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L'aire arabe, une nouvelle donne ?

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 27 mai au 10 juin 2020

 

La crise des Etats rentiers : Les pays arabes du Golfe étaient  devenus des acteurs majeurs de l'économie mondiale, grâce à la manne pétrolière. Les six membres du Conseil de coopération du Golfe (Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie saoudite, Émirats arabes unis), fournissaient le quart de la demande mondiale. Or, l’effondrement du prix du pétrole, précipité par la pandémie,  a provoqué la crise des Etats rentiers du Golfe, conséquence de l’effondrement de leurs économies. Ce qui affecta la structure de ses Etats, qui faisaient valoir une élite de techniciens, sans vision politico-culturelle. Cette crise remet à l’ordre du jour les intellectuels, appelés dans ces circonstances, à analyser la situation de leurs pays, à leur identifier un nouvel avenir. Désormais redimensionnés, les Etats du Golfe limitent leurs ambitions, leurs stratégies d’expansion et d’interventions à l’extérieur, tous azimuts. Ils  sont désormais plutôt confinés, plus préoccupés de s’occuper de leurs affaires internes. Est-ce à dire que la Syrie, le Yémen et Qatar vont bénéficier d’un certain répit ?

Ces pays, qui sont regroupés dans le Conseil de coopération du Golfe (CCG), devraient enregistrer cette année leur plus faible croissance du PIB depuis 2009, a +0,5 %, a prédit le FMI, le 31 octobre 2017. « C'est aujourd'hui le moment opportun pour eux d'accélérer la diversification de l'économie hors du secteur pétrolier. Il faut promouvoir un rôle accru du secteur privé pour soutenir la croissance et créer davantage d'emplois", a déclaré à l'AFP le directeur pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord au FMI, Jihad Azour. "Préparer les économies à l'ère post-pétrole devient une priorité pour toute la zone du Golfe", a-t-il insisté.

Comme le souligne le Fonds monétaire international (FMI) dans un rapport publié en octobre 2014, faute de revenus pétroliers suffisants pour employer une population en pleine croissance, "le chômage pourrait augmenter dans les prochaines années". Près de 30% des jeunes vivant en Arabie Saoudite étaient déjà au chômage en 2012. Les revenus tirés de la vente du pétrole leur ont permis de construire des villes ultramodernes au milieu du désert, en employant, leur main d’œuvre et  en faisant appel au savoir-faire d'entreprises étrangères et d'expatriés, qui composent plus de 75% de la force de travail des sociétés privées dans la région, souligne l'agence Bloomberg sur son site web dans un article daté du 8 mars. Les pays du Golfe font doivent, d’autre part,  stimuler l'entrepreneuriat local car ils ne peuvent plus employer dans le secteur public suite à la baisse des cours du baril de Bren.  « La chute des cours du pétrole pousse les pays du Golfe à booster l'entrepreneuriat », affirme Lélia de Matharel (mars 2015, in l’usine digitale.fr).

Conclusion évidente, Les pays du Golfe doivent s’habituer à un pétrole à bas prix affirment les experts.  « Ils vont devoir se réinventer rapidement s'ils ne veulent pas voir disparaître leur patrimoine financier » affirme BFM Businesse, 8 février 2020.

Les enjeux libyens : La Lybie, à l’instar de la Syrie et du Yémen, est devenue un champ de bataille entre les grands acteurs régionaux. Alors que Qatar et la Turquie, défendent le gouvernement Serraje, vu leur approche idéologique, en faveur de l’Islam politique, les Emirats et l’Egypte soutiennent le maréchal Haftar. Les richesses pétrolières lyciennes expliquaient les positionnements des acteurs internationaux. L’analyste doit prendre en compte, les positions opportunistes et les alliances en conséquence.  La Russie  et la France soutiennent Haftar. Par contre le Royaume Uni serait plutôt favorable au gouvernement Serraje. Les USA, inquiets de l’entrée en scène de la Russie, ont des positions mitigées, entre Haftar, le choix du cœur, qu’ils ont accueilli, pendant son exil et le gouvernement Serraje. La déclaration de l’ambassadeur américain confirme une certaine prise de distance. Tout en critiquant la participation de 2000 mercenaires russes, au combat avec Haftar et en demandant l’arrêt de son attaque de Tripoli,  il rappelle que le président Trump, a pris contact avec le maréchal Haftar et reconnu son rôle dans la lutte contre le terrorisme et sa sauvegarde des richesses pétrolières de Lybie. L’ambassadeur fait valoir une solution politique de la guerre civile (AL-Quds al-Arabi, 17 mai 2020). D’autre part, l’Italie cherche à garder ses avantages traditionnels. Bien entendu, ces positions sont rarement avouées. Il y a les discours et les faits, les relations underground et les déclarations publiques.

Que faut-il penser de la déclaration du Secrétaire général de l'Alliance Atlantique, qui a affirmé, le 14 mai 2020, dans une interview au quotidien italien La Repubblica.que l'OTAN est disposée à venir en aide au « gouvernement légitime » en Libye, estimant « qu'il n'est pas possible de mettre dans le même sac le gouvernement al-Sarraj, reconnu par l'ONU, et Haftar ». Il explique sa position, par l’appartenance de la Turquie à l’Otan.  Cette position serait plutôt diplomatique, non partagée par les principaux membres de l’Otan, qui ont, à maintes reprises, formulé des réserves sur la politique turque d’expansion. 

La réalité est d’ailleurs bien plus complexe, l’effondrement du pétrole est appelé à freiner l’intervention du Qatar et à redimensionner les intérêts de la Lybie. Par contre, l’alliance du gouvernement Serraje avec les milices terroristes, la mouvance islamique et son appui des mercenaires daéchiens, envoyés par la Turquie inquiètent le voisinage et les pays nord-méditerranéens. Une alternative politique serait-elle envisageable ?

Lybie, le statu quo tragique

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 13 au 27 mai 2020

 

La pseudo révolution libyenne, soutenue  militairement par l’Otan, exprimant  le jeu politique franco-britannique  a mis fin au régime de Kadhafi. Elle  annihila le pouvoir central et ses différents instruments, mettant à l’ordre du jour une guerre civile, confortant le retour au tribalisme. Deux pouvoirs se disputent désormais : le gouvernement du maréchal Haftar, à l’Est et le gouvernement Serraj, en Tripolitaine, otage de fait des milices armées, appuis de la mouvance islam politique. La  guerre civile se poursuit et annonce le démembrement du pays. La Lybie vit un statu quo tragique.

La Lybie victime du jeu régional : Les acteurs lybiens sont l’enjeu des puissances régionales et internationales. Le maréchal Hafter, soucieux de créer un Etat moderniste, optant pour une idéologie de progrès et d’ouverture est soutenue par l’Egypte et les Emirats. Il bénéficie de la compréhension de la Russie, de la France, de l’Italie et des Etats-Unis. Par contre,  le gouvernement Serraj, fait valoir sa vision islamique nostalgique. Il est de fait soutenu par Qatar, la Turquie et la mouvance islamique. La signature, le 27 novembre 2019, d’un  protocole "de coopération militaire et sécuritaire" entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et le chef du Gouvernement libyen d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj, lors d’une rencontre à Istanbul, affecte l’ordre libyen et maghrébin. Certes, les clauses n’ont pas été révélées. Mais il assure le soutien politique et militaire turc, aux autorités de Tripoli. Le président Erdogan reconnait, d’ailleurs,  l’aide turque apportée à Fayez al-Sarraj et sa volonté de  rééquilibrer la situation face aux forces de Khalifa Haftar, établis à l’est. Cette accord affecte la guerre civile libyenne et entrave la quête d’un accord.  D’autre part, Il confirme et développe la réactivation de la politique ottomane, au Maghreb et au Moyen-Orient. La Turquie confirme ses velléités d’envoyer des troupes de secours, pour soutenir le pouvoir de Serrage. Dans le cadre de cette stratégie, on évoque le transfert de terroristes daéchiens de Syrie en Lybie, avec leur possible introduction en Tunisie, en Algérie et bien au-delà. D’ailleurs, des observateurs affirment que la Turquie commença à ravitailler en armes et en munitions, le gouvernement Sarraj.

La guerre civile se perpétue. Tous les projets d’accord entre les belligérants ont échoué. Comment sortir de l’impasse  alors qu’ils veulent faire valoir militairement leurs positions ? Le maréchal Haftar et son rival Fayez al-Sarraj, chef du Gouvernement d’union nationale (GNA) se sont rencontrés en mai 2017 à Abu Dhabi. Tous deux avaient alors convenu d’organiser des élections avant fin 2019 et de la formation d’un nouveau gouvernement dans lequel le maréchal sera représenté. Cette rencontre est la deuxième entre les deux hommes depuis janvier 2016 et la désignation de Sarraj à la tête du GNA, installé à Tripoli (ouest) mais dont l'autorité n'est pas reconnue par l'homme fort de l'est du pays. Simultanément, la Libye se préparait à la tenue dans quelques jours d’une conférence nationale sous l’égide de l’ONU à Ghadamès (sud-ouest) censée établir une nouvelle feuille de route pour sortir le pays du chaos. L’initiative de l’émissaire de l’ONU pour la Libye, Ghassan Salamé, échoua. Ce qui suscita sa démission.

Le maréchal Haftar, se lança dans la dans la conquête de la tripolitaine. Ses partisans  pariaient sur une guerre éclair pour la conquête de Tripoli. Après dix jours de combats aux portes de la capitale, on se dirigea pourtant vers une longue guerre d’usure, comme en témoignent la prise puis la perte et la reprise de l’aéroport international par ses hommes. L’offensive d’Haftar a entraîné une réunification des forces islamistes et des milices qui soutiennent le gouvernement d’union nationale du Premier ministre Sarraj. Bien que fragmentées, ces différentes forces ont trouvé un consensus conjoncturel dans l’opposition au maréchal. L’intervention massive des forces dépêchées par la Turquie a assuré un rééquilibrage des rapports de forces. On est dans une phase d’enlisement.

Fait nouveau, lors d’une allocution télévisée, le 27 avril 2020, Khalifa Haftar s’est autoproclamé seul dirigeant de la Libye. Actant la mort de l’accord de Skhirat du 17 décembre 2015, le maréchal a décrété caducs les organes politiques associés : le gouvernement d’union nationale (GUN) de son ennemi Fayez al-Sarraj et le Haut Conseil suprême (l’équivalent d’une chambre haute législative) installés à Tripoli, ainsi que l’Assemblée du peuple (chambre basse), basée à Tobrouk, à qui il doit pourtant son grade militaire.  Aussitôt, il proposa une trêve dans la bataille de Tripoli, qu’il avait lui-même lancée le 4 avril 2019. Que faut-il en penser ? Points de négociations en vue. Dépendant du pouvoir ottoman, le gouvernement Serraj se plie à ses volontés. Le traitement politique de la question libyenne pourrait remettre en cause, ses velléités d’expansion.

La perception du conflit libyen par le voisinage : L’Egypte, l’Algérie et la Tunisie sont  directement concernés par la situation en Libye. Vu l’hostilité d’Erdogan, au président Sissi, l’Egypte craint le développement de cette alliance  turque avec un pays riverain. D’autre part, ses analystes estiment que l’accord permettrait d’établir des bases turques et confirmerait le stratégie de chantage d’Ankara qui  affecte  l’enjeu panarabe, que défend l’Egypte. L’Algérie et la Tunisie estiment que ce conflit est une menace directe sur leurs  frontières « L’attaque du site gazier d’In Amenas en janvier 2013 a été ainsi conduite par des djihadistes en provenance du territoire libyen…Par ailleurs, l’Algérie privilégie toujours la solution politique aux conflits, en s’appuyant sur les institutions comme les Nations unies ou l’Union africaine. » (Jean-François Daguzan , Chaos en Libye : mais que fait (et que veut) l'Algérie ? in Atlantico 3 avril 2020)D’autre part, Sabri Boukadoum, son ministre des affaires  étrangères, déclara, lorsque le parlement turc a approuvé le 2 janvier 2020, une motion permettant au président Recep Tayyip Erdogan d'envoyer des militaires en Libye pour soutenir le gouvernement de Tripoli. :  "L'Algérie n’accepte aucune présence étrangère sur le sol du pays voisin et cela quel que soit le pays qui veut intervenir… la langue de l’artillerie ne peut être la solution. Cette dernière réside dans un dialogue sérieux entre les belligérants avec l’aide des pays voisins, notamment l’Algérie", L'Algérie et la Libye ont une frontière commune longue de près de 1000 km…. La démarche turque qui vise à déployer des troupes sur le sol libyen internationalise la crise de fait et met l’Algérie devant le fait accompli".

En Tunisie, la crise lybienne suscite de vives inquiétudes. Il y a une alerte maximale à sa frontière avec la Libye. L’opinion publique semble partagée : Les modernistes estiment volontiers que Haftar peut constituer une frontière contre l’islamisme. Mais d’autres souhaitent vivement la victoire du gouvernement Sarraj. Cette situation explique la confusion du pouvoir politique : Allié d’Erdogan et par conséquent du gouvernement Serraj, Nahdha ne comprend pas les réserves du gouvernement et de la présidence de la république. De ce point de vue, la neutralité tunisienne relève plutôt du discours officiel. Cette situation  divergente explique les difficultés de l’intervention des pays du voisinage, en faveur d’une recherche de solution politique à ce statu quo tragique. Elle ne dépassa pas ses effets d’annonce.

 

Une vie politique au ralenti

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 14 mars au 28 avril 2020

 

Tout en asphyxiant l’économie, le Covid-19 a “transformé un mode de vie extraverti sur l’extérieur à une introversion sur le foyer, et mettant en crise violente la mondialisation” (Edgar Morin, Le Monde, Dimanche 19 avril 2020). Confinement, distanciation sociale, la vie chez soi  ne permet pas la vie politique, sociale par définition. Elle met à l’ordre du jour une gouvernance, sans participation effective. D’autre part, le traitement du Covid-19 et  la stratégie de prévention, qu’il nécessite, en vue d’éviter la contagion, constituent désormais l’action prioritaire, obsédante des gouvernements. Des analystes affirment que le contexte actuel enregistrerait la mise à l’épreuve du leadership américain et la crise de l’Union Européenne. Annoncés par la sortie du Royaume Uni, ses déboires furent marqués par sa critique des pays, qu’elle n’a pas soutenus, lors de la pandémie.

Les effets de l’effondrement du prix de pétrole : Des faits historiques marquants ont distingué la conjoncture de la pandémie de Coranavirus.  La baisse du prix du pétrole, «le nerf de la guerre», précipitée par la paralysie des transports,  introduit une révision, à plus ou moins brève échéance, des statuts des pays du Golfe, de l’Iran, de l’Irak, de l’Algérie, du Venezuela, de la Russie, du Kazakhstan et du Nigéria. Les guerres par procuration en Syrie, en Libye et au Yémen du “printemps arabe” ne pouvaient perdurer, vu l’affaiblissement des puissances internationales et régionales qui les ont engagées et leurs relais, à savoir la Turquie, les pays du Golfe et Hisb Allah. Le coronavirus pourrait avoir un effet inédit, celui de faire taire les armes. Au Yémen, qui vit la guerre depuis cinq ans, la coalition emmenée par les Saoudiens vient de demander un cessez-le-feu. Ce conflit oppose la coalition aux rebelles Houthis, soutenus par l'Iran. Il a fait au moins 100 000 morts. L'épidémie de coronavirus va donc provoquer l'arrêt des violences dans l'un des pays les plus pauvres du monde.  A plus ou moins longue durée, les pays arabes libérés de leurs tuteurs, feraient valoir leurs autonomies. En tout cas, ils auraient plus de marges de manœuvres.

La redynamisation de la contestation populaire : Les contestations populaires en Algérie et au Liban, qui ont cessé, dans contexte du confinement, viennent de reprendre. Mais comment concilier les exigences de la crise économique et la contestation populaire ?

Le 17 avril, en Algérie, les manifestants ont remis à l’ordre du jour les manifestations hebdomadaire du vendredi, demandant le départ des hommes de l’ancien régime. Or, l’Algérie, touchée par l'épidémie et soumise au confinement, s'inquiète également de l’effondrement des prix du pétrole et du gaz et par la chute vertigineuse des exportations  des hydrocarbures, qui représentent 90% des recettes d'exportation du pays. Avec un baril oscillant entre 22 et 33 dollars depuis le 30 mars 2020, les réserves monétaires du pays s’épuisent rapidement, alors que la Loi de finance 2020 tablait sur un prix du pétrole autour de 50 dollars. Problème du jour préoccupant, comment sortir de la dépendance aux hydrocarbures.

Le Liban avait connu le 17 octobre 2019 un vaste mouvement de contestation, qui a vu certains jours des centaines de milliers de personnes mobilisées à travers tout le pays, pour crier leur ras-le-bol et réclamer le renouvellement de la classe politique, accusée de corruption et d'incompétence. Alors que ces derniers mois le mouvement s'est essoufflé, des centaines de personnes ont manifesté, le 17 avril,  dans la ville de Tripoli,  Des échauffourées ont éclaté entre des contestataires et l'armée, qui a répondu à des jets de pierre par des tirs de gaz lacrymogènes.   Les contestataires étaient mobilisés sur la place Al-Nour, épicentre des manifestations à Tripoli (nord). Ils sont restés même après l'entrée en vigueur à 19H00 (16H00 GMT) d'un couvre-feu imposé par le gouvernement pour enrayer la propagation de la maladie du Covid-19. Les manifestants ont scandé des slogans dénonçant le gouvernement mais aussi les banques et le gouverneur de la Banque centrale. Or, le Liban connaît depuis des mois sa pire crise économique depuis la fin de la guerre civile (1975-1990), marquée par une forte récession, une fonte des réserves en devises étrangères et une dépréciation de la monnaie nationale ayant entraîné une forte inflation. Le Liban croule sous une dette de 92 milliards de dollars, soit 170% du PIB, l'un des taux les plus élevés mondialement. L'Etat a annoncé en mars son premier défaut de paiement dans l'histoire. En 2020, l'économie devrait connaître une contraction massive de 12%, selon le Fonds monétaire international (FMI). Les autorités planchent actuellement sur un plan de redressement.

Tunisie, le statu quo : La vie politique semblait bloquée, en dépit de la poursuite de l’action parlementaire. Quelques jours avant le confinement, Nida Tounes a renouvelé son bureau, sous la direction de l’ancien ministre des Affaires Etrangères Khemais Jinnaoui. Mais cette composition hétéroclite semble peu convaincante. Crée par Si Béji Caïd Essebsi, ce parti peine à lui survivre. D’autre part, l’actuelle équipe n’a pas identifié sa vision d’avenir, optant pour une attitude consensuelle en faveur d’un compromis général.

La vie parlementaire vient, d’autre part, d’être marquée, par une mobilisation du parti Qalb Tounes, contre le parti destourien. Acte gratuit, l’insulte vulgaire de la secrétaire générale de ce parti, par un dirigeant de Qalb Tounes, porte davantage tors à son auteur, en le définissant. Comment expliquer cette dérive. S’agit-il d’une velléité de plaire au parti Nahdha ?  Cette thèse ne serait pas convaincante. Des observateurs expliqueraient cette initiative par le sondage, qui a fait valoir une éventuelle réussite électorale du Destour, en égalité avec Nahdha. Ce qui annoncerait l’échec de Qalb Tounes et des différents partis de la mouvance centrale.  

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Les épidémies, une plongée dans l’histoire et des visions d’avenir

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 14 mars au 28 avril 2020

 

Les épidémies  ont affectés régulièrement les pays du Maghreb et les ont dévastés. Elles marquèrent les mémoires, vu le nombre des morts et bien entendu, leurs effets sociaux-économiques.  Redoutées, elles ont suscité des stratégies de prévention, inscrivant la quarantaine, dans leurs vies quotidiennes. Prenons, comme exemples, les épidémies de peste de 1348, au moyen-âge, de 1818-1820 dans les temps modernes et l’épidémie-fiction d’Albert Camus, à Oran, dans l’ère contemporaine, en 1947.

Ibn Khaldoun, l’épidémie de la peste de 1348 : “Une peste terrible vint fondre sur les peuples de l'Orient et de l'Occident ; elle maltraita cruellement les nations, emporta une grande partie de cette génération, entraîna et détruisit les plus beaux résultats de la civilisation. Elle se montra lorsque les empires étaient dans une époque de décadence et approchaient du terme de leur existence ; elle brisa leurs forces, amortit leur vigueur, affaiblit leur puissance, au point qu'ils étaient menacés d'une destruction complète. La culture des terres s'arrêta, faute d'hommes; les villes furent dépeuplées, les édifices tombèrent en ruine, les chemins s'effacèrent, les monuments disparurent; les maisons, les villages, restèrent sans habitants ; les nations et les tribus perdirent leurs forces, et tout le pays cultivé changea d'aspect… Il me semble que la voix de la nature, ayant ordonné au monde de s’abaisser, de s’humilier, le monde s’est empressé d’obéir” (Ibn Khaldoun, al Mouqadima, Tunis, 1332- Le Caire 1406).

Ibn Abi Dhiaf, l’épidémie de la peste (1818-1820) : “L’épidémie de la peste se déclara dans la capitale, en aout 1818. Le médecin musulman d’origine européenne Rejeb fut le premier à s’en rendre compte. Lorsqu’il informa le bey (Mahmoud Bacha), le bey ordonna de le battre et de l’arrêter, comme les criminels. Il subit l’épreuve, en raison de sa science. Mais l’information se propagea. De nombreux notables, parmi les hommes de sciences moururent. Le nombre de morts atteint, dans la capitale plus de mille. La pesta dura prés de deux ans….

Elle suscita une divergence entre les hommes. Certains estiment qu’il fallait éviter les rencontres, par l’usage de la quarantaine, position de Mohamed Beyram, adoptant le point de vue d’Omar Ibn al-Khattab (le deuxième calife). D’autres étaient hostiles à  ce confinement, estimant qu’il fallait se soumettre au cours du destin, que le confinement ne peut arrêter, position du savant  Abdallah Manai. Chacun d’eux rédigea un traité, confortant sa position, par des textes du fikh … Cette peste marqua  le premier recul que la régence a subi, après la mort de Hammouda Bacha. En effet, la régence perdit plus de la moitié de ses habitants. Tous les champs restèrent incultes”. (Ibn Abi Dhiaf, Ithaf ahl azzaman, bi Akhbar moulouk tounes wa  ahd al-aman, édition ministère de la culture, 1999, t. 3, pp. 127- 129, traduction personnelle).

Albert Camus, la peste de 1947 : le livre la peste  d’Albert Camus, qui met sens dessus dessous la cité algérienne d'Oran est une fiction, plutôt une allégorie de la guerre en 1947. Au-delà du confinement, de l’exil, de la peur, “les prisonniers de la peste” subissaient l’inégalité et l’impartialité : “ La spéculation s’en était mêlée et on offrait à des prix fabuleux des denrées de première nécessité qui manquaient sur le marché ordinaire. Les familles pauvres se trouvaient ainsi dans une situation très pénible, tandis que les familles riches ne manquaient à peu près de rien. Alors que la peste, par l’impartialité efficace qu’elle apportait, aurait dû renforcer l’égalité chez nos concitoyens.  Au contraire, par le jeu normal des égoïsmes, elle rendait plus aigu dans le cœur des hommes le sentiment de l’injustice”. Cette donne suscitait la révolte. “Un mot d’ordre avait fini par courir … « Du pain ou de l’air. » Cette formule ironique donnait le signal de certaines manifestations vite réprimées, mais dont le caractère de gravité n’échappait à personne” (Albert Camus, Gallimard, 1947).

Au-delà de l’événement : Serait-on en mesure d’identifier les effets de la pandémie ? Les conséquences conjoncturelles sont évidentes : l’humanité confortée à une peur existentielle globale, la fermeture des frontières et l’égoïsme national, en conséquence. Dans l’aire arabe et le Moyen-Orient, on note une atténuation du conflit Arabie/Iran, un blocage des contestations populaires en Algérie, au Liban et en Irak, une redimensionna des crises du Yémen, de la Syrie et de la Lybie, suite à l’arrêt du jeu politique des pays du Golfe, de la Turquie et des puissances.

Mais quelles seraient les conséquences à long terme ? De nombreux analystes  annoncent un nouvel état d’organisation du monde et des États. On parla volontiers de l’institution d’un nouvel ordre mondial. Il serait marqué par la promotion de la Chine, comme première puissance, le recul des USA et la mise à l’épreuve de l’Union Européenne. L’analyste Khattar Abou Dhiab, qui prit en compte cette éventualité, remarqua qu’il  “serait difficile d’avoir une vision globale du monde post-corana (A-l’Arabe, les horizons des conflits géostratégiques, suite à la crise de corana. 28 mars 2020). Cyrille Bret évoque cette éventualité avec des réserves. “L a Chine, de bouc émissaire, s’érige en médecin du monde”.  D’autre part, il estime que le monde d’après le Covid-19 “sera suspendu à cette énigme américaine”. Le Covid-19 “ bouleverse d’ores et déjà les relations internationales, les rapports de force et les positions relatives des acteurs en présence. La crise affaiblira durablement les États déjà affaiblis, sur le plan budgétaire et sur le plan politique. L’Italie, l’Espagne, bientôt la Grèce et le Portugal ressentiront à nouveau cruellement leur dépendance à l’égard de l’Europe du Nord. De même, en Asie, la superpuissance chinoise pèsera sur la sortie de crise de tous les États qui dépendent déjà d’elle  … ” (Après la crise du Covid-19 : quels gagnants et quels perdants ?, la conversation .com, 6 avril).  Tout en affirmant que le Covid 19, incubateur stratégique du monde à venir, la revue Vigie estime  qu’il est “ bien trop tôt pour savoir ce qui va advenir des rapports de force à venir et de la hiérarchie des acteurs qui vont compter demain ”.(27 avril 2020).

Bien entendu, les grandes crises mondiales peuvent certes créer une rupture. Mais elles agissent souvent comme “des accélérateurs des tendances à l’œuvre”. Elles précipiteraient les mutations dans la dynamique interne et les rapports mondiaux. . Des changements qui se sont déjà signalés, depuis le début du vingtième siècle, prennent de l’ampleur, faisant valoir de nouvelles positions de forces.

Mondialisation, démondialisation Le choc épidémique …!

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 1 au 14 avril 2020

 

Après le coronavirus, il y aura des changements profonds, c'est la règleQuand l'épidémie sera terminée, on constatera que l'on aura dépoussiéré d'anciennes valeurs qui nous serviront à mettre au point une nouvelle manière de vivre ensemble” (Boris Cyrulnik,  France Inter, 16 mars 2020).  La mondialisation semblait être un processus irréversible. Le village monde  devenait une réalité.  Or, la pandémie actuelle  mt à l’ordre du jour une fermeture de frontières  une politique de repli. Ne risquerait-elle pas d’instituer la démondialisation ? Quels seraient les effets de cette pandémie ?

Les différents aspects de la mondialisation : la mondialisation, c’est l'échange généralisé entre les différentes parties de la planète, l'espace mondial étant alors l'espace de transaction de l'humanité” (Olivier Dollfus, La Mondialisation, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1997, 167 p.). Phénomène historique, puisque le développement des relations entre les peuples est fort ancien. Pendant le Siècle des Lumières, la diffusion de la presse, l'industrialisation et la colonisation ont entraîné des bouleversements, que Montesquieu analyse en ces termes : “Aujourd'hui nous recevons trois éducations différentes ou contraires : celle de nos pères, celle de nos maîtres et celle du Monde”. 

La grande nouveauté de la mondialisationn, fin XXe siècle, est la mise en place de technologies de l'information (TIC), en sources ouvertes ou fermées, à l'échelle mondiale, centralisées, via l'avènement de l'internet,  les réseaux sociaux et le mobile. Conséquences de cette mutation technologique, une plus grande internationalisation des marchés de capitaux. Ce mouvement qui s'était déjà accéléré dans les années 1960 et 1970, s’est traduit par la circulation des capitaux circulant sans l'intermédiation des banques, l'établissement de marchés financiers intégrés au niveau international, la financiarisation et le développement des entreprises multinationales et transnationales.  La diffusion de l'informatique grand public, le phénomène Internet  et les réseaux sociaux ont permis un accès pratiquement instantané à l'information.

Citons, d’autre part, le phénomène migratoire. En 2002, les États-Unis accueillaient le nombre d'immigrants le plus important de son histoire. En 2020 environ 3,5 % de la population mondiale vivent en dehors de leur pays d'origine. C'est environ 250 millions de migrants qui ont quitté leur pays d'origine, sur 7,7 milliards d'habitants dans le monde. La plupart des migrants vont dans des pays proches. Le tourisme participe également à ce phénomène de la mondialisation.

Mais la mondialisation suscite de plus en plus des critiques : En 1992, dans La fin de l’histoire et le dernier des hommes, Francis Fukuyama affirme que “ la nation va disparaître et que la technocratie et le marché vont gouverner seuls un monde pacifié dans le vivre-ensemble planétaire” (The End of History and the Last Man, Francis Fukuyama 1992. Nouvelle édition précédée d’un entretien avec Hubert Védrine, éd. Flammarion, Champs essais-Philosophie, mars 2018). Or, on se rend compte  que “ la « mondialisation heureuse», régie par la technocratie et le marché, est désormais une idée du passé” (Intervention d'Alexandre Devecchio, journaliste au Figaro, 3 décembre 2019cité  par Res publica, 3 décembre 2019). On constate, en effet, que  la mondialisation suscite des inquiétudes, vu l’hégémonie qu’elle permet aux puissances et aux sociétés multinationales : “La mondialisation prétendument heureuse mène à tout le contraire d'une société mondiale ; elle transforme le monde en une arène où des sociétés atomisées s'affronteront dans une guerre qui ne restera sans doute pas simplement commerciale” (Dominique Méda - Qu'est-ce que la richesse ? 1999 in http://www.toupie.org).  Autre analyse critique : “La mondialisation est une interférence, sans solidarité” (Edgar Morin, L’Obs, 18 mars 2020).

La mondialisation et le choc épidémique : Nous serions dans l’ère post-coranavirus. Le COVID-19  a été identifié pour la première fois le 31 décembre en Chine. Deux mois et 13 jours plus tard, le virus s’est propagé, à travers le monde,  conséquences de la mondialisation. Les principaux pays affectés sont la Chine, la Corée du Sud, l’Iran, l’Italie, l’Espagne et la France. L'Europe est devenue "l'épicentre de la pandémie, selon l'OMS. Des cas sont signalés partout ailleurs. La plupart des pays touchés par le virus sont confinés et vivent leurs quarantaines. “Pour s’en sortir, il faut s’enfermer” affirment un jour le journal humoristique français (Le Canard enchainé, 18 mars 2020). Outre le repli nationaliste, les pays coupent la chaine de transmission et ferment leurs frontières. Donald Trump, qui avait déjà décidé d'interdire les vols depuis la Chine,  a annoncé, dés 11 mars,  la fermeture des frontières aux Européens. Il a trouvé un parfait bouc émissaire à la crise aux États-Unis" (analyse de la journaliste Agnès Vahramian). Dans la foulée, l’Amérique Latine s’isole,  pour endiguer le coronavirus. En Europe, la Pologne, le Danemark et la Tchécoslovaquie, ont fermé leurs frontières aux étrangers. L'Autriche a mis en œuvre la quasi-fermeture de sa frontière avec l'Italie en instaurant des contrôles rigoureux, dans le sud du pays, aux points de passage. Fermeture des frontières de l’Egypte, imposition, en Tunisie de la mise en quarantaine de 14 jours à toute personne arrivant de l’étranger sans exception, En Cisjordanie, les séjours touristiques sont interdits. Les  visas sont annulés et les bateaux sont interdits en Inde. Partout les gouvernements imposent la quarantaine partielle ou complète. La géopolitique de la peur semblerait mettre à l’ordre du jour la démondialisation.

Avis opposé et voix isolé, mais d’avant-garde ; Jacques Attali, ce prêtre du mondialisme, voyait dans une « pandémie » le moyen d’instaurer un gouvernement mondial, une police mondiale et une fiscalité mondiale. Faisant valoir ses vues exprimées dés 2019, il les conforte par l’évocation de la pandémie actuelle, comme le facteur de cette donne : “ La pandémie qui commence pourrait déclencher une de ces peurs structurantes ”, car elle fera surgir “ mieux qu’aucun discours humanitaire ou écologique, la prise de conscience de la nécessité d’un altruisme, au moins intéressé”. En conclusion, il rappelle que “c’est d’ailleurs par l’hôpital qu’a commencé en France, au XVIIe siècle, la mise en place d’un véritable Etat”.

Conclusion : La fermeture des frontières mettrait ainsi en cause la mondialisation. Mais ses fonctions essentielles : financement, échanges, libre circulation des circulations se poursuiveraient. Elles seraient vraisemblablement ralenties par la vie chez soi, l’auto-isolement des sociétés et des pays. Mais les effets de la révolution de l’information : services internet, réseaux sociaux et mobiles ne peuvent être affectés. Ils continueront à permettre la proximité des régions distantes. De ce fait la démondialisation, dans ses aspects concernant la fermeture des frontières ne peut qu’être passagère, conjoncturelle, répondant à une obligation temporaire. Trop d’intérêts sont en jeux. Ils assureraient plutôt le développement de la mondialisation.

Turquie, la guerre tous azimuts…!

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 18 mars au 1er avril  2020

 

Fut-elle une puissance régionale, la Turquie marque désormais l’actualité dans l’aire arabe. Confirmant son discours idéologique, le faisant valoir, par sa défense de l’islam politique, elle constitue un acteur sur le terrain militaire, en Syrie e en Lybie. Membre de l’Otan, depuis 1952, elle avait opté pour une politique pro-occidentale, en tant que gendarme des USA, face à l’URSS.  Dans cette stratégie, elle fit partie du pacte de Bagdad, avec l’Irak, l’Iran, le Pakistan, les USA et le Royaume Uni. Comment expliquer la révision de sa politique modérée et apaisée et ses prises d’initiatives interventionnistes et même militaires ?

La Revanche de l'Histoire ?  La Turquie veut désormais prendre sa revanche de l’histoire : Pour expliquer cette nouvelle stratégie turque, nous adoptons la problématique de Bruno Tertrais, qui montre que le passé reconstruit, mythifié peut constituer un facteur important de construction de l’événement présent, D’anciennes passions ressurgissent. Or, plus le passé est instrumentalisé, plus les risques de conflits augmentent (Bruno Tertrais, la revanche de l’histoire, Odile Jacob, 2017).

 En effet, l'Empire ottoman, au XVIe siècle, était au faîte de sa puissance. En 1517, l’Empire mamelouk s’effondre et l’Égypte, ainsi que la Syrie et la Palestine passent sous le joug ottoman. D’autre part, les corsaires ottomans conquièrent ensuite la Libye et l’Algérie, puis prennent la Tunisie aux Espagnols. Seul le Maroc résiste à la pression ottomane. Mais la donne a changé au XVIIIe siècle. Considérée comme “l’homme malade” de l’Europe, la Turquie dut son salut et échappa au partage, grâce au désaccord entre les puissances de l’époque, puisque la Grande Bretagne défendait l’intégrité de l’empire ottoman, pour éviter une entrée de la Russie, en Méditerranée. Mais la Turquie gardait, tant bien que mal, son aire de tutelle, au Moyen-Orient. En Algérie, la junte turque gouverna le pays, jusqu’à son occupation, en 1830. En Tunisie, le pouvoir ottoman était plutôt symbolique. Situation similaire en Lybie, où la dynastie des Karamanly bénéficiait d’une autonomie de fait, jusqu’à l’abdication du beylerbey Yousouf, en 1832. Mais l’occupation mit fin à la domination ottomane. Au Moyen-Orient, les Turcs exerçaient une domination directe. Leur gouvernance suscitait le mécontentement de la population. A l’issue de la première guerre mondiale, l’Empire, ayant perdu la guerre, est totalement démembrée. Ses provinces arabes sont notamment partagées entre les Français et les Britanniques, qui obtiennent de la Société des Nations des mandats, les premiers sur la Syrie et le Liban, les seconds sur l’Irak, la Palestine et la Transjordanie. 

Fait évident, à l’instar des accords de la fin de la première  guerre mondiale,  qui ont nourri le sentiment de revanche allemand, exploité par le régime nazi, la revanche de l’histoire explique, dans une large mesure, la nouvelle stratégie ottomane. Elle nourrit ses nouveaux discours idéologique ; une réactivation de l’ottomanisme, servie par l’idéologie de l’islam politique, les velléités de restaurer le califat et faisant valoir le culte du chef, au profit du président Erdogan. De fait, le discours moderniste de Mustapha Kamel est occulté, plutôt fossilisé ou du moins laissé aux vestiaires, puisque le pouvoir évite de le mettre officiellement en question.

Les différents aspects de l’interventionnisme turc : La Turquie a instrumenté le printemps arabe et engagé son action en Syrie et en Libye, tout en prenant position contre le régime égyptien, qui a mis fin au pouvoir des Frères musulmans et en essayant d’encourager les mouvances de l’islam politique, partout ailleurs.

L’intervention en Syrie : L'offensive lancée mercredi 9 octobre 2019, par la Turquie dans le nord-est de la Syrie, soi-disant pour battre les forces kurdes, prolonge la nuit syrienne et confirme sa stratégie d’expansion. L’accord entre Poutine et Erdogan, annonça  une  pause (Sotchi, 22 octobre 2019). Soucieux de réaliser l’intégrité de son Etat, Bachar Al-Assad lança, depuis décembre 2019, une offensive contre  les rebelles et les djihadistes, occupant cette région, avec le soutien de son allié russe, et ce malgré les menaces de représailles des troupes turques, occupant la région et soutenant les rebelles. Escalade brutale entre la Turquie et le régime syrien : Au moins 33 soldats turcs ont été tués, jeudi 27 février 2020, dans des raids de Damas sur la province. L'armée turque a immédiatement annoncé, dimanche 1er mars, l’opération  “bouclier du printemps” et commença le bombardement de plusieurs positions du régime de Bachar Al-Assad. Moscou bloqua l’intervention militaire de la Turquie (entretien Poutine et Erdogan , Moscou, 5 mars 2020). Trêve et statuquo à Edlib. Mais, à plus ou moins brève échéance, la Turquie retirera vraisemblablement ses troupes de Syrie.

L’intervention en Lybie : La Turquie risquerait-elle d’ouvrir un champ de bataille en Afrique du Nord ? La signature, le 27 novembre 2019, d’un  protocole "de coopération militaire et sécuritaire" entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et le chef du Gouvernement libyen d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj, lors d’une rencontre à Istanbul, affecte l’ordre libyen et maghrébin. Certes, les clauses n’ont pas été révélées. Mais il assure le soutien politique et militaire turc, aux autorités de Tripoli, proche des islamistes. Le président Erdogan reconnait, d’ailleurs,  l’aide turque apportée à Fayez al-Sarraj et sa volonté de  rééquilibrer la situation face aux forces de Khalifa Haftar, établis à l’est.

De fait, la Turquie commença à ravitailler en armes et en munitions, le gouvernement Sarraje. Son intervention peut certes compliquer la situation en Lybie, prolonger la guerre civile et retarder le traitement de la crise. D’autre part, elle confirme et développe la réactivation de la politique ottomane, au Maghreb. Mais, vu l’attachement de ses populations à leur indépendance nationale, elle serait vouée à l’échec. Face à l’Egypte, la Turquie ne peut dépasser les discours de surenchères, évitant toute ambition militaire.

Conclusion : Une réactivation de l’ottomanisme apparait, dans les conditions actuelles, comme une utopie. Le nationalisme arabe ne peut s’en accommoder. La Turquie peut certes œuvrer pour la stabilisation des Etats arabes. Elle peut susciter des crises. Mais elle ne peut accomplir une politique d’expansion. Fait évident, ses déboires ont suscité le mécontentement de ses populations. La morts de leurs soldats, dans une guerre hors frontière les inquiètent. D’autre part, les intellectuels voient avec méfiance ces aventures d’un autre temps : un projet de colonisation coexistant avec une politique d’apartheid, vis-à-vis des kurdes. Fait certain, ni les puissances internationales, ni les puissances régionales ne peuvent admettre la remise en cause de l’ordre dominant.

 

Le spectre et le sceptre …!

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 04 au 18 mars 2020

 

La lecture des indicateurs économiques et sociaux atteste la gravité de la crise que vit la Tunisie : un développement économique bloqué, une forte inflation et une chute du dinar, qui affecte le pouvoir d’achat, un endettement qui annonce une mise en dépendance, un chômage qui affecte la jeunesse diplômée. Tous ses aspects expliquent le pessimisme des analystes et le désespoir des citoyens. Face à ce spectre, les acteurs politiques, n’ont pas encore pris en compte les attentes du citoyen.

Vers une gouvernance présidentielle : Peut-o, parler d’un sceptre, dans un régime post- révolution qui a adopté un régime quasi parlementaire ? Le chef du gouvernement assure l’essentiel du pouvoir, à l’exception de la défense et des affaires étrangères, dont le choix de leurs ministres relève des prérogatives du président de la république. Mais les aléas de la politique ont mis à l’ordre du jour une donne conjoncturelle, qui semble faire valoir de nouveaux rapports de forces. Dans son discours de campagne, le président de la république Qais Said a annoncé qu’il serait à l’écoute de la rue : Face  au pouvoir, sans vision d’avenir et sans programmes  et monopolisé de fait, par les acteurs politiques du laisser faire, il a fait valoir une vision alternative, assurant la promotion de la jeunesse et les revendications populaires : “le peuple veut” constitua son slogan. Son choix du chef de gouvernement, après l’échec de Habib Jomni, candidat de Nahdha, semblait élargir de fait ses compétences : Des analystes parlent du “ministère du président ”, vu les consultations régulières d’Eliyas Fakhfakh avec le président, se comportant, selon certains comme un simple “premier ministre ”.

Suite à la décision de Nahdha, le 14 février  de s’opposer au gouvernement et de retirer ses membres, proposés comme ministres par  Eliyas Fakhfakh, le chef de l’Etat a informé solennellement le président de Nahdha, le 17 février, qu’il dissoudrait le parlement, en cas de non-investiture du gouvernement Fakhfakh. Sa leçon constitutionnelle aurait été, selon un observateur, “le premier acte significatif” du président. Confirmant cette initiative, le Président de la République, affirma, en recevant le chef du gouvernement qu’il a désigné : “La Tunisie a un seul président”, affirmant son leadership (déclaration du 20 février 2020).   Réaction de son interlocuteur, le président de  Nahdha déclara le 22 février : “l’ère du pouvoir central est terminé. Ce qui ne signifie pas le fractionnement du pouvoir” (déclaration à la conférence, des chefs de bureau de Nahdha, à Sousse). Néanmoins, Nahdha prit acte de la volonté présidentielle et accepta des mesures de consolation, abandonnant sa revendication d’un gouvernement d’union nationale, intégrant Qalb Tounes, son allié conjoncturel. Elle dut revenir à l’alliance gouvernementale avec ses ennemis idéologiques Tayar et Chaab.

De fait, une confrontation se profile entre   Qais Said, le Président de la république et Rached Ghannouchi, le président de Nahdha et du parlement. Elle pourrait être difficilement différée. Le Président de la république, favorable à une démocratie directe, était contrarié par le régime parlementaire et hostile au système des partis. L’annonce, le 22 février, de la création d’un nouveau parti, appelé “le peuple veut”, reprenant le slogan du président de la république, annoncerait une éventuelle recomposition de la scène politique, érigeant Qais Said, en concurrent effectif sur la scène politique.

Crise sociale et spectre de l’explosion  populaire : Les attentes sociales érigent en urgence le redressement économique, la lutte contre la faim, le développement des régions défavorisées, la promotion de la jeunesse et la lutte contre la corruption. Le nouveau gouvernement partage et fait valoir ce diagnostic. Il l’inscrit dans les priorités du document contractuel avec les partis. Mais il ne transgresse pas les faits d’annonces puisqu’il ne présente pas les mécanismes et le timing de sa mise en action.  Fait évident, l’absence d’un leadership, dans le pouvoir et l’opposition. Le populisme a remis en cause les leaders d’opinion. Or “c’est dans le vide de la pensée, que s’inscrit le mal” (Hannah Arendt,

Le nouveau gouvernement devrait “agir dans la rupture”, selon la recommandation de l’analyste Habib Karaouli (entretien, al-Hiwar Attounsi, 21 février). Occultant cette exigence, dans le cadre d’une gouvernance traditionnelle et d’un laisser faire - continuité du gouvernement Chahed -, il ne peut sortir le pays du tunnel. Son sort serait celui des “Danaides, condamnés aux enfers, à remplir sans fin, un tonneau sans fond”. Or, le peuple ne peut plus attendre.

Le chef du gouvernement Elias Fakhfakh a,  certes, trouvé chaussure à ses pieds. Mais il dispose d’une majorité conjoncturelle et donc précaire. Il est en équilibre instable. Investi, pour éviter la dissolution du parlement, il risque d’être écarté dans le court terme, pour  permettre une nouvelle répartition des charges ministérielles, entre les partis, à moins qu’une explosion sociale, ne change la donne et n’établisse des nouveaux rapports de forces, par un éventuel soulèvement de la rue, inscrivant dans les faits le slogan “le peuple veut”.

Show politique et attentes sociales !

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 19 février au 04 mars 2020

 

“La révolution” tunisienne a fait valoir la volonté de changement. Mais la convergence entre le combat contre la précarité  et la revendication des libertés de ses différents acteurs était illusoire. Or, l’inaptocratie, à savoir  l’inaptitude  des gouvernements post-évolution de 2011à nos jours,  a mis à l’ordre du jour cette convergence. Les attentes sociales ont été occultées. La dégradation du pouvoir d’achat constitue  désormais l’actualité du pays, bien davantage que l’affirmation des libertés. Le panier de la ménagère traduit le vécu quotidien, en général et affecte les classes laborieuses qui ont désormais été rejoints dans leur mal de vivre par la classe moyenne. Or, rien, ni personne ne semble aujourd’hui en mesure d’arrêter le développement de la crise.Mais qu’ont-ils fait tous, pour qu’on arrive là ? Faut- il revenir au diagnostic de la crise économique tunisienne par les experts ? L’endettement, l’inflation, la chute du dinar, la dégradation de la balance commerciale constituent-ils des causes ou des conséquences ?

Le traitement de la crise exige une meilleure connaissance de sa genèse. Dissipons cette contrevérité. Il ne s’agit pas d’une simple conséquence de la révolution. Mais l’état d’esprit post-révolution contribua à son développement. Laboratoire du populisme, l’Amérique latine, explique ainsi ce cycle, qui se répète comme une névrose : “A chaque fois, une relance budgétaire inconsidérée produit une détérioration de la balance des paiements, une chute du change, une inflation galopante et un effondrement de la production ” (Daniel Cohen, « il faut dire que les temps ont changé », chronique (fiévreuse d’une mutation qui inquiète, Editions Albin Michel, 2018). Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la Tunisie post-révolution a engagé “une relance économique inconsidérée ”. La troïka a intégré massivement dans la fonction publique et a effectué un important budget de compensation aux islamistes libérés, leur servant des retraites conséquentes. D’autre part,   les gouvernements post-2011 vont “acheter la paix sociale : l’Etat a embauché massivement” rappelle l’analyste d’ICG. La masse salariale de la fonction publique passe de 7 milliards de dinars (2,35 milliards d’euros) en 2010 à 15 milliards en 2018.

Dans ce contexte, les citoyens ont multiplié leurs exigences, revendiquant des augmentations de salaires alors que les chômeurs ont effectué des sit ing, pour faire valoir leurs demandes d’emploi. Ce qui explique d’ailleurs le blocage de l’extraction du phosphate, la fermeture de nombreuses usines, alors que l’idéologie du parti au pouvoir a favorisé, par choix idéologique,  l’ouverture du marché national à certains pays, ruinant les industries textiles,  

Présentant comme une ordonnance médicale, des politiciens ont évoqué la nécessité d’engager une  “transition économique ”.  Ce qui n’a aucune signification. La disparition de l’économie totalitaire, dans les régimes communistes, a mis à l’ordre u jour cette stratégie, pour restaurer le capitalisme, privatiser les entreprises nationales et les banques, dans le cadre du retour à l’humanisme libérale. En Tunisie, puisque qu’on a opté pour une “révolution conservatrice. Le libéralisme économique domine désormais : C’est l’ère du marché libre et même du marché parallèle, dans le cadre d’un développement underground. Constat du secrétaire général de l’UGTT : “Le pauvre est devenu plus pauvre, le riche, plus riche, dans un pays qui s’est confié aux contrebandiers, aux spéculateurs et aux responsables corrompus” (discours à l’occasion de l’anniversaire de la révolution, 14 janvier 2020). La satisfaction des attentes sociales exigerait une politique sociale, sinon un retour à l’Etat-providence.

Se préoccupant  de la répartition des charges - “le partage du butin”, selon un des adversaires – le nouveau gouvernement ne semble pas accorder la priorité  aux questions socio-économiques, à la lutte contre la pauvreté et à l’amélioration du pouvoir d’achat,  exigences  essentielles des citoyens. D’autre part, le programme gouvernemental ne met à l’ordre du jour ni un nouveau modèle de développement, ni un nouveau projet de société.  

Le peuple veut ” fut le slogan de campagne du président. Il fait valoir les vœux de la population : promotion des jeunes, développement des régions défavorisées, question de l’emploi.  Mais ces programmes n’ont pas encore dépassé les faits d’annonce.  Fait évident, le président  n’a pas les moyens de sa politique.  Réussira-t-il à jouer le rôle de “démineur”, pour relancer l’action gouvernemental et mettre fin au statu quo du “laisser faire”  et du blocage que la société tunisienne subit ?

Au-delà du stand-by

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 05 au 19 février 2020

 

On est dans le flou, l’imprévu, sinon l’inattendu. La Tunisie est en stand-by, en situation d’attente. Après l’échec de Habib Jemli et  usant de son pouvoir discrétionnaire, que lui confère la constitution, le président Kais Said a chargé Elias Fakhfakh de former le gouvernement. Le chef du gouvernement nominé n’a ni assises parlementaires, ni représentation au parlement. D’autre part, le retour de ce ministre de la troïka suscite de l’inquiétude. Comment peut-il éviter le scénario de l’échec, qui a marqué ses deux précédentes gestions gouvernementales ? Pouvait-il faire du nouveau avec du vieux ? Ultime exigence, définir une vision d’avenir, pour ouvrir de nouvels horizons.

Quel programme mettrait-il à l’œuvre ? Formerait-il un gouvernement de continuité ou de rupture ? Les élections présidentielles ont affirmé le dévoilement de la fausse conscience de la classe politique et rappelé les attentes des citoyens. Le président de la République et le chef du gouvernement nominé ont promis d’en tenir compte. Des politiciens parlent du gouvernement de la dernière chance, avant même de connaitre  son programme. Recommandation du président, il faut accorder la priorité  à “la question socio-économique, aux services de l’éducation et de la santé, à l’emploi et à la fidélité à la jeunesse” (entretien du président, la télévision nationale, 30 janvier 2020). Ce qui atteste le souci du président d’être à l’écoute du peuple et de faire valoir ses volontés.

Le programme annoncé par le chef du gouvernement nominé fait davantage valoir les valeurs (discours du 31 janvier). Ses priorités : la restructuration de l’Etat, la réforme de l’enseignement et de la santé, l’élaboration d’une stratégie agricole et le développement du partenariat avec l’Afrique, concernent plutôt le moyen et le long terme. Elias Fakhfakh parle de la Tunisie des années 40. La question de la numérisation, -  moyen plutôt qu’objectif en soit, permet  d’appréhender  la situation globale. Or, elle  est évoquée, par le chef de gouvernement,  comme moyen de développer l’emploi. Les situations d’urgence : pouvoir d’achat, amélioration du vécu et du quotidien, ne dépassent pas les effets d’annonce. Aucune solution n’est préconisée, pour le  traitement de la question du bassin minier. Le chef du gouvernement nominé, remet, d’ailleurs, le traitement des priorités à une task force, une force opérationnelle, dont il annonce l’éventuelle formation.

Le candidat à l’investiture affirme sa volonté de “construire l’Etat”. Il exagère et surestime son rôle, alors que la situation exige plutôt de restaurer son fonctionnement, en connaissance de ses mécanismes. Il occulte en fait le modèle de développement qu’il annonce, se contentant d’évoquer plutôt une activation du processus économique.

Autre fait important, Elias Fakhfakh pourrait-il sortir de son isolement et se constituer une ceinture parlementaire commode. Après l’échec d’Habib Jomli, la plupart des partis ont accordé  au nouveau candidat, un préjugé favorable. Alors que le parti destourien, a affirmé son opposition, à cet ancien allié de Nahdha, Qalb Tounes, qui dispose de 38 députés se retrouve exclu, par le nouveau pouvoir. Elias Fakhfakh, affirme unilatéralement “le garder dans l’opposition” et confirme disposer d’une alliance gouvernementale de dix partis. Ce qui lui permettrait de disposer de plus de 160 membres. Mais il s’agirait plutôt d’un compromis conjoncturel, “d’une compromission”, selon certains observateurs. En réalité, certains partis ont émis des réserves. Nahdha souhaite un gouvernement d’union nationale et ne comprend pas le rejet de Qalb Tounes. Les autres paris ont critiqué le programme gouvernemental. Le chef du gouvernement a dû présenter des amendements. Mais l’absence de timing des programmes annoncés n’est pas en mesure de satisfaire les protagonistes. D’autre part, l’annonce d’une politique sociale d’envergure est en contradiction avec le libéralisme économique défendu par Eliyas Fakhfakh, au cours de sa campagne présidentielle. D’ailleurs, il a bel et bien affirmé qu’il s’en tient à son programme présidentiel, se contentant de l’amender (discours du 31 janvier). Mais la peur de la dissolution du parlement et d’un retour aux élections inciteront les députés à voter l’investiture. Constat d’évidence, “Les idées fausses, quand on les trouve commodes, personne n’a le courage de les changer” (Alberto Bevilaqua, La Khaliffa, Editions Plon, 1966). Mais l’accord pourrait-il se poursuivre après l’investiture ? Ne risquera-t-on d’avoir un gouvernement fragile, incapable d’assurer la stabilité, sinon d’engager “des réformes douloureuses”, qui requièrent un consensus ?

N’oublions pas la rue. Elle multiplie les sit ing et les manifestations de colère. “Nos conditions de vie se sont dégradés, depuis la révolution. On vivait beaucoup mieux”, affirme-t-on volontiers. “Tant que les pommes de terres coutent plus de 400 millimes et qu’on ne peut même pas se payer une chachouka”. L’inflation, conséquence de la chute du dinar  affaiblit le pouvoir d’achat. Or, la révolution ne peut s’accommoder du déclin social. Il faut mettre à l’ordre du jour une véritable transition économique, corollaire de la transition démocratique.

Un contrat social devrait être mis à l’ordre du jour, dans le cadre d’une nouvelle vision d’avenir. Les échecs gouvernementaux, la politique du laisser faire du pouvoir, ont nourri le populisme politique, remettant en cause les élites, occultant la pensée politique et les débats qu’elles suscitent. L’Etat n’est pas un arène politique, confiné au partage du butin. Il faut mettre une politique socio-économique agressive, dans le cadre d’un véritable choix de modèle de développement. Elias Fakhfakh pourrait-il être le joker d’un changement de logiciel, pour le salut de la Tunisie d’aujourd’hui et la  promotion de la Tunisie de demain ? Commentant le discours de programme du nouveau chef de gouvernement, un observateur affirme : “Il a une bonne connaissances des mécanismes de l’Etat. Cela ne suffit pas. Mais il peut mieux faire ”. Espérons que cet optimisme prudent soit partagé.

La guerre IRAN/USA … !

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 22 janvier au 05 février 2020

 

Le Président Trump réactive  le conflit des Etats-Unis avec l’Iran. Ces deux pays   entretiennent des relations inamicales, depuis la chute du chah Muhammad Rizā Shāh Pahlevi et l’avènement au pouvoir de l'Ayatollah Khomeiny. La prise d’otages à l’ambassade des États-Unis à Téhéran, le 4 novembre 1979 marque  un tournant décisif dans leurs relations. Plus de 400 étudiants islamiques ont pris d’assaut ce jour l’ambassade américaine dans la capitale iranienne. Cette crise majeure entre Téhéran et Washington a modifié de manière décisive les relations entre les deux pays et entretenu depuis lors une guerre de discours, entre les deux pays.  

La reprise par l’Iran de son programme nucléaire, au cours des années 2000, qui a été l’objet d’une coopération entre l'État impérial d'Iran et les États-Unis, dans les années 1970, suscite l’opposition  de l’occident. Les tensions, qui culminent sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, instaurent une conjoncture conflictuelle, animée par les USA.  L’accord de Vienne  signé entre les pays du groupe « P 5+1 » (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne), le 14 juillet 2015, prévoit la levée progressives des sanctions qui pèsent sur l’Iran. En contrepartie, l’Iran s’engage à effectuer une réduction du nombre de ses centrifugeuses, à limiter ainsi sa production de plutonium et l’enrichissement d’uranium et à accepter le renforcement des inspections internationales.  Au terme de cet accord, les relations étaient appelées à s’améliorer entre les USA et l’Iran.  Or, le nouveau président annonça, le 6 mai 2018, que les États-Unis se retirent de cet accord. On revint à la case de départ, malgré les tentatives européennes de maintenir leurs relations avec l’Iran.  Le président Donald Trump remet à l’ordre du jour les relations conflictuelles des USA avec l’Iran.

Le passage à l’acte : Les Etats-Unis avaient opté, depuis longtemps, pour une guerre indirecte, par l’entremise de leurs alliés des pays du Golf et essentiellement l’Arabie Saoudite et les Emirats. L’instrumentalisation de la démarcation sunnite et chiite, leur permit de transgresser la coexistence d’antan et d’instituer une conjoncture conflictuelle. La crise actuelle atteste une volonté de passage à la guerre directe.

La tension chronique, entre l'Iran et les Etats-Unis a connu un brusque accès le 3 janvier 2020. Le Pentagone a annoncé, en effet,  avoir tué le général Ghassem Soleimani, homme fort de l’Iran en Irak. Ghassem Soleimani, fut tué par un drone américain à Bagdad, prés de l’aéroport. Cette mort intervient dans un contexte de montée des tensions entre Téhéran et Washington depuis l’investiture de Donald Trump. Le 8 janvier, Téhéran riposta : Dans la nuit, l’Iran a lance son «opération Martyr Soleimani » : en une demi-heure, 22 missiles sol-sol se sont abattus sur deux bases irakiennes, Aïn al-Assad (ouest) et Erbil (nord), où sont stationnés certains des 5 200 soldats américains déployés en Irak. La télévision d’État iranienne affirme que l’attaque a causé la mort de «80» Américains, ce que dément Donald Trump, selon lequel il n’y a aucune victime américaine. Redimensionnons l’événement, Téhéran aurait averti Washington, avant l’attaque, pour éviter mort d’hommes. Ce qui atteste que les ennemis se ménageaient.

Fait important, l’Irak a été le champ de bataille. Sous tutelle des Etats-Unis, depuis la guerre, l’Irak a désormais des relations privilégiées avec l’Iran, vu son gouvernement chiite. Son espace est mis à l’épreuve, par les interventions sur son espace. Vu l’atteinte à sa souveraineté, l’Irak demanda l’évacuation des troupes américaines. Demande refusé, les USA ne sont pas disposés à abandonner leur butin de guerre. Ce qui annonce d’éventuelles relations conflictuelles.

Désescalade : Après dix jours de haute tension entre l'Iran et les Etats-Unis, la perspective du pire pourrait commencer à s'éloigner : Les alliés des USA, l’Arabie Saoudite, les Emirats et Qatar craignent l’escalade. Aucun d’entre eux, ne semble disposer à prêter son territoire pour une attaque contre l'Iran, car personne ne tient à être entraîné dans une guerre. Qatar qui entretient certes de bons rapports de voisinage avec l’Iran est partie prenante, dans cette situation, puisqu’elle  abrite la base Al-Udeid de l'armée de l'air américaine, la plus grande base militaire des États-Unis au Proche-Orient. 13.000 soldats y sont déployés et participent à des opérations dans l'ensemble de la région. D’autre part, un accord a été signé entre les militaires qataris et états-uniens sur un mode d’action standard pour les forces de l’Otan au Qatar.  Mais Doha ne souhaite pas être entraîné dans une guerre. D’ailleurs, Doha a déjà dit à Téhéran et Washington qu'il n'était pas question d'utiliser son territoire contre l'Iran. Fait évident, la guerre pouvait perturber l'équilibre actuel et la situation dans la région, ce dont les Qataris, qui en sont conscients, le craignent.

Faisant valoir sa pseudo neutralité, l’émir du Qatar,  Sheikh Tamim bin Hamad al-Thani, a rendu visite, au President Hassan Rouhani,  12 janvier. Ses entretiens  avec le président iranien  avaient pout objectif d’engager une dé-escalade. Suite à sa rencontre avec le président iranien Hassan Rohani, l’émir du Qatar a déclaré : "Nous sommes convenus avec Rohani que la seule solution à (la) crise passe par la désescalade et le dialogue", a dit l'émir. "Le dialogue est la seule solution à cette crise."Vu les rapports privilégiés entre Qatar et les USA, cette initiative atteste le souhait américain d’éviter un engagement militaire, d’ailleurs vivement critiqué par le sénat. On relève d’ailleurs, des déclarations en provenance de Washington. Même si le président américain Donald Trump a maintenu dimanche la pression avec une nouvelle mise en garde à l'Iran contre une répression de manifestations, son ministre de la Défense a assuré qu'il était prêt à discuter avec les dirigeants iraniens. D’ailleurs, le chef du Pentagone Mark Esper a assuré que Donald Trump était toujours prêt à discuter avec l'Iran "sans condition préalable". Les Etats-Unis sont prêts à évoquer "une nouvelle voie, une série de mesures qui feraient de l'Iran un pays plus normal". En dépit de ces déclarations apaisantes, la situation reste explosive au Moyen-Orient.