la population civile, dans la mesure où il s’érige en libérateur et non en belligérant, soucieux de coloniser des terres étrangères. Fait d’évidence, ce ne fut guère une guerre-éclair ?  Il  ne l’a surement pas envisagé ainsi. L’éloignement de sa base de départ, prés de 1200  kilomètres, ne facilitait pas l’arrivée des renforts et du ravitaillement. Le gouvernement al-Sarraj, par contre, est réduit à l’offensive. Mais il bénéficie de la connaissance du terrain et de l’appui direct de la population. Mais la participation des milices – ses alliés effectifs ou de fait -, redessine la nature du projet de société et éloigne les partisans d’un projet de société moderniste et d’ouverture. D’autre part, le clan des Khadhafistes ne saurait s’allier à l’islam politique. La donne générale confirme l’aspect aléatoire de la guerre.

Mais, fait d’évidence, la guerre de Tripoli dépend des rapports de forces des acteurs régionaux et internationaux. Les événements d’Algérie et du Soudan, le redressement de la Syrie et l’émergence de l’Egypte comme pôle d’appui régional, créent des conditions favorables à l’opération Haftar. Elles l’érigent en acteur important des négociations politiques éventuelles et feraient valoir les enjeux, qu’il a mis à l’ordre du jour.

Conclusion :   La population de Tripoli, prés de trois millions d’habitants, est en plein désarroi. Subissant la guerre, elle ne peut se prononcer, en connaissance de cause sur le choix des projets de société, que défendaient les protagonistes. Ceux qui le pouvaient, ont cherché refuge en Tunisie ou s’étaient éloignés des environs, où se s’engageaient les affrontements. Mais la plupart vivent douloureusement cette situation d’attente, qui différait leurs engagements.

Tunisie, une campagne politique prématurée

Pr. Khalifa Chater

l'Economiste maghrébin, n° 765, du 1er mai 2019

 

“Ilest vrai peut-être que les mots nous cachent davantage les choses invisibles qu'ils ne nous révèlent les visibles”. Cette réflexion  est illustrée par  les discours du Président de la république, Béji Caid Essebsi, le 6 avril,  et du chef du gouvernement Youssef Chahed, le 18 avril, qui inaugurent, de fait, la campagne électorale.

Lors de son allocution d’ouverture du premier congrès de Nidaa, le président fondateur du parti Béji Caïd Essebsi a fait deux annonces essentielles :

  • Son non souhait de se présenter aux prochaines élections présidentielles
  • Sa demande au congrès de réintégrer Youssef Chahed, au Nida et l’annulation de sa suspension.

Le président fondateur du Nida  fait valoir la nécessité de rassemblement de la famille centrale, progressiste et bourguibiste, pour constituer un front contre Nahdha. Irait-il jusqu’à soutenir la candidature de Youssef Chahed à la présidence de la république ? Ce dernier tarde à répondre, observant  “un silence aristocratique” comme l’affirme l’observateur politique Ali Mhadhebi. Certains critiques évoqueraient plutôt des “manœuvres”, destinées à affaiblir Nida Tounes.  Béji Caid Essebsi aurait-il  brouillé les cartes ? Or, la tournure des événements met en échec la stratégie de rassemblement du président la république, vu la division du Nida, par ses dirigeants autoproclamés.

Dans son intervention, sur la chaîne nationale Al Wataniya 1, le chef du gouvernement tunisien a présenté la feuille de route de son équipe jusqu’aux élections législatives d’octobre. “Les examens nationaux, la rentrée scolaire et la saison touristique, ainsi que le retour des Tunisiens résidant à l’étranger font partie des priorités du gouvernement, dans la période à venir ”. Ces questions relèvent en fait du registre annuel, en Tunisie et elles ne constituent guère des priorités nouvelles, ni des urgences. Par contre, le discours de Chahed, fait valoir, à juste titre, la question du pouvoir d’achat et annonce la probable baisse des prix, durant le ramadan. Pour quoi limiter cette proposition, seulement au mois saint, alors qu’elle relève du quotidien, qui suscite la colère générale ? Youssef Chahed évoque la nécessité de faire adopter par des réunions avec les partis, un code de déontologie politique. Souhaiterait-il faire la paix avec la classe politique, sinon la convaincre ?  Sa définition de la critique de son gouvernement  comme “du populisme” ne pourrait qu’approfondire la discorde. D’autre part, la diabolisation de l’opinion publique risquerait d’assurer le développement de la colère de la rue. Faut-il perdre de vue l’effet du harak, en Algérie et au soudan, qui a mis fin à leurs gouvernements ?

De fait, le discours du chef de gouvernement ne précise pas l’agenda gouvernemental. Les tètes de chapitre auraient dus être développés. Les promesses annoncées pourraient-elles convaincre ?  Le chef du gouvernement aurait du, selon un observateur, concentrer son discours sur les vrais priorités du peuple, relatives au panier de la ménagère. Ce discours relèverait de “la campagne électorale”, affirme un protagoniste. A l’appui de cette affirmation, il relève que le chef du gouvernement clôture son intervention, en invoquant son parti Tahya Tounes, qui a, d’ailleurs, fait figurer ce discours, dans son programme politique, sur son site. Pouvait-il ainsi occulter les échecs de la gouvernance de son leader : dégradation du pouvoir d’achat, chute du dinar, développement de l’inflation et de l’endettement.

Un baromètre politique ? : Comment se présenterait la compétition, lors des élections prochaines ? Nous n’abordons pas la question du point de vue des officines de sondage. N’offrant pas de garantis réglementaires, elles suscitent volontiers des réserves. Nous évitons aussi de formuler nos diagnostics, en nous référant aux réseaux sociaux. La plupart des partis mobilisent des équipes, pour y organiser leurs campagnes. Nous préférons lire les manifestations sociétales, étudier les reportages et être à l’écoute des entretiens avec les acteurs.

Nida Tounes semble sortir affaibli par l’échec sa reconstruction, le départ de ses principaux fondateurs et les divisions entre les membres de sa direction proclamée, plutôt impopulaires d’ailleurs. Mais son congrès a révélé d’importantes assises populaires, traduisant l’existence d’une machine de recrutement, de rassemblement et de démonstration.  Sa glorieuse histoire (2013-2014), son triomphe grâce au “vote utile”, la mobilisation en sa faveur de milliers de femmes et son combat pour les acquis bourguibiens lui accordent un argumentaire pertinent, qu’il réactualise volontiers.

Tahya Tounes bénéficie de l’appui du gouvernement. L’offre des charges lui assure une importante clientèle, à défaut de militants. Mais les échecs gouvernementaux de son leader pourraient avoir une issue fatale. Fait d’évidence, le panier de la ménagère risque de déterminer le vote, à ses dépens. Mais il dispose de la machine gouvernementale.

Machrou3 semble vivoter. Dépendant de son alliance avec Tahya Tounes, il partage son “flottement” politique entre les alliances déclarées et undergound. Les autres partis dissidents de Nida restent marqués par leur échec, lors des élections municipales. Mais une alliance Nida, Tahya Tounes, Machrou3 et les partis proches, qui partagent le même socle de valeurs, peut créer la surprise et inverser la situation. Le discours de Béji Caid Essebsi, lors de l’ouverture du congrès de Nida, pourrait ouvrir de telles perspectives.

Le parti Destourien, qui marque désormais le paysage politique, vu la désillusion de la classe politique et l’occultation des attentes, pourrait paraître, aux déçu du “printemps tunisien”, une planche de salut. Mais la mobilisation contre lui de tous les protagonistes le met à rude épreuve.

Nahdha est surement affectée par la chute du président soudanais al-Bachir, l’intervention de Haftar, contre le pouvoir de Tripoli, les échecs d’Erdogan, dans les élections municipales des grandes villes et la restauration du pouvoir syrien. Mais sa marge de manœuvre reste importante, dans la mesure où il sera appelée à choisir ses alliances, parmi les fractions de Nida, Tahya Tounes et machrou3. 

Maghreb, une donne nouvelle ?

Pr. Khalifa Chater

l'Economiste maghrébin, 17 avril-1er mai 2019

 

Le Maroc,  la Mauritanie et l’Egypte qui ont échappé au  “printemps arabe’’, ont connu  des itinéraires différentiels.  Au Maroc, le harak du Rif a été condamné par le gouvernement, qui a intégré  l’islam politique. En Mauritanie, la lutte entre le pouvoir et l’opposition,  marque le paysage. En Algérie, le Harak populaire, produit de la dynamique interne, condamne le régime spécifique algérien, tout en prenant ses distances de l’islam politique. 

Sommet arabe à Tunis: À la recherche d'un second souffle

Pr. Khalifa Chater

l'Economiste maghrébin, 3-17 avril 2019

 

Le 30e sommet de la Ligue des Etats arabes, qui vient de clôturer ses travaux à Tunis, devait traiter les conditions arabes, dans une conjoncture tragique, exceptionnelle : aggravation de la situation palestinienne, effets désastreux du “printemps arabe’’, en Libye, en Syrie et au Yémen, marqués par une déstabilisation, une guerre civile et  des velléités de remise en cause des Etats, défi du président Trump, qui transfert l’ambassade américaine à Jérusalem et affirme que le Golan syrien, relève de son occupant, remettant en cause la légitimité internationale, recrudescence des actes de terrorisme etc. 

L’aire arabe restait, dans ce contexte, “un champ de mines’’, selon un observateur pessimiste. Riadh Sidaoui qualifie les sommets arabes de “festivités et de rencontres de courtoisie diplomatique, sans aucun résultat tangible”. Le sommet de Tunis peut-il constituer une exception ? Ce sommet de “la dernière chance’’ pourrait-il faire face aux défis et répondre aux attentes arabes. Serait-il en mesure de transgresser les slogans usuels et prendre les décisions appropriées, pour assurer le redressement d’une situation catastrophique ?

Fait évident, les prises de décision, par consensus, paralysent en réalité cette instance régionale, miroir de l’aire arabe et expression des rapports de forces dominants et des positionnements et des repositionnements, au service de la géopolitique internationale. 

 Un sommet rassembleur : On a noté la présence de 21 délégations arabes dont une majorité de leaders arabes tels que l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Arabie Saoudite, le Koweït, Qatar,  l’Irak, le Liban, la Mauritanie ainsi que des pays au centre des grands débats actuels telles que la Libye, représentée par le président du gouvernement d’Union Nationale, Fayez El Sarraj, et l’Algérie représentée par le président du Parlement, Abdelkader Bensalah. La Tunisie affirmait sa volonté pragmatique de pacifier les relations entre les états arabes.

La présence du souverain saoudien et de l’émir di Qatar devait permettre  de rapprocher les positions et de dissiper les malentendus. Mais le départ de l’émir du Qatar de la conférence, une trentaine de minutes après son arrivée, révélait que le traitement du conflit entre les pays du Golfe, ne pouvait pas être à l’ordre du jour.  D’autre part, le rassemblement pouvait difficilement mettre fin à la bataille des axes dans l’aire arabe et  à leurs stratégies conflictuelles. D’autre part, certains pays exprimaient leur volonté d’alliance contre l’Iran, dans le cadre de la guerre du Yémen et de la Syrie. Des différends – non exprimés publiquement -  opposaient  les pays arabes. Le Sommet ne pouvait que s’accommodait des relations différentielles des différents pays arabe, avec les puissances, la Turquie et l’Iran.

Remettre la Palestine sur les devants de la scène arabe : Effets du printemps arabe, affrontements entre Fatah et Hamas et désintéressement américain, du processus de paix, la question palestinienne a été, de fait, depuis un certain temps, reléguée au  second plan.  Le Sommet accorda à la Palestine une place centrale. Sous l’influence de la Tunisie, “le pays arabe qui prend probablement le plus à cœur la cause palestinienne”  affirme un observateur. Dans ce cadre, le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, fut vivement critiqué. Mais peut-on sous-estimer les risques de tactiques de normalisation, contredisant la politique pro-palestinienne ?

La question syrienne : L’intégration de la Syrie, à l’instance arabe, ne fut pas l’objet d’une prise de décision par le sommet.  La motion finale fait valoir  l’intégrité et la souveraineté de la Syrie et dénonce les dérives terroristes. On remarque cependant que la majorité des  pays arabes étaient favorables  au retour de la Syrie à l’instance arabe. Mais l’exigence d’un consensus sembla différer cette décision.

Fait important, le 30e sommet de la Ligue arabe, affirma son rejet catégorique des pays arabes de la décision du président américain Donald Trump de reconnaître la souveraineté d'Israël sur le plateau du Golan. Une motion particulière dénonce l’initiative du président Trump, annonce la décision de mettre en échec cette décision et charge les ministres arabes des affaires étrangères d’agir auprès de la communauté internationale, pour faire valoir la nécessité de s’opposer à l’occupation du Golan syrien.

La question libyenne : Accord sur un règlement de la question libyenne, par le dialogue et condamnation de l’intervention étrangère. Fait important, en marge du 30ème sommet de la Ligue arabe à Tunis samedi 30 mars, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, António Guterres, le Secrétaire général de la Ligue des États arabes, Ahmed Aboul Gheit, la haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini et le président de la commission de L’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, le président du Conseil présidentiel du gouvernement libyen d’entente nationale Fayez al-Sarraj et le représentant spécial, Chef de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (Manul), Ghassan Salamé, ont pris part à une réunion quadripartite sur la Libye. 

Les relations avec l’Iran : La motion générale fait valoir le souci de fonder les relations arabes avec l’Iran, dans  l’exigence d’une politique de non-intervention dans l’aire arabe. Elle prend à son compte la position de l’Arabie Saoudite et des Emirats, qui critiquent son soutien aux Houthis au Yémen et à leurs armements, qu’elle condamne.

Conclusion : Remarquons cependant, au de-là de la paralysie traditionnelle de la Ligue et de son confort énigmatique en conséquence, l’effet du message tunisien : Exigence de réformes de l’instance arabe, pour habiliter les prises de décisions, souhait de reconstruire l’unité par l’intégration de la Syrie, nécessite d’un développement de l’éducation et de la culture, mise à l’ordre du jour d’une vision d’avenir et transgression des nostalgies meurtrières. Cette voie de la raison populaire devait être entendue, à plus ou moins brève échéance.

Algérie, la fin d'un régime ... !

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, 3-17 avril 2019

 

Prenant acte de la contestation et répondant à l’appel de la rue,  le général Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée algérienne et vice ministre de la défense, appela  le 26 mars 2018 à déclarer l’empêchement du président Bouteflika. Dans un discours dont des extraits ont été diffusés à la télévision publique, il a demandé l'application de l'article 102 de la Constitution. Si le Conseil constitutionnel suit ses recommandations, cela ouvrirait la voie à une procédure d'empêchement d'Abdelaziz Bouteflika. De fait, la sortie des Algériens dans la rue, le 22 février et le développement des marches de protestations, depuis lors, tous les vendredi, ont remis en cause la légitimité du président Abdelaziz Bouteflika, gravement malade, qui souhaitait se maintenir au pouvoir. Tout en répondant aux  vœux des manifestants et en annonçant qu’il ne se présentait pas pour un cinquième mandat, il annonça un report des élections, lui permettant de poursuivre son quatrième mandat.

Jeune Afrique affirme que  l’appel de Gaïd Salah à l’application de l’article 102 “ n’aurait pas été prise du propre chef, du chef d’état-major,  mais qu’elle est plutôt le fruit d’une concertation et négociation avec l’entourage du président et sa famille’’(Camille Lafrance et Syrine Attia, « Gaïd Salah a compris que Bouteflika et ses deux frères sont finis politiquement », 26 mars 2019).  Nous pensons, plutôt que cette décision, qui mécontente la famille, a été prise par l’armée, suite à un débat interne. Pica Ouazi confirme cette vision. Elle affirme  que le Président Abdelaziz Bouteflika et son entourage n’étaient pas au courant de la décision du chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah… Elle révèle un grand décalage au sommet de l’État et des visions différentes de sortie de crise’’ (Algérie : Abdelaziz Bouteflika pris de court par l’application de l’article 102, in Site observalgerie.com, 27 mars)  L’armée, organe principal de gouvernement, en Algérie, a cherché à “coller à la rue’’, en adoptant cette attitude décisive, qui sauverait le pouvoir. Les Algériens et en premier lieu l’armée, tirent la leçon des dérives inquiétantes, en Libye, en Syrie et au Yémen et ne souhaiterait pas donner à l’islam politique l’opportunité de prendre le pouvoir. Ils seraient conscients des velléités de certains pays, d’instituer une “anarchie créatrice’’, qui affaiblirait  l’aire arabe.

La crise algérienne mettrait en cause la nature du pouvoir : Depuis l’indépendance, l’Algérie est gouvernée par le Front de Libération Nationale, reconvertie par le Président Ahmed Ben Bella, en parti unique de Gouvernement.  Il était en relation organique avec l’armée.  “L’armée est l’épine dorsale du régime, jouant un rôle central dans la cooptation des élites civiles chargées de gérer l’administration gouvernementale’’ (Lahouari Addi, « les partis politiques en Algérie », mars 2006, p. 111-112, in https://journals.openedition.org). Après l’institution du multipartisme, le Rassemblement National Démocratique rejoint l’équipe gouvernementale. Cette légitimité est confortée par la prétention algérienne à assurer la position centrale (core state), dans l’aire géostratégique maghrébine. L’augmentation du prix du pétrole de 1973 à 1978, ferait valoir cette vue. Les revenus pétroliers compensaient le déclin de l’agriculture et les difficultés de l’industrialisation algérienne. La réduction des revenus de l’Etat, depuis lors, affaiblirent la politique saharienne de l’Algérie, autre manifestation de cette position de cœur central. D’ailleurs le centre d’analyses International Crisis Group (ICG) a estimé que la chute du prix de pétrole actuelle annoncerait une crise en 2019 : “ L’ICG estime qu’il est inutile de compter sur le rétablissement des cours du pétrole, car malgré un prix confortable du baril, la crise pourrait frapper le pays en 2019 et se greffer aux tensions entourant la présidentielle’’ (Rapport du 19 novembre 2018). Le même rapport de l’ICG note que  “ les autorités reconnaissent que le modèle actuel est à bout de souffle mais peinent à le corriger’’ et regrette que les réformes économiques ont eu tendance à être reportées’’. La contestation populaire confirme le diagnostic de l’ICG, suite aux reports des réformes.

Suivi de l’appel du chef d’État-major des armées Ahmed Gaïd Salah d’appliquer l’article 102 de la Constitution, le Conseil constitutionnel devait se réunir pour statuer  sur la vacance du poste de Président de la République. Les positions de l’opposition et du chef d’état-major traduisent une peur d’instabilité, mais alors que la société civile craint la survie des symboles de l’ancien régime, l’Establishment est soucieux de maintenir son pouvoir, au-delà de la présidence d’Abdel Aziz Bouteflika.

Précipitation des événements, Liamine Zéroual, qui a pris en main la gestion du pays de 1994 à 1998 avant qu’il ne démissionne, aurait été contacté, pour assurer la transition. “Zéroual est favorable pour son retour à condition qu’il ait une forte demande de la population’’, affirme Ali Mebroukine, son ancien conseiller. Il ajoute que Liamine Zéroual “est prêt à revenir pour une période courte pour permettre de passer le flambeau à une jeune génération’’ (Pica Ouazi « Liamine Zéroual est disponible pour gérer la période de transition », site observervalgérie, 26 mars 2019). Fait d’évidence, la transition permettrait l’affirmation d’une nouvelle génération, clôturant la domination de la génération de la révolution. D’autre part, l’Union syndicale (l’UGTA) et les deux partis gouvernementaux : le Front de Libération Nationale et le Rassemblement National démocratique soutiennent le 27 mai les propositions du chef de l’état-major, alors que la présidence reste silencieuse.

La réaction aux propositions du chef d’état-major : L’opposition estime que l’empêchement d’Abdelaziz Bouteflika, “suggéré’’ par l’armée, ne peut pas être la seule réponse à la crise politique. Le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) a réagi instantanément aux déclarations du Général Ahmed Gaïd Salah, qualifiant l’invocation de l’article 102 de la Constitution de tentative de coup d’État’’. D’autre part, le coordinateur de l’Union démocratique et sociale (UDS), parti non-agréé, Karim Tabou, a estimé le 27 mars que la demande du chef d’Etat major, Gaïd Salah, d’appliquer l’article 102 de la Constitution, est une “tentative de casser le hirak et “d’induire le peuple en erreur”. Le RCD de Mohcine Belabbas a suggéré une période de transition qui prendra fin le mois d’octobre prochain avec l’élection d’un président de la République alors que le Parti des travailleurs de Louisa Hanoune demeure accroché à la mise en place d’une Assemblée constituante. D’autres parties s’opposent à l’application de l’article 102 de la Constitution et appellent plutôt à l’application de l’article 7 de la Loi fondamentale qui stipule : “Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple’’.

Fait important, la rue qui a accueilli avec prudence et de sentiments mitigés, les propositions du chef d’état-major, a repris ses manifestations, pour demander un changement total du régime, écartant le président et l’Establishment.  Dès 8h30, du 29 mars, vendredi test de l’accueil des propositions du chef d’état-major, des groupes ont commencé à se rassembler. Devant la grande Poste, au centre de la capitale, quelques centaines de personnes étaient déjà rassemblées, criant: “ Bouteflika, tu vas partir, emmène Gaïd Salah avec toi ’’. Sur une grande banderole, on peut lire : “ Nous demandons l'application de l'article 2019. Vous partez tous ! ’’ La mobilisation nationale, le 6e vendredi du harak s’opposa énergiquement à la solution partielle de la crise, selon les manifestants. La rue algérienne craint - elle  que “ la transition lui échappe’’ (Zahra Chenaoui, Le Monde, 27 mars). Comment arrêter, dans ces conditions l’escalade, qui conforte l’instabilité ? Slogan de la jeunesse “laisser nous réver’’. Réponse d’un citoyen méfiant : “Qu’on fasse attention. Les rêves peuvent devenir des cauchemars, comme dans certains pays arabes’’

Où va l’Algérie ? Est-ce la fin du gouvernement Bouteflika ou plutôt du régime spécifique algérien, dans son ensemble, vu la perte de la légitimité globale et la fin de la prétention au cœur central de son aire géopolitique ? La contestation populaire a brouillé les cartes et suscité des repositionnements de l’ensemble de la classe politique du pouvoir et de l’opposition. Elle doit désormais   tenir compte de l’émergence, de la prise de conscience et de la mobilisation de la société civile. Dans ce contexte, l’armée est restée la garante  de la stabilité et de la sécurité. La feuille de route adoptée par les partis de l’opposition, le 26 mars, met à l’ordre du jour une étape de transition, où un comité présidentiel, formé de personnalités non partisanes et compétentes, d’assurer la transition, en attendant les nouvelles élections. L’armée constituerait, l’institution qui garantirait la réussite de la conjoncture. Un compromis pourrait réussir la synthèse entre la feuille de route de l’opposition et l’initiative de l’état major, qui assure le respect de la constitution : Accord  sur le départ du président et choix d’un nouveau gouvernement de consensus, qui permettrait d’assurer des élections transparentes. Mais comment arrêter les marches de protestations, alors que les réseaux sociaux, sans direction politique, lancent les mots d’ordre et transgressent les vues des partis dépréciés, du pouvoir et de l’opposition ?

Fait nouveau, la participation active de la femme algérienne, pour faire valoir ses droits à l’émancipation. Ce qui domine, c'est la revendication politique", même si les droits des femmes "apparaissent ça et là", reconnait la syndicaliste et féministe Soumia Salhi (Christophe de Roque feuille, « Les Algériennes très mobilisées, mais encore prudentes pour leurs droits »AFP, 25 mars).  Ces initiatives mettraient à jour des réformes sociales importantes, transgressant les revendications politiques.

Tunisie, positionnements et repositionnements

Pr. Khalifa Chater

“De toutes les armes les plus puissantes, sera toujours l’éducation’’ (Nelson Mandela). La pseudo école de Regueb révèle l’existence d’une structure de formation alternative, de la vision daéchienne et de sa genèse califienne. Elle traduit des velléités de remettre en cause les acquis bourguibiens, pis encore la pensée zeitounienne d’ouverture, de modération et de respect des valeurs essentielles. La réaction différentielle des acteurs politiques, - ceux qui la dénoncent et ceux qui la défendent - atteste l’existence d’une démarcation géopolitique évidente. La condamnation par la Nahdha de l’exécution des terroristes égyptiens et l’occultation du péril du retour des  daéchiens, en Tunisie,  distinguent les positions politiques, alors que le rapprochement tuniso-égyptien, illustré par les rencontres des présidents  Sebsi/Sissis est mal perçu par les défenseurs de l’islam politique. D’autre part, les récentes manifestations algériennes -  transgressant l’opposition à la candidature du président Bouteflika et s’inscrivant de fait d’une éventuelle extension du “printemps arabe’’ - établit une opposition idéologique entre Nahdha et la mouvance moderniste. Les prochaines discussions parlementaires, sur l’égalité de l’héritage confirment la démarcation idéologique. En l’absence de visions socio-économiques, les partis tunisiens effectuent, aux grés des événements, des positionnements et des repositionnements. Malgré tout, le paysage politique reste opaque.

Tunisie, des velléités de rassemblement … !

Pr. Khalifa Chater

 

“La maison brule et on regarde ailleurs’’. Ainsi décrit-il la situation tunisienne un observateur pessimiste. La guerre des charges gouvernementales semble, en effet, préoccuper les dirigeants politiques tunisiens, occultant les attentes sociales. L’UGTT revendiqua une augmentation des salaires pour  faire face à la dégradation du pouvoir d’achat.  Le gouvernement fut certes contraint de répondre à ses vœux. Mais, ce rappel à l’ordre de la centrale syndicale ne parvint pas à mettre à l’ordre du jour l’adoption de programmes socio-économiques par les grands partis. “Rima  revint à ces anciennes habitudes’’, selon la règle populaire tunisienne.

Aire arabe, l’affirmation de la dynamique interne … !

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, n° 767, du 29 mai 2019

 

La fin du “printemps arabe’’ ? La décision des USA  de retirer leurs militaires de Syrie, où ils étaient déployés pour combattre le groupe Etat islamique (EI) aux côtés des Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition arabo-kurde, annonce-t-elle la fin du printemps arabe ?  Le président américain Trump a estimé sur Twitter avoir atteint son objectif en Syrie qui était de "vaincre le groupe Etat islamique". "Nous avons vaincu le groupe Etat islamique en Syrie, la seule raison pour moi pour laquelle nous étions présents pendant la présidence Trump". Des observateurs américains ont salué la volonté du président de ne pas intervenir au Moyen-Orient pour « reconstruire des Etats » après les combats. « Nous ne sommes pas là pour recréer une nation » au-delà de la lutte contre l’Etat islamique, revendique aussi l’éditorialiste conservateur Eric Bolling sur The Blaze, en lançant un « Bravo ! » à Donald Trump.

Ce retrait signifie-t-il l’affirmation de la dynamique interne ? Al-Assad sort certes victorieux de cette guerre de salut public, qu’il a dû engager contre des acteurs régionaux et internationaux. Les pays du Golfe, à l’exception de Qatar, ouvrent leurs ambassades à Damas et seraient favorable à la fin de la suspension de la Syrie de la ligue des Etats arabes. Mais Ankara a menacé de mener une offensive avec ses alliés rebelles syriens contre les forces kurdes dans cette région, à Minbej. Face à ce péril, les forces kurdes ont fait appel à Damas.  Dés le vendredi 28 décembre, l’armée syrienne, répondit à leur appel,  consolidant ainsi son pouvoir. Pourrait-elle mettre en échec  les velléités  d’Ankara, qui tente de faire valoir sa stratégie d’intervention, auprès de Washington et de Moscou ?

Tunisie, transgresser le statut quo … ! Le peuple est conduit par la misère aux révolutions et ramené par les révolutions à la misère’’.  Cette citation de Victor Hugo, dans les réseaux sociaux  traduit l’inquiétude des Tunisiens et leurs désillusions post-révolution. Mais ramenons la situation à ses justes proportions : C’est le despotisme et non la misère qui ont provoqué le soulèvement tunisien. D’autre part, il serait exagéré d’évoquer une misère actuelle du pays. Nous pouvons certes parler de précarité, de baisse du pouvoir d’achat, de dépréciation du dinar. Mais la colère tunisienne s’expliquerait essentiellement par la non-satisfaction des attentes et l’absence d’une politique de sauvegarde des conditions de vie et de promotion globale.

Les acteurs de “la révolution’’ tunisienne croyait que le pouvoir était dans la rue. Ils ont manifesté, s’étaient exprimé, ont affirmé leurs revendications et formulé leurs rêves. L’illusion d’un Etat nouveau s’est brisée avec le régime de la troïka. “Comment penser librement à l’ombre d’une chapelle’’, disait un progressiste. Les élections de 2014, marquèrent une inversion de tendances. Mais la concorde entre les ennemis d’hier restaura les équilibres fondateurs des deux grands partis au pouvoir. “Dérive du régime’’, affirma un critique, on laissa les programmes sociaux aux vestiaires et on accorda la priorité  à la participation au gouvernement  et à la répartition des ministères. Vivant un présent déroutant, indéfinissable, la société  exprima sa résignation et ses inquiétudes.

Dans son entretien télévisé accordé à Attessia TV,  vendredi 21 décembre 2018, le Chef du gouvernement Youssef Chahed a évoqué la conjoncture économique difficile. “Nous avons réduit le déficit budgétaire à 4,7% en 2018 alors qu’il était de 7% en 2016. C’est notre priorité. Concernant le prêt du Fonds Monétaire International (FMI), il sera remboursé en 2020. Il faut savoir que si le FMI entre dans un pays, c’est que ça va mal. Nous devons commencer par stopper l’hémorragie des finances publiques et nous y arriverons. Sans les efforts que nous avons fait au niveau du déficit budgétaire, nous aurions pu enregistrer une inflation à 10%’’.  Les programmes annoncées occultent la question du pouvoir d’achat et la crise sociale, éléments essentiels de l’argumentaire des protestataires.

Réaction du président de la république à l’annonce d’un mouvement de protestation de certaines régions, il a réuni  vendredi 28  décembre matin, le président de l’ARP et le chef du gouvernement, les premiers dirigeants de l’UTICA et de l’UGTT ainsi que des partis formant la coalition gouvernementale. Au cours de conseil de la république informel, la situation sécuritaire et économique du pays a été évoquée. “Les blocs parlementaires, dit-il,  qui ont soutenu le remaniement ministériel sont autant responsables que le gouvernement dans la détérioration de la situation économique et sociale’’.

On releva que chef de l’Etat opta pour “le parler vrai’’.  Il tira la sonnette d’alarme, et évoqua les attentes prioritaires. A l’écoute des tensions sociales, il demanda au gouvernement et aux partis qui le soutiennent d’y faire face. “ Vous êtes aussi responsables pour trouver des solutions. Dans la politique, c’est le résultat qui compte. Et, désormais, les résultats sont mauvais ’’. Au-delà de la lutte entre Carthage et la Casbah er leurs relais (Nida, la coalition nationale), le parti Nahdha et des organisations nationales (UGTT et UTICA), pourrait-il ainsi réconcilier la classe politique avec  la population, par cet appel à la redéfinition des programmes gouvernementaux ?   

Comment transgresser cette attitude d’attente, d’un pouvoir qui diffère la prise des décisions, le traitement des questions qui dérangent, qui s’accommode d’un statut quo qui remet en cause les espérances du soulèvement de 2009-2011 ? “La vie, ce n’est pas d’attendre que les orages passent’’, disait Senéque. Dans le cas de l’actualité tunisienne, de nouveaux orages sociaux s’annoncent. Le gouvernement pourrait-il faire face aux défis de l’année 2019, qui s’annonce difficile ?