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Ukraine, quelles perspectives d’avenir ?

Pr. Khalifa Chater

 

"Celui qui ne regrette pas l'URSS n'a pas de cœur. Celui qui la regrette n'a pas d’intelligence".

Comment interpréter cette phrase ambigüe de Vladimir Poutine ? Comment pouvait-elle expliquer la prise de position du président russe contre l’Ukraine ? Passage des paroles aux actes ?  Une velléité d’intégrer ce pays, dans le cadre d’une restauration de l’URSS ou une recherche d’une nouvelle forme de domination ?

Cet épisode met en lumière la situation paradoxale de l’Ukraine : tour à tour périphérie de l'Europe occidentale ou glacis de la Russie.  Ce vaste territoire (603.000 km2) a toujours été tiraillé entre de puissants voisins (Pologne, grand-duché de Lituanie, Russie).

Les opérations sur le terrain ? Engagée depuis le 24 mars, la conquête de l’Ukraine se poursuit.  Les offensives viennent de l’Est, de l’ouest et du nord et dessinent les lignes de fronts. Les colonnes russes avancent très lentement, vu la résistance acharnée des Ukrainiens. D’autre part, les forces russes continuent leur "opération offensive" pour encercler la capitale ukrainienne, Kiev. Elles bombardent ses banlieues. Les chars russes sont à quelques kilomètres des portes de Kiev dont la population se barricade. Sa chute aura lieu, à plus ou moins brève échéance. Mais les observateurs estiment que son attaque n’est pas imminente.  En tout cas, la survie du régime est en jeu.

Perspectives d’avenir ?  Quel est le pari de Vladimir Poutine ? Une "colonisation" de fait. Cela semble exclu, depuis la décolonisation à la fin du XIXe siècle ?  Nous partageons les vues de l’historien Jean-Jacques Marie, qui affirme que « tout impérialisme suppose une économie dynamique désireuse de conquérir des marchés par tous les moyens, de la guerre commerciale à la guerre tout court, et un État fort". Or la Russie, minée par la corruption, n'a créé aucune nouvelle richesse depuis les années 2000 (La Russie sous Poutine, Payot, 2016).

Vladimir Poutine envisage-t-il un fractionnement de l’Ukraine, par l’indépendance du L’auteur tente d’étudier les perspectives d’avenir de la guere de l’Ukraine. Jusqu’où ira Vladimir Poutine ?

et des régions russophones ? Depuis une vingtaine d’années, Vladimir Poutine mène une guerre des esprits qui a préparé celle des armes, dans cet ancien bastion sidérurgique et minier de l’est de l’Ukraine. Les Russophones d’Ukraine, menacés de "génocide " affirme-t-il. Un pays tout entier, sous le joug du « nazisme ». Le matraquage du Kremlin est repris en boucle par les télévisions russes, justifiant l’invasion de leur voisin, La reconnaissance de l’indépendance du Donbass affaiblirait l’Ukraine.

Autre objectif de Vladimir Poutine une démilitarisation de l’Ukraine ou du moins sa neutralité.  Cette solution est d’ailleurs préconisée par le sociologue Edgar Morin qui affirme : "Vu sa position géographique, le seul compromis acceptable serait la neutralité de l’Ukraine, sur le modèle suisse".  Elle pourrait suivre l’exemple de la Finlande, autre pays voisin de la Russie, qui fait partie de l’Union Européenne et non de l’Otan.

Position du candidat à la présidentielle française, Nicolas Dupont-Aignan, le fondateur de Debout, la France, "le camp des Occidentaux a tort de chercher à isoler le géant russe. Le seul avenir de l’Europe, pour peser dans le monde demain, passe obligatoirement par une coopération avec la Russie. Sinon l’Europe est hémiplégique. Poutine passera, la Russie va rester", a expliqué le député au micro de « Bonjour chez vous ! », la matinale de Public Sénat. Pour Nicolas Dupont-Aignan, le règlement de la crise devra passer par le respect du protocole de Minsk signé en 2014. " Pour moi, dit-il, au-delà des sanctions qui nous retombent sur la figure, je pense qu’il faut proposer un vrai statut pour l’Ukraine, dans le cadre d’une conférence pour la sécurité en Europe : sa neutralité absolue – dire qu’il n’y aura jamais l’Otan en Ukraine -, et un statut d’autonomie constitutionnelle pour le Donbass », soutient-il.

D’ailleurs, l’Otan ne prévoit pas l’intégration de l’Ukraine. L’Union européenne, elle-même, Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE, réunis en sommet à Versailles, pour élaborer les réponses économiques et militaires au choc de l'invasion russe. Ont exclu jeudi 10 mars, toute adhésion rapide de l'Ukraine à l'Union européenne, tout en ouvrant la porte à des liens plus étroits :   "Sans tarder, nous renforcerons encore nos liens et approfondirons notre partenariat afin de soutenir l'Ukraine dans la poursuite de son parcours européen. L'Ukraine fait partie de notre famille européenne", ont finalement proclamé les dirigeants dans une déclaration écrite. L’Union européenne affirme, bel et bien, qu’elle n’intègre pas un pays en guerre. 

En tout cas, l’avenir de l’Ukraine reste incertain. De fait, elle ne bénéficie d’aucun appui militaire, contre l’occupation.  Se trouvant dans la même situation, le Koweït a été libéré de l’occupation de l’Irak, par une intervention militaire étrangère internationale. Mais l’Ukraine ne dispose pas de l’atout pétrolier.

La guerre de l’Ukraine : un bouleversement géopolitique de l’Europe

Pr. Khalifa Chater

 

"Mais qu'est-ce que l'Ukraine ? Même pas un Etat ! Une partie de son territoire, c'est l'Europe centrale, l'autre partie, la plus importante, c'est nous qui la lui avons donnée !" (Vladimir Poutine in les colonnes du quotidien Kommersant, lien en russe, 2008).

Cette non-reconnaissance formelle de l’Ukraine, par le président Poutine, annonce les rapports conflictuels et explique le déclanchement de l’invasion russe, quatorze ans plus tard.  En l’an 2004, le candidat soutenu par Moscou, le Premier ministre Viktor Ianoukovitch prend le pouvoir. Le camp pro-occidental est dans la rue pour dénoncer des fraudes qui auraient entaché sa victoire. Cette révolution orange mobilise plus d'un demi-million de manifestants à Kiev et à travers le pays pendant une quinzaine de jours. Ces protestations qui prennent rapidement de l'ampleur, auraient été soutenus par des nombreux gouvernements occidentaux, dont celui des États-Unis et auraient bénéficié de financements d'organisations américaines.[1]Après une période de paix civile, se déclenche le mouvement, Euromaïdan, qui définit les manifestations pro-européennes en Ukraine. Elles ont débuté le 21 novembre 2013 à la suite de la décision du gouvernement ukrainien de ne pas signer un accord d'association avec l'Union européenne au profit d'un accord avec la Russie[2]. Ce mouvement a débouché le 22 février 2014 sur la révolution de février et la fuite puis la destitution du président pro-russe Viktor Ianoukovytch, remplacé par Oleksandr Tourtchynov, Ce mouvement s'inscrit dans le contexte des rivalités entre les partisans de l’alliance avec la Russie et les partisans d’un rapprochement avec l’Union Européenne et l’Otan.

L’entrés en guerre de la Russie : Tôt ce jeudi 24 février, le président russe a annoncé la guerre contre l’Ukraine :  ll s’agit d’une invasion de grande ampleur avec des frappes aériennes et une pénétration de forces terrestres y compris en direction de la capitale Kiev. Prétexte évoqué, la défense les séparatistes de l'Est du pays. Poutine a en outre dénoncé un "génocide" orchestré par l'Ukraine dans l'est du pays, arguant de l'appel à l'aide des séparatistes annoncé dans la nuit et de la politique agressive de l'Otan à l'égard de la Russie et dont l'Ukraine serait l'outil.

La Russie a une approche historique et sentimentales avec l’Ukraine puisqu’elle était une des composantes de l’URSS. Elle voit de mauvais œil, ses accords avec l’Union Européenne et sa volonté d’intégrer l’Otan. Les Russes rappellent que lors du traité de Berlin de 1990 la non extension à l’Est de l’Otan a gagé la réunification allemande, que les révolutions orange furent des actes hostiles, que l’Ukraine n’a pas honoré ses engagements de l’accord de Minsk en 2015. Washington réplique, contestant la position russe. D’autre part, Moscou craint un encerclement de la Russie par les forces de l’Otan.  

Jusqu’où ira la Russie ?  Souhaiterait-elle réaliser une partition du pays ? Voulait-elle soumettre l’Ukraine, sinon l’occuper ? A-t-elle l’intention de remplacer son actuel président, par un proche idéologique. L’Europe estime que son unité, sa sécurité et sa stabilité sont mises en jeu.  Les USA inscrivent ce bouleversement de l’Europe, dans leur duel historique d’antan.

Positions de l’Occident :

"Cette agression n'est pas seulement une attaque contre l'Ukraine. C'est une attaque contre la démocratie, contre la liberté en Europe de l'Est, et dans le monde entier", (Boris Johnson, 24 février).

Réaction de. L’Union Européenne.  Réunie en sommet à Bruxelles, elle a approuvé jeudi 24 février dans la soirée, des sanctions "massives" contre la Russie. "Les dirigeants russes devront faire face à un isolement sans précédent", a promis la présidente de la Commission européenne, l'Allemande Ursula von der Leyen. Les Vingt-Sept veulent punir le régime du président Vladimir Poutine avec des sanctions financières. Il s'agit notamment de limiter drastiquement l'accès de la Russie aux marchés de capitaux européens, entravant la capacité de Moscou d'y refinancer sa dette. L'UE va aussi réduire l'accès de la Russie à des "technologies cruciales", en la privant de composants électroniques et de logiciels, de façon à "pénaliser gravement tous les pans de l'économie russe", d'après Ursula von der Leyen.

Position similaire des USA : Le président Joe Biden a  défendu un arsenal de sanctions mises au point par les Etats-Unis visant à porter un coup terrible à la finance comme à l'économie russe. Ces représailles économiques et financières "dépassent tout ce qui n’a jamais été fait", a soutenu le président américain lors d'une allocution télévisée. Les Etats-Unis et l’UE n'ont toutefois pas exclu la Russie du réseau interbancaire Swift, un rouage essentiel de la finance mondiale. De son côté, la France va accélérer le déploiement dans le cadre de l'Otan de soldats en Roumanie, pays frontalier de l'Ukraine, a annoncé le président Emmanuel Macron à l'issue du sommet exceptionnel de l'UE. Il a également jugé utile de "laisser ouvert le chemin" du dialogue avec Moscou pour obtenir un arrêt de son offensive. Réaction de l’Otan, il renforce sa défense en Europe. L’Otan a mis en alerte la force de réaction rapide de l’Otan, composée de 40.000 soldats. Néanmoins, les USA et l’Otan excluent une réaction militaire.

Face à cette unanimité, la Chine affirme qu’elle "comprend les préoccupations raisonnables de la Russie en matière de sécurité", a déclaré jeudi 24 février le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, à son homologue russe Sergueï Lavrov. La guerre d’Ukraine restitue la bipolarité géopolitique internationale et bien entendu réanime la guerre froide.

Conclusion ;

"Je suis très préoccupée par ce qui se passe en Ukraine et, avant tout, par les conséquences pour des gens innocents. Cela ajoute un important risque économique pour la région et le monde. Nous évaluons les implications et nous nous tenons prêts à soutenir nos membres au besoin" (Kristalina Georgieva, la directrice générale du FMI, 24 février).

 Diagnostic pertinent de la patronne du Fonds monétaire international dans un tweet, la guerre d’Ukraine est un important risque économique dans le monde. Dans la foulée de l'avancée des troupes russes, les marchés mondiaux naviguaient en pleine tempête, avec chute des Bourses et flambée des matières premières.  Ne perdons pas de vue que la Russie est le troisième producteur mondial de pétrole et le premier producteur de gaz. Donc les prix vont monter, c'est très probable, d'autant que déjà, traditionnellement, le baromètre de la peur, c'est le prix du pétrole. On est à 102 dollars, dès le 24 février, au plus haut depuis 2014 et les experts disent qu'il est désormais vraisemblable qu'on monte à 125 dollars le baril. Même chose, pour le gaz : Il est peu probable que la Russie coupe le gaz à l'Europe. Mais ce qui est possible, c'est que le gazoduc qui traverse l'Ukraine soit purement et simplement interrompu, soit qu'il soit endommagé, soit qu'il soit coupé, justement pour éviter son explosion dans une zone de combat. 

Sur le marché des céréales, là encore, la Russie est un très gros acteur, sur le blé notamment, tout comme l'Ukraine. Ce sont pratiquement les deux premiers producteurs mondiaux qui sont en guerre l'un avec l'autre. Donc, on peut avoir aussi une montée des prix.

Autre conséquence probable, c'est une inhibition de l'investissement au plan mondial, c'est-à-dire que les gens aient peur du coup, voyant la guerre se développer, de poursuivre leurs projets économiques ou d'en développer. Des conséquences sur la croissance mondiale sont possible pour 2022, rien qu'à cause de cette inhibition de l'investissement et le fait que finalement, ça perturbe tous les projets[3].

En conclusion, la guerre contre l’Ukraine a d’importantes conséquences sur l’économie du monde et sur le vécu de ses habitants.

 

[1] - « Les dessous de la révolution Orange » [archive], L'Express, 13 juin 2005. Il s'agit notamment de la Fondation Soros et de la Freedom House, une ONG dont les fonds proviennent majoritairement du Département d'État des États-Unis.

[2] - Sébastien Gobert, « L’Ukraine se dérobe à l’orbite européenne » [archive], Le Monde diplomatique, 1er décembre 2013 (consulté le 19 juin 2021).

[3] - ÉDITO - Guerre en Ukraine : gaz, pétrole, blé... Quelles conséquences économiques ? 25 février).

 

Retour à la guerre froide ?

Pr. Khalifa Chater

 

Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale et jusqu'au début des années 1970, la guerre froide a marqué les relations internationales. Pendant cette période un affrontement total, politique, idéologique, militaire, économique oppose en Europe et dans le monde, 2 blocs : un bloc occidental qui adopte les valeurs et le leadership des USA et un bloc socialiste sous influence de l'URSS. Il s’agit d’un ‘‘conflit non-armé mais à couteaux tirés’’. Dans ce contexte, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a été créé, le 4 Avril 1949, avec un volet politique et un volet militaire, pour contrer la menace soviétique. Répliquant à cette initiative, l’URSS a créé le Pacte de Varsovie le 14 Mai 1955. Ce Pacte comprenait l’URSS et ses satellites : Albanie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie et Allemagne de l’Est, avec aussi la Chine en tant qu’Observateur. Aussi bien l’OTAN que le Pacte de Varsovie comportent une clause de secours mutuel en cas d’agression d’un pays membre.

La dislocation de l’URSS, la chute du mur de Berlin et le triomphe du libéralisme mettaient fin à la guerre froide. Les anciens satellites de la Russie prenaient leur indépendance et définissaient, dans une certaine mesure, librement leurs régimes. Après la chute de l’URSS, le Pacte de Varsovie a été dissous le 1er Juillet 1991, alors que l’OTAN a été maintenu. Il s’est même développé. Alors qu’il ne comptait à l’origine que les 12 membres fondateurs, elle compte actuellement 30 membres : 28 pays européens et deux pays nord-américains : les Etats-Unis et le Canada. Après la chute de l’URSS le 26 Décembre 1991, 12 pays de l’Europe de l’Est ont rejoint l’OTAN entre 1999 et 2009. Ce qui suscita le mécontentement du Président, Vladimir Poutine, ancien officier du KGB, qui succéda à Boris Eltsine en1999. Considérant la ‘‘chute de l’URSS comme la plus grande catastrophe géopolitique du 20ème siècle’’, il veut redonner à son pays l’influence qu’il avait du temps de l’URSS.

 L’actuel crise ukrainienne semblait annoncer un retour à la guerre froide. En 2012, l’Union européenne a signé des accords de libre-échange et d’association avec l’Ukraine. L’évolution du régime ukrainien suscita une guerre civile, dans le Donbass à l’est de l’Ukraine, qui oppose le gouvernement central aux opposants russophones soutenus par la Russie. Pour faire pression sur l’Ukraine, la Russie a procédé à partir du 1er Décembre 2021 à un déploiement massif estimé à 100.000 soldats à la frontière Est de l’Ukraine. Les Occidentaux accusent la Russie de vouloir envahir l’Ukraine. Moscou réclame la non adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, et la fin de son renforcement militaire aux frontières de la Russie. Réaction du président américain Joe Biden ; il  a décidé d’envoyer des renforts pour défendre les pays de l’Otan ‘‘contre toute agression’’. Il envoie, à cet effet, un premier contingent de soldats américains, en Pologne. Les Russes rappellent que lors du traité de Berlin de 1990 la non extension à l’Est de l’Otan a gagé la réunification allemande, que les révolutions orange furent des actes hostiles, que l’Ukraine n’a pas honoré ses engagements de l’accord de Minsk en 2015. Washington réplique, contestant la position russe. D’autre part, Moscou craint un encerclement de la Russie par les forces de l’Otan (voir Jawad Kerdoudi, chronique de l’IMRI « La crise Ukrainienne : Quelles pistes de sortie ? Ne risque-t-on pas l’ouverture d’un front militaire avec le grand chambardement qui suivra ?

La visite du Président français Emmanuel Macron à Kiev et à Moscou, le 7 février n’a pas annoncé un véritable accord de désescalade sur la crise ukrainienne. Le président français a proposé, à Vladimir Poutine de ‘‘bâtir des garanties concrètes de sécurité’’ pour tous les Etats impliqués dans la crise ukrainienne à l’issue d’un tête-à-tête de cinq heures à Moscou avec le président de la Fédération de Russie. ‘‘Le président Poutine, dit-il, m’a assuré de sa disponibilité à s’engager dans cette logique et de sa volonté de maintenir la stabilité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine’’. En réalité, ce langage diplomatique occulte l’échec de cette intervention.

Aggravation de la situation, le président américain, Joe Biden, a appelé jeudi 10 février,  les citoyens américains à quitter l’Ukraine ‘‘maintenant’’ en raison du risque accru d’une invasion russe. ‘‘Les choses pourraient vite s’emballer’’, a-t-il expliqué dans une interview à la chaîne NBC, répétant qu’il n’enverrait pas de soldats sur le terrain en Ukraine, même pour évacuer des Américains dans l’hypothèse d’une invasion russe, car cela pourrait déclencher ‘‘une guerre mondiale’’. ‘‘Quand les Américains et les Russes commencent à se tirer dessus, nous sommes dans un monde très différent’’, a-t-il affirmé. ‘‘Nous avons affaire à l’une des plus grandes armées du monde’’, a plaidé le président en référence à l’armée russe (Le Parisien, 11 février 2022).

Définition de cette donne stratégique par Jean Dufourcq :  ‘‘Ce spectacle anxiogène du théâtre stratégique des grands d’hier et d’aujourd’hui ouvre une année rendue confuse par un rebond pandémique mal venu. Il révèle un vrai déficit de sang-froid et de culture diplomatique’’, aggravé par ‘‘le ping-pong sino-américain sur le devenir de Taïwan’’ (voir l’intelligence du monde de demain).

P,S, La déclaration du président Biden, le 13 février,  montre qu’une riposte américaine sera à l’ordre du jour. Pouvait-on en douter ?

 

Souveraineté nationale et interdépendance !

Pr. Khalifa Chater

 

‘‘La souveraineté est la qualité de l'État de n'être obligé ou déterminé que par sa propre volonté, dans les limites du principe supérieur du droit, et conformément au but collectif qu'il est appelé à réaliser’’ (Louis Le Fur, État fédéral et confédération d'états, 1896 p. 443).

C’est le pouvoir politique suprême dont jouit l'État. Certes, vu les mutations actuelles, aucun Etat, dans notre ère d’interdépendance, ne dispose de l'exclusivité de sa compétence et ne détient son indépendance absolue, étant limité par   ses propres engagements (souveraineté externe).

Ainsi définis la souveraineté et ses limites usuelles, peut-on affirmer que l’Etat tunisien dispose de la plénitude des compétences nationales et internationales, dans l’ère d’interdépendance ?

L’intervention de l’étranger a été évoquée par le comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, lors de leur conférence de presse, mercredi 9 février.  Présentant de nouveaux éléments de l’affaire, ils ont accusé le président de Nahdha d’intelligence avec un pays étranger. Cette même accusation a été réitérée, par le président de la république le 9 février 2022. D’autre part, le président a cru devoir répondre à la déclaration des ambassadeurs du G7 en Tunisie ainsi que la représentante du bureau du Haut-commissariat des Nations-Unies aux droits de l’Homme (HCDH), qui ont exprimé, le 8 février leurs préoccupations, à la suite de l’annonce de la volonté du président de dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature, dont la mission est d’assurer le bon fonctionnement du système judiciaire et le respect de son indépendance. Protestation du président qui déclara : ‘‘Nous sommes un Etat souverain, nous sommes conscients des équilibres internationaux et nous connaissons mieux qu’eux les accords et les conventions internationales. Nous sommes engagés aux principes de la liberté, de la démocratie et de la justice. Pourquoi donc cette préoccupation ? La Tunisie n’est ni une ferme, ni un pré. Ils sont parfaitement au courant de tous les dépassements, des assassinats et du détournement des biens publics… Ils veulent nous placer au rang d’élèves et continuer dans leurs classifications. Ils se mettent dans la position des enseignants qui notent leurs élèves avec Très bien, bien etc. Non, nous ne sommes pas des élèves’’ (déclaration du 9 février). Affirmation de la souveraineté et condamnation officielle des interventions étrangères. Qu’en est-il au juste ?

La bipolarité instituée, depuis ‘‘la révolution’’, a mis à l’ordre du jour des alliances contraires : Dans le cadre de l’islam politique, Nahdha se rapprocha du Qatar et de Turquie. Cette alliance domina sous la troïka et se poursuivit jusqu’à nos jours. Des subventions importantes auraient été accordées au parti Nahdha, par Qatar, directement ou par l’intermédiaire d’associations ‘‘caritatives’’. Ainsi l’islam politique de Tunisie s’engagea contre le régime syrien, aurait encouragé l’envoi de militants, pour participer à la guerre en Syrie, a soutenu la mouvance islamique en Tripolitaine. Les dirigeants de Nahdha adoptèrent la politique étrangère de leurs compagnons de route. Dans ce cadre ils défendirent l’installation du relai de Qardhaoui, enseignant le takfirisme, en Tunisie.  D’autre part, les islamistes multipliaient leurs interventions auprès des USA et des gouvernements européens pour dénoncer le processus du 25 juillet. En somme, c’est l’appel intérieur qui explique les velléités d’interventions étrangères.

Le parti destourien et les forces démocrates dénoncent cette alliance qu’ils estiment ‘‘néfastes’’ et affirment l’indépendance nationale. Ce qui n’exclut pas leurs relations cordiales avec les Emirats, l’Arabie Saoudite et leurs dialogues avec l’Algérie et l’Egypte, également hostiles à l’islam politique. Ils affirment leur politique de ‘‘salut’’, souhaitant corriger le tir et proposant de mettre fin à la dérive.

Jeux de scène

Pr. Khalifa Chater

 

 

Les décisions présidentielles du 25 juillet se proposaient de mettre fin aux années de braise post-révolution. Elles ont été accueillies avec joie par la population, à l’exception de l’islam politique. Par contre, les décisions du 22 septembre, réunissant tous les pouvoirs chez le président ont suscité des suspicions. Certains acteurs politiques parlérent d’un coup d’Etat.   Après une longue attente, les décisions du président le 13 décembre ont fixé le timing  d’une consultation wifi, d’un référendum et d’élections législatives anticipée.  Néanmoins, point de feuille de route, pour traiter la crise économique et répondre aux attentes des citoyens. Les explications de son principal conseiller dans les médias Ridha Lénine n’ont pas convaincu. Chantre de la démocratie directe, prônant la mise en place d’un État social décentralisé, Lénine trangresse les visions de son marxisme originel. De nombreux analystes dénoncent l’utopie politique de cette éminence grise du président. 

Dirigeant l’opposition au président, Nahdha parle d’un rétablissent de la dictature, occultant ses responsabilités dans la dérive politico-sociale. Le Néo-Destour fait valoir son opposition à l’islam politique et multiplie les siting contre le siége de la mouvance Qardhaoui, qui organise un enseignement paralléle, pronant l’islam politique. Les autres partis pseudo démocratiques ou de gauche privilégient les apparitions dans les médias, sans ambition et sans programme. Décalage entre la classe politique et les citoyens qui subissent ces jeux de scéne et attendent impatiemment les mesures de bien être annoncées, par le président, qui est, actuellement le seul acteur actif, dans le paysage tunisien, d’où sa popularité .

Chute du dinar, développement du chomage, baisse du pouvoir d’achat, la crise sociale est évidente. En Tunisie, le revenu mensuel net par habitant avoisine les 650 dinars, le Smig est de l'ordre de 410 dinars contre 820 au Maroc, 5.000 en France (1.540 euros) et 5.150 en Allemagne (1585 euros) ! Or, d’après les spécialistes, pour assurer une vie convenable, un foyer tunisien de quatre personnes devrait assurer un revenu mensuel de l'ordre de 2.500 dinars. Nous sommes donc très loin du compte. Est-dire que le peuple tunisien reste pauvre, dans sa majorité ? Le Président de la république a certes recommandé la baisse des prix, mais c’est le contraire qui s’est produit. Exemple grave, le prix du fer a doublé ? Ce qui bloque du batiment en général. D’autre part, son budget 2022 occulte l’investissement (25 % dans les budgets de 2010 et prés de 4% actuellement). Ce qui annihile les travaux d’infrastructure, appelée à développer l’emploi.  Point de politique favorable à la jeunesse, condamnée à l’oisiveté ou à l’émigration clandestine vers l’Europe.

L’endettement auprés de l’étranger établit une situation de dépendance. Ignorant ces maux, le gouvernement met à l’ordre du jour, un gel  des salaire de la fonction publique, un accroissement fiscal. Il  annonce, d’autre part,  une réduction progressive des subventions gouvernementales Diagnostic éloquent du président de la république, lors de la signature du budget de l’an 2022 : “J’ai signé la loi de finances (pour l’année 2022), malgré le fait qu’elle contenait certaines alternatives“... Ces alternatives ne sont pas “convaincantes ” et ne vont pas “satisfaire les revendications populaires quant à la justice fiscale, car ces choix sont le résultat de ce qui est arrivé à l’Etat tunisien pendant des décennies et non une seule“.

Le triumvirat conflictuel

Pr. Khalifa Chater

 

 

Comment interpréter le processus engagé le 25 juillet ? Prenant acte du soulèvement populaire contre le parti Nahdha, le président Qais Saïd a suspendu le parlement et licencié le gouvernement Méchichi. Cette mesure fut applaudie par la classe politique, à l’exception des mouvances de l’islam politique. Mais les mesures d’exception adoptées en conséquence, accordant les pleins pouvoirs au président relancèrent le débat. Face au mouvement Nahdha qui dénonce « un coup d’Etat », tout un mouvement populaire soutient le chef de l’Etat, constituant de fait le parti informel du président. Cette bipolarité, qui s’illustra dans les manifestations successives, interpella les partis politiques « démocratiques » et ou progressistes, qui adoptèrent des attitudes nuancées, approuvant le 25 juillet et prenant leurs distances par rapport à l’ordre exceptionnel, désormais institué. 

Fait plus important, l’UGTT marqua son opposition. Le Secrétaire Général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, a déclaré ce le 1er décembre que le processus du 25 juillet devait continuer dans un cadre participatif, critiquant la manière dont Kaïs Saïed est en train de traiter avec la situation dans le pays. Le chef de la centrale syndicale a réitéré « le refus de l’organisation du dialogue via les plateformes, décidée par le président de la république ». D’autre part, il a rejeté le régime politique préconisé par Kaïs Saïed, celui de la construction de la base au sommet. « Il y a une vie politique, et des partis, dit-il et leur exclusion ne pourrait avoir lieu qu’à travers les urnes...Il n’y a pas d’autre choix que le dialogue sérieux », a-t-il martelé. L’approche de l’UGTT met à l’ordre du jour une « troisième voie », qui fait d’ailleurs valoir le nécessaire traitement de la crise économique, présentée, à juste titre, comme une priorité.

Répondant vraisemblablement à l’appel du parti Nahdha, huit ambassadeurs publièrent une motion, préconisant le retour rapide au fonctionnement des institutions démocratiques : Le communiqué affirme : “Nous, chefs de mission des ambassades d’Allemagne, du Canada, des Etats-Unis d’Amérique, de France, d’Italie, du Japon, du Royaume-Uni, et de la Délégation de l’Union européenne en Tunisie, soutenons fermement le peuple tunisien dans son aspiration à une gouvernance efficace, démocratique et transparente. Nous réaffirmons l’importance de la stabilité socio-économique du pays pour répondre aux attentes du peuple tunisien. Nous encourageons et nous nous tenons prêts à accompagner la mise en œuvre rapide des avancées nécessaires au redressement de la situation économique et financière de la Tunisie, y compris celles qui sont actuelles”. La situation est donc grave puisqu’elle annonce une mise en condition de la demande de prêt. Des intellectuels tunisiens critiquèrent cette “intervention étrangère dans les affaires tunisiennes”. D’autres prirent acte hâtivement d’une “dépendance”, conséquence de l’endettement, à l’instar de l’épreuve du XIXe siècle.

Les mesures prises par le président le 14 décembre évitèrent la dissolution du parlement et du tribunal administratif, qui suscitait l’inquiétude des magistrats et présenta un timing fixant des dates repères, pour les élections représentatives et le référendum. Le président a-t-il tenu compte de la motion des ambassadeurs ? Il le dément, fait valoir la souveraineté nationale et dénonce tout appel à l’étranger. En tout cas, les USA acquiescèrent les nouvelles mesures de Kaïs Saïed. Le porte-parole du département d’Etat américain, Ned Price, a indiqué que son pays se félicite de l’annonce par le président de la République, Kais Saied, d’un calendrier fixant le processus de réforme politique et d’élections parlementaires. “Les Etats-Unis attendent, dit-il, avec impatience que le processus de réforme soit transparent et inclusif des diverses voix politiques et de la société civile”, concluant ainsi sa déclaration : “Nous demeurons attachés au partenariat entre les Etats-Unis et la Tunisie”.

Les USA et l’Union Européenne appuieraient la demande du prêt tunisien auprès du FMI. Mais le gouvernement serait-il en mesure de répondre aux conditions exigées. Décision utopique du gouvernement tunisien : une baisse de 10% du traitement des fonctionnaires, une remise en cause du processus de subvention et une vente de certaines institutions nationales. Ces mesures proposées par la chef du gouvernement au secrétaire général de l’UGTT seraient susceptibles de provoquer une explosion sociale et de remettre en cause la stabilité du pays. Wait and see.

Vadrouillage politique

Pr. Khalifa Chater

 

 

Peut-on définir la situation tunisienne actuelle par du vadrouillage politique ? L’examen du jeu des acteurs laisse penser qu’ils s’activeraient sans but défini, au-delà des enjeux idéologiques et fait plus grave, dans une transgression des attentes du citoyen. Certes, le processus engagé par le président, le 25 juillet 2021, renouvelle la donne : Il a mis fin au gouvernement Méchichi, allié de fait de Nahdha, suspendu le parlement et mis en cause l’action des partis ? Mais l’horizon n’est guère défini, dans une occultation des repères politiques.

La nouvelle gouvernance : De fait, le président Qais Said a établi un régime présidentiel : Il a choisi le chef du gouvernement- de fait un premier ministre ! – préside le conseil de ministres, formule ses directives et demande leur exécution. Le gouvernement réunit des compétences évidentes. Mais sa marge de manœuvre est bien réduite.

D’autre part, le président met à l’ordre du jour des réformes électorales. Il semble opter pour un régime jamihirien, à l’instar du pouvoir kadhafien, qui a pu s’établir, grâce à la manne pétrolière, non disponible en Tunisie. « La volonté du peuple » et le populisme politique ne peuvent constituer un programme. La nouvelle gouvernance fait valoir une gestion politique de l’économie, qui ne peut traiter la crise sociale et arrêter le développement du chômage. Le nouveau régime serait-il en mesure de sauvegarder la démocratie, alors qu’il condamne les partis, qu’il transgresse les institutions et ne répond pas aux attentes ?

Fait évident, le peuple souhaite, outre la rectification du régime qu’il approuve, des mesures concrètes, contre la corruption et la redynamisation de l’économie. L’endettement a annihilé le budget de l’investissement, depuis des décades. Programme financier exclusif, l’attente des prêts du FMI, de la banque mondiale et le recours à l’emprunt national.

La réaction de Nahdha :  Ce parti, mis en cause par l’actuelle gouvernance, revendique un déblocage de la situation. Ménagé de fait par le président, dans cette conjoncture d’attente, Nahdha semble se ressaisir. Elle multiplie les manifestations, revendique le retour de fonctionnement du parlement, intervient auprès des acteurs étrangers « pour restaurer la démocratie ». Mais elle doit compter sur la popularité du président et la dénonciation de son action, par les défenseurs d’un régime civil, bien hostiles à la théocratie. Peut-elle oublier que le premier chef du gouvernement de la troïka a annoncé l’avènement du sixième califat ?

Son discours contre « le coup d’Etat », relayé par les partis « démocratiques », ses mots d’ordre ne paraissent pas convaincants. Le traitement par la justice de la corruption, lors des précédentes élections, risque d’annihiler certaines élections. D’autre part, le procès de l’assassinat de Lotfi Nagdh et la condamnation de certains membres de Nahdha de la région, qui y étaient impliqués confirment le changement du régime et l’indépendance de la justice. Les ennemis de l’islam politique croient à la fin du cauchemar et reformulent leur rêve d’une Tunisie moderne, ouverte, tolérante, égalitaire et démocratique.

Le dernier sondage d’opinion : Le dernier sondage de Sigma Conseil (11 au 15 novembre) met en avant le taux d’optimisme des Tunisiens vis-à-vis de la classe politique. Les Tunisiens croient à l’impact des décisions présidentiels du 25 juillet. Kaïs Saïed président de la République bénéficie d’un large taux de confiance des Tunisiens (66%), malgré une légère baisse de sa popularité.  La cheffe du gouvernement, Najla Bouden bénéficie de 35% de confiance. Ce qui atteste un soutien populaire de la décision présidentielle. Abir Moussi, la présidente du PDL arrive en 4ème position avec 18%.  La baisse de la popularité des dirigeants de Nahdha est évidente à l’exception de Abdellatif Mekki, ancien ministre de la Santé qui obtient 20%. L’exception confirme la règle. Nous remarquons ainsi que les dirigeants des partis démocratiques, à l’exception du Destour n’existent pas sur l’échelle politique du sondage. Est-ce à dire que la société civile, désormais partagée entre le Président et Abir Moussi les a abandonné ?

La conjoncture de l'attente

Pr. Khalifa Chater

 

 

Agréablement surpris par les décisions du président du 25 juillet, qui a licencié le gouvernement, bloquer le parlement et annoncé une guerre contre les corrompus, les Tunisiens vivent actuellement une conjoncture d’attente. Le pays est actuellement sans chef de gouvernement. Où trouver l’oiseau rare, susceptible de traiter la crise socio-économique ? Comment dénicher une compétence, réduite à un simple rôle d’exécutant ? Des observateurs ont évoqué l’ancien premier ministre Mohamed Ghannouchi ou Kamel Nabli, ancien gouverneur de la banque centrale. Mais se présentant comme partisan de la révolution, Kais Said évitera les compétences de l’ancien régime. D’autre part, les actuels dirigeants des partis lui paraitraient liés, d’une façon ou d’une autre, des lobbies responsables de la dégradation de la situation. Quant à la lutte contre la corruption, désormais généralisée ou presque, elle est plus facile à annoncer qu’à réaliser. L’édifice politique nécessiterait une révision de fond en comble (changement du régime parlementaire, mode électorale etc.),

Fait surprenant, le président de la république semble éviter tout contacte avec le parti destourien, qui a eu le mérite d’organiser la lutte contre l’islam politique et de dénoncer la gestion du président du parlement. Continuateur de l’action de Abir Moussi, le président prend ses distances avec sa mouvance politique. Prône-t-il une nouvelle version de l’islam politique concurrente de Nahdha, certains observateurs ont osé hâtivement formuler ce diagnostic.

La motion du G7 a voulu rappeler le président à l’ordre, réclamant le fonctionnement du parlement et le « rétablissement du régime démocratique ». Peur exagérée exprimée également par les sénateurs américains qui ont rencontré le président de la république le 4 septembre. Ils ont rencontré, le 4 septembre et appelé à un retour rapide à la voie démocratique et la fin rapide de l’état d’urgence. Le sénateur Murphy, membre de cette délégation a précisé que le seul intérêt des États-Unis est de faire progresser une démocratie et une économie saines pour les Tunisiens. Cette intervention américaine a suscité une vive polémique des partis nationalistes, tel le parti du Destour qui a refusé de la recevoir.  Quand au président, il a affirmé que ses interventions découlent de la lecture de la constitution et exprimé son attachement à la souveraineté nationale. Retour du pendule, la délégation des sénateurs à conclue ses interventions, en affirmant que   les Américains «ne favorisent aucun parti par rapport à un autre et nous qu’ils n’ont aucun intérêt à préférer un programme de réforme plutôt qu'un autre. C'est aux Tunisiens qu'il appartient de trancher ces questions ». Ils ont ainsi exprimé leur prise de distance du parti de Nahdha.

Mais la question du chois du chef du gouvernement et de la définition de la feuille de route reste posée

La rupture

Pr. Khalifa Chater

 

 

« Le vent va déferler et leurs habitations sont un fétu de paille

La paume de la main est haute, mais les vitres sont fragiles

Ne soyez pas point tristes, mes frères, ne le soyez point.

S’ils chassent un oiseau de son nid, son nid le rejoindra »

(Mohamed Sghaïer Ouled Ahmed, traduction personnelle)

Le poéte de la révolution, qui a contesté le pouvoir des frères musulmans, annonça, avant sa mort, en 2016, la chute de leur pouvoir.

L’annonce de la 3em république : Les décisions du président de la république, le 25 juillet, confirment ses prévisions.  Kais Said a licencié le gouvernement Méchichi, qui était au service de Nahdha, suspendu le parlement, licencié les gouverneurs qu’ils ont nommé et annoncé une lutte contre la corruption.

Alors que quelques professeurs critiquèrent par juridisme, ce lever de bouclier présidentiel, le dénonçant comme un coup d’Etat, rejoignant les islamistes, le peuple tunisien a fêté l’événement et vécu une soirée de liesse. Certains parlent d’une loi du peuple, dictée par la nécessité, qui éloigne un pouvoir politique qui a cessé d’être l’émanation de la puissance populaire. Des analystes évoquent plutôt un redressement de la situation et une rectification de la dynamique gouvernementale, pour assurer la prise en charge des attentes des citoyens.

Une contestation populaire d’envergure samedi 24 juillet a précédé les décisions du président. La   jeunesse est descendue dans la rue et brulé et dévasté de nombreux sièges du parti Nahdha. Est-ce à dire que le président a répondu à leurs vœux ? En réalité, depuis sa prise de pouvoir, il avait formulé et explicité son diagnostic. Mais il a pris du temps, pour passer à l’acte, surprenant ainsi l’opinion publique. Il aurait ainsi assuré le passage à la troisième république.

Ne perdons pas de vue que la présidente du Destour Abir Moussi a eu le courage de désacraliser le mythe de la secte et de dénoncer ses agissements. Elle fut, me déclara un homme du peuple, « la rose de notre printemps », préparant l’environnement de la mutation.

Une évolution spécifique : Certains se sont hatés d’évoquer une évolution à l’égyptienne. Le président Essissi a écarté le gouvernement islamiste, suite à des sit ings populaires, dénonçant le pouvoir de l’islam politique. La Tunisie aurait pu marquer la chute de la troïka, en 2013, suite aux manifestations populaire, qui se sont déclenchées à la suite de l’assassinat de Hadj Brahmi. Mais craignant une guerre civile, Béji Caid Essebsi a opté pour un compromis, établi par le dialogue. Nahdha fut ainsi mise à l’épreuve. Mais elle ne put transgresser son programme théocratique. Sa popularité s’est érodée. Pouvoir de partisans, elle devint le pouvoir de ses courtisans et de sa clientèle.

Les premières décisions du président contre la corruption et l’annonce d’un traitement du pouvoir d’achat sont populaires. Mais le retard pris dans le choix du nouveau gouvernement, de l’engagement contre les fortunes mal acquises et les jugements que cela requiert, et la remise du pays au travail suscitent l’inquiétude. Dans cette conjoncture, rien n’a lieu par hasard.

Une mobilisation générale devrait assurer le traitement des priorités et d’abord la lutte contre la pandémie. Une feuille de route devrait être élaborée. Une reprise de confiance créerait un meilleur contexte, pour répondre à cette jeunesse qui déclara « demain, nous appartient ». La désillusion ne doit pas entacher cette euphorie.

Vers une nouvelle configuration politique

Pr. Khalifa Chater

 

La présidence de l’Etat, le parti Nahdha et le Destour constituent actuellement les trois pivots du jeu politique en Tunisie. Fut-il élu avec une large majorité et disposant ainsi d’un consensus politique effectif, le président de l’Etat a des pouvoirs limités. Sans assise parlementaire, il est réduit à exercer un pouvoir de blocage, sans possibilité de changer un gouvernement, bénéficiant désormais de l’appui d’une majorité parlementaire, sous la direction de Nahdha.

Le parti Nahdha bénéficie certes d’une majorité électorale au parlement. Mais le blocage présidentiel réduit son impact. D’autre part, perdant l’appui du Qatar et de la Turquie, qui se sont ralliés à l’Egypte et mis fin à leurs options idéologiques, l’islam politique subit un encerclement de fait, affirmé par les nouvelles élections algériennes et la nouvelle donne libyenne. Les opérations terroristes commises par des Daechiens en Europe, expliquent la prise de distance occidentale, dans la nouvelle conjoncture. Nahdha s’adonne à une politique de manœuvres, demandant l’ouverture d’un dialogue national, qui confirmerait son rôle. Mais la classe politique ne semble pas disposée à lui accorder cette « bouée de sauvetage », alors que le président de la république affirme son accord conditionnel au dialogue, marginalisant de fait leurs alliés, ses parechocs effectifs, al-Itilaf à l’extrême droite et Kalb tounis plus modéré.

Le parti destourien a réussi une percée populaire. Il a fait valoir sa capacité de mobilisation, essentiellement dans sa dénonciation de Nahdha. Vu ses positions, il est de fait « l’allié objectif » du président de la république, en dépit de l’absence de leurs relations. Les autre partis pseudo-démocrates ou de gauche craignant la montée du Destour, s’illustrent dans son attaque, tout en ménageant le parti islamiste. Ce qui les décrédibilise.

De fait, le blocage politique perdure, occultant les attentes sociales, alors que le développement de la pandémie révèle la carence du gouvernement et que la désunion du pouvoir exécutif rend difficile la quête des emprunts à l’étranger. L’annonce d’un nouvel emprunt pour acheter du phosphate à l’étranger atteste l’incapacité à remettre en marche l’exploitation du phosphate tunisien. Les colères contre le corps médical à Kairouan constituent des pulsions primaires passagères. Mais la crise économique est susceptible de susciter une opposition populaire radicale spontanée. Des manifestations contre la « tartufferie » voient désormais le jour et critiquent l’exploitation politique de la religion.

L’attaque de la député Abir Moussi, le trente juin, par un collègue « indépendant », avait pour objectif une diversion tactique pour occulter la conférence de presse des avocats des regrettés Belaid et Brahmi et de l’adoption de la loi sur l'installation du Fonds qatari en Tunisie, considéré par les analystes comme « une infraction à la loi et à la souveraineté de l’Etat ». La condamnation formelle du président du parlement et de Nahdha n’est pas convaincante. Ce banditisme parlementaire s’inscrit dans la dictature rampante désormais à l’ordre du jour.

Le vote, le soir même, de la loi sur l'installation du Fonds qatari en Tunisie, par 122 députés remet en cause la souveraineté tunisienne. Allié du Qatar, Nahdha l’a érigé en convention d’Etat, alors qu’il ne s’agissait ni d’un accord ave l’Etat qatari, ni avec une organisation intergouvernementale internationale. D’autre part, elle accorde des privilèges exorbitants à ses participants, les mettant hors de la loi tunisienne. Le président de la république, qui a freiné la stratégie de l’islam politique est appelé à rejeter cette loi ou à exiger sa révision, lui donnant le statut des accords de siège des fondations culturelles établies en Tunisie, exerçant leurs activités sous l’autorité de l’Etat.

La rencontre du président de la république avec le président de Nahdha, le 24 juin 2021, annoncerait-elle un rapprochement entre les deux protagonistes. Elle fut précédée par la rencontre du président avec le leader islamiste Lotfi Zeitoun. Agissait-il comme simple intermédiaire ? Ce qui est exclu, de fait, étant donné que l’appareil de Nahdha domine sa chaine de commandement. Allons-nous vers une alliance Qais Said/ Rached Ghannouchi ? Leurs divergences idéologiques sont fondamentales et leurs positions inconciliables. Il serait plus juste de parler d’un compromis conjoncturel.  Les deux protagonistes ont parlé d’une rencontre positive. Mais dés le lendemain, ils ont remis leurs pendules à leurs heures respectives. Ghannouchi rappela sa critique précédente du refus présidentiel du remaniement ministériel, alors que le président de la république a démenti l’existence de médiateurs et a rappelé sa critique des lobbies. Quand au peuple, il marginalise ces querelles et remet en cause le jeu parlementaire néfaste, qui s’accommode au non d’un juridisme suspect de l’exercice de la violence, au vu et au su de tout le monde. Faudrait-il dissoudre le parlement ? Plusieurs acteurs politique attendent une prise de position du président de la république, pour arrêter cette grave dérive.